Ecriture intransitive

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J'écris pour écrire. J'assassine le cela.

Rêverie

Longtemps j’ai parlé pour ne pas avoir à écrire. Désormais j’écris pour ne pas avoir à parler. L’écriture, cette cape de safran que j’étends sur ma nuit intérieure. Le parler, ce manteau de velours que je porte l’été sur mon dos plein de sueur. Mais que puis-je écrire ? Mes yeux s’envolent par-delà la feuille où je fige cette question. Ils ne me donnent à voir que des murs ne m’inspirant rien que ma condition de prisonnier, des tabourets dont je doute que les pieds puissent longtemps supporter mon poids, que des strapontins, faute d’invités, ne se trouvant jamais dépliés... Tout dans ce qui m’environne me semble hostile. Rien ne me donne le luxe d’écrire quoi que ce soit. Rien, sinon ce que me propose mon imagination, cette fenêtre par laquelle je m’évade. Je peux donc écrire. Mais qu’ai-je à dire ? Ou plutôt, qu’aimerais-je dire ? J’aimerais ressusciter du royaume des morts des sensations chères de mon passé. Je ferme alors les yeux. Le gros rideau de la réalité, en réponse aux paupières tombées, s'abat sur le théâtre de mon for intérieur. Ainsi, derrière le velours de réalité et sous les projecteurs éteints, mon imagination s’élance sur le parquet des coulisses et danse, danse à m’en donner le tournis ! La poussière que ses pieds valsant soulèvent, engourdit peu à peu mes sens, jusqu’à m’endormir debout...

De la guerre !

Couché, je me réveillai avec une immense sensation de hauteur comme Napoléon portraituré sur son cheval blanc l'eût ressenti si son fidèle destrier eût daigné se cabrer au sommet de la vallée. Le sentiment de toute-puissance régnait sur mon cœur, qui lui palpitait plus lourdement au fur et à mesure que mes oreilles captaient de loin en loin le grondement des tambours. Allez ! Allez ! Tonna en ma direction la voix paternelle de ce qui devait être leur capitaine. La puissance sonore alla du Charybde des tambours, des chants de guerre et des « OUI CHEF » au Scylla de la foudre frappante, du vent mugissant et des cris d’un aigle à l’ombre enveloppant le tout. Le gravier d’où mon corps s’étendait sautait en manière d’avertissement. Dans un récit où l’imagination est reine, la prosopopée répond à la convocation royale en qualité de valet. À travers les sauts convulsifs du gravier et après que ma vue eut réussi à percer la brume, j’aperçus un gigantesque pin au sommet duquel une imposante chouette trônait avec l’intention de me dire, d’une voix à moitié hululante à moitié humaine : Lève-toi homme ! Lève-toi combattre ! Eût-elle dit un mot de plus que je n’aurais ramassé l’épée par-devant mon corps encore à l’horizontale. Ma colonne droite, mon buste reposant solidement sur mes deux jambes avec l’arme tranchante tenue non moins solidement par mes mains ; mon cœur tremblant d’un surcroît de fureur sous l’écho renouvelant graduellement ses « Lève-toi combattre » ; je fonçai à folle allure, la rage de vaincre s’élevant plus vite et plus haut que la sagesse du calcul. Je défonçai tout sur mon passage.

« Réveil »

Ah ! Ah ! Je fus réveillé par mes propres cris, debout. Mon imagination continuait, quant à elle, de dessiner des cercles dans l’obscurité des coulisses. Sur la pointe des pieds, tournant sur elle-même, je lui surpris un sourire vers je crois mon regard, souhaitant me dire quelque chose comme naguère la voix de ce qui devait être leur capitaine me semblait destinée à atteindre mes oreilles. Le sourire n’était déjà plus qu’un souvenir. La danse imaginaire, ou l’imagination dansante, voua à l’abandon tout signe d’amicalité et cessa enfin de voler dans les airs. Quand, tout à coup, elle frappa le sol qui, sans la lumière des projecteurs, ne se réduisait plus qu’à du noir au bruit incessant, insoutenable que le martèlement des pieds provoqua en chassant ses pas à la périphérie de mon ombre. De danseuse à la grâce telle qu’on n’aurait idée de lui tourner le dos, elle me donna la terrifiante impression d’apercevoir le spectacle d’un toréador face à un de ces grands taureaux noirs de colère qui, pendant ses nuits blanches enfermé, médite, médite encore et encore sa vengeance contre l’espagnol qui a eu la cruauté, froide, raisonnée de plonger sans sourciller sa lame dans la progéniture aux petits sabots. Je tremblai à la vue de cette silhouette et dont les cornes s’allongeaient cette fois bien en ma direction. Prête à charger, je fermai les yeux avant d’avoir eu le temps de voir l’ombre grossir. Elle se rua vers ma chair.

De la lumière à l'obscurité

J’ouvris les yeux après qu’une vague trouva pour roc ma nuque. Les rayons du soleil terminèrent leur course sur mon visage ; les mouettes improvisèrent un chant tel que les poissons affleurèrent comme charmés à la surface de l’eau sans craindre l’heure fatale. Elle, la surface, miroitait d’une belle teinte turquoise sous un ciel azuré sans nuages. Le temps était au silence. Moi, je savourai et comme sous l’effet d’une magie que l’on ne trouve qu’en mer, je glissai sur le dos. Borée endormi, Zéphyr charria à la suite de son carrosse ailé, conduit par des chevaux célestes, réellement olympiques, un vent doux, presque soporifique. Apaisé, béat comme jamais je ne l’ai été, l’harmonie du tout me donna à bâiller ; après quoi ma somnolence n’en fut plus qu’accrue.

Nul bateau ne forçait le vol des oiseaux à changer de direction comme aucune présence humaine ne réduisait la timidité des dauphins à s’abstenir de dessiner des demi-cercles à travers les vagues. Au contraire. Les êtres d’ici poursuivaient chacun leur mouvement et allégresse naturels. Je demeurai immobile de peur que les miens de mouvements ne soient regardés comme un malheur – le malheur qui aurait troublé cette harmonie sur ce fond de silence partagé. Tout, vraiment tout eût été parfait si un aileron n’eût slalomé... En sorte que partout où cet émissaire de la mort louvoyait, les petits poissons volèrent sur le dos des mouettes naviguant de leurs ailes à travers ciel. Mon cœur tendu d’un sens, mon espoir de l’autre, mes yeux décochèrent un regard de supplication à l’endroit de ces déserteurs des airs. L’harmonie suivit leur trace, sans mot dire.

Maudire, maudire, moi je le dis, le scande, le hurle – mau-dire ! – dans l’ultime espoir que cette nageoire triangulaire ne rimera pas avec meurtrière quand bientôt adviendra le vis-à-vis.

Mort

Mon inspiration se meurt.

J'espère que ce petit voyage vous aura au moins plu. À moi, il m'a plu.

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