Chapitre 11. Aphrodite

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Une vague d’énergie traversa le corps d'Aphrodite. Plus Héphaïstos pressait ses lèvres sur les siennes, plus la déesse se sentait revivre. Ses baisers, d’abord timides, s'intensifiaient en même temps que s’embrasaient les cicatrices sur sa peau.

Elle était le premier baiser d’Héphaïstos à n’en pas douter. En tant que déesse de l’amour, elle savait reconnaître ce genre d’expérience. Et puis, il ne savait pas où poser ses mains et gardait la bouche close. Pourtant, il ne s’y prenait pas mal. Il fallait seulement le guider.

Elle prit la main d’Héphaïstos, celle qui avait séché ses larmes, et la dirigea le long de son corps, jusqu’à la placer sur sa hanche. Son dos quitta le tronc de l’arbre. À la place, elle alla se coller au torse incandescent du dieu du feu. Le temps d’un instant, elle rompit leur baiser et caressa la lèvre inférieure d’Héphaïstos. Elle passa son doigt de sorte à l’obliger à entrouvrir la bouche. C’était aussi chaud que le reste de son corps. Mais beaucoup moins rugueux. Normal, ce devait être un des seuls endroits épargnés par les fissures. Il la laissa faire, le souffle erratique.

On pouvait lire le désir dans beaucoup de choses. Les gestes, les baisers, les caresses, les paroles, les promesses. Arès, par exemple, était un dieu d’action, peu de blabla, trop de mouvements brusques. Pour les humains, que des beaux parleurs, mais aucune promesse tenue. Mais il y avait une façon qu’Aphrodite aimait par-dessus tout. Une qu’on oubliait souvent. Ou que les moins observateurs ne percevaient pas. Le désir des non-dits. Celui qui passait à travers le regard des amants. Celui qui déshabillait le corps, mettant l’âme à nu. Celui d’une passion hypnotisante, inassouvie, dévorante. Une passion ardente qui ne se consume jamais.

Et c’est ce que lit Aphrodite dans le regard d’Héphaïstos. Avait-elle été trop aveuglée par la colère et la honte pour ne l’avoir jamais vu ? Avait-elle seulement pris le temps de le regarder dans les yeux ? C’était bien dommage. Elle avait alors manqué un joli spectacle jusqu’ici.

Les iris d’Héphaïstos étaient flamboyants. Littéralement. Des flammes jaunes, oranges et rouges dansaient comme dans des foyers de cheminée. Elles léchaient chaque contour du visage d’Aphrodite. La déesse voyait bien qu’il luttait pour ne pas descendre plus bas, pourtant il était indéniablement attiré vers les formes généreuses de la plus belle femme du monde.

Alors qu’il commençait à refermer sa bouche, Aphrodite fondit sur lui et poursuivit leur baiser. Sa langue avait enfin ouvert le barrage et rejoignit celle du dieu. Elle sentit son corps se tendre un instant, probablement l’étonnement, mais il se fit rapidement à la sensation et y prit goût à en croire les tours de sa langue.

Sa prise sur la hanche d’Aphrodite se fit également plus forte. Pas douloureuse. Bien au contraire. Son contact lui provoqua des décharges électriques dans le bas de son ventre. Elle passa ses bras autour du cou d’Héphaïstos. Elle y jeta un coup d'œil, le halo de sa divinité gagnait en intensité. Sa douleur n’était plus qu’un lointain souvenir.

Qui aurait pu croire que le dieu éclopé et solitaire pouvait être si passionné ? Qu’il pouvait lui offrir tant de pouvoirs ? Peut-être que cela suffirait. Peut-être qu’elle n’aurait plus besoin de mendier de l’amour. Qu’il pourrait lui suffire. Un temps. 

Un sourire satisfait sur les lèvres, elle commença à onduler contre Héphaïstos jusqu'à s’asseoir sur ses genoux. Au moment où elle se posa, il poussa un gémissement.

Normalement à ce moment-là, ses amants gémissaient de plaisir. Celui-ci ressemblait plus à un cri de douleur.

  • Par tous les Titans ! Je suis désolée ! s’exclama-t-elle en se mettant sur le côté.
  • Non non, ce n’est pas ta faute, la rassura-t-il, les sourcils froncés par la souffrance. C’est mes jambes. Elles n'avaient encore jamais… hum… porter quelqu’un.

À la fin de sa phrase, son visage vira aux rouges. Aphrodite laissa échapper un rire, accompagné d’autres éclats.

  • Te moque pas ! se lamenta-t-il, prenant de plus en plus la teinte d’une tomate mûre.
  • Je te promets de faire attention la prochaine fois.
  • La prochaine fois ? dit-il les yeux ronds.
  • Bien sûr. Ce baiser était bien mignon et m’a permis de reprendre un peu de force, mais je ne sais pas combien de temps ça va durer…, expliqua-t-elle en lui montrant sa lueur divine. À moins que tu ne veuilles pas recommencer ?
  • Non ! Enfin si ! Je veux dire oui, ça m’a plu. Beaucoup ! Et j’aimerais recommencer, vraiment, assura-t-il. Mais plus… Je ne sais pas. Je peux y réfléchir ? demanda-t-il gêné.

Il se tortillait à côté d’elle, évitant son regard. Aphrodite posa une main réconfortante sur son bras.

  • Hey, je suis la déesse de l’amour. Pas un satyre en chaleur. Et forcer les gens, ce n’est pas du désir. C’est malsain et égoïste. Prends ton temps, réfléchis-y, soit en accord avec toi-même et si tu te sens prêt, dis-le à ta femme, répondit-elle avec un clin d’œil. Et puis, si tu continues de me regarder comme ça, en plus de tes baisers, je pourrais m’en contenter. Le temps que les humains terminent leurs guéguerres et recommencent à me vénérer.
  • Te regarder comment ?
  • Comme si tu me voulais.

-§-

Aphrodite aida Héphaïstos à redescendre dans la forge. Ses jambes avaient trop forcé lorsqu’il l’avait porté à l’extérieur. Heureusement qu’il avait sa canne, car il n’était pas un poids léger. Elle en profita pour lui demander comment il avait fait pour ne pas s’apercevoir que la sortie avait été changée par les cyclopes.

  • Comme tu as pu en témoigner, je ne sors pas beaucoup de chez moi. Alors, ils peuvent bien la changer de place, ça ne va pas être différent pour moi. Mais je leur demanderai de ne plus la bouger à partir de maintenant. Tu pourras partir et venir comme bon te semble.
  • Tu n’as pas peur que je m’enfuis, comme le pensent les cyclopes ?
  • Tu l’as dit toi-même : tu n’es pas ma prisonnière. Et puis on est marié pour le meilleur et pour le pire, n’est-ce pas ? En plus, comment vas-tu survivre sans mes baisers ?
  • Héphaïstos, essayerais-tu de me taquiner ? demanda Aphrodite, étonnée par la soudaine assurance du dieu.
  • Peut-être, mais ce n’était pas très réussi, admit-il en souriant.

En retournant dans sa chambre, elle contempla un moment son reflet lumineux dans le miroir. Elle avait trouvé un bon moyen sur le court terme. Il ne restait plus qu’à espérer que ces satanés humains arrêtent de s’entre-tuer. Et elle pourrait toujours essayer de convaincre Arès lors du prochain solstice. Le dieu de la guerre avait tendance à rapidement perdre patience. Lorsque la routine s’installait, il trouvait un autre jouet.

Pour une raison qu’elle ne s’expliqua pas, la déesse repensa au baiser d’Héphaïstos. Il avait fait ça pour elle, pour lui venir en aide. Pour la première fois, Aphrodite n’avait pas été l’objet de désir d’un autre.

Elle eut un pincement au cœur. Finalement, il n’était pas un rustre sans cœur. Juste un peu timide, et peu à l’aise avec les autres êtres vivants. Elle l’avait utilisé pour parvenir à ses fins et il lui avait tendu la main en retour.

Le pire, c’est qu’elle ne s’arrêterait pas là. Elle devait en apprendre plus sur ce mariage arrangé. Pourquoi si subitement ? Alors qu’Héra l’avait laissé tranquille ces derniers siècles. Et pourquoi la mariée à Héphaïstos en particulier ? D’autant plus que tous les dieux de l’Olympe savaient qu’Arès voulait Aphrodite pour lui seul. Quitte à la marier, pourquoi pas à lui ? Pas qu’elle en avait particulièrement envie, mais c’était bien plus logique. Aphrodite était persuadée que son mari en savait plus qu’il n’y paraissait. Elle devait encore gagner sa confiance.

C’était plus facile quand elle pensait qu’il était un monstre tordu et grognon. Elle se sentait moins coupable.

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