Fils d'un Incroyant

7 minutes de lecture

Désert

Cet homme était seul et n'avait même plus d'ombre pour se sentir un peu moins seul. Le soleil était trop là, trop éclatant pour que l'obscurité ne survive. La solitude au milieu du sable et de...et de rien d'autre. Il n'avait pas de nom. Cet homme, c'était moi en même temps qu'un peu de l'humanité. Seulement, dans ce peu il y avait l'humanité tout entière : ceux d'avant, ceux dont les noms n'existent pour plus personne, comme ceux silencieux d'hier, bavards d'aujourd'hui ou encore ceux impatients de demain. Cet homme, c'était l'Homme. Et il marchait sur des œufs de sable. Et chaque pas lui faisait mal ; et comme chaque mal lui faisait faire un pas... alors, chaque grimace témoignait de son incrédulité à croire que « les choses vont aller ».

Sa vue était encombrée de soleil (l’œil de celui-ci défiait l’œil de celui-là) comme son corps presque nu orangé, brûlé, noirci finalement. Il hurle. Puis, le silence et la grimace poussée du ventre par la gueule d'un bœuf : bovin le regard, bovins les narines et le souffle, bovin le rond de la bouche. Tout à coup et tout d’un coup, tout de bovin. Mais c'était moins qu'un minotaure. Lui, à cause qu'il regardait trop en face et de trop près le soleil, ce n'était plus qu'un homme sans l'être, sans tronc, un sans branche et sans espèce. Seul et abâtardi, ce n'était plus qu'un simple quelque chose ou juste un je ne sais quoi à tête de bœuf. Il était seul dans ce désert, mais ne l'avait pas toujours été.

Il est vrai que maintenant cela remonte, mais il connut aussi bien les rivages blancs, la terre plate, la course des elfes que la cité d'Atlantide où passaient les géants comme les nains, les dinosaures comme les dieux curieux ! Il connut tout cela, et bien plus même. En ce temps, le Sablier, et encore moins le tic-tac des horloges, n'existaient. Un temps sans temps oui. Blanc, pur, sans mélange. Un temps lumineux qui se réfractait à l'infini vers des ailleurs où on pouvait encore fouler terre ! Un temps qui s'allongeait sur des espaces d'à côté comme une femme qui se laisse tomber à la renverse par l'appel mystérieux du lit à une heure où on ne pense d'ordinaire pas au lit. C'était un temps des origines, ne sachant pas encore marcher et encore moins courir devant soi. Il en allait ainsi, et lui justement eut à connaître cet ainsi et tout ce qui se cachait dans son ombre.

Puis l'Arche. Sur le rivage, il fit le choix de le regarder, Noé et les autres, naviguer jusqu'à devenir point noir évanescent et enfin disparaître. Il le fit, parce qu'il se refusait de voir du côté de la vie. Seul, encore et toujours, en dépit des vagues qui léchaient ses pieds et de l'ombre des vautours qui dessinaient des ronds de mort au-dessus de lui. Il savait. Il savait qu'il mourrait. Et encore plus en ne montant pas sur le grand bateau. Mais il ne voulait pas être sauvé. Pas plus qu'il ne voulait en cet instant que la terre ne cessât de trembler, que tous ces laissés-pour-compte sans descendance (ces mammifères, ces plantes, ces oiseaux, moins que des prolétaires) ne cessassent d'aboyer bizarrement, et que les oiseaux noirs, surtout en ce moment, ne cessassent de nager dans l'humidité de l'air juste au-dessus.

Le crépuscule vint et le feu d'entre deux morceaux de silex jaillit. Il s'assit, se réchauffa contre le rouge qui s'envola alors vers le gris du ciel. Il savait. Il était sûr de lui et à aucun moment, il n’aurait à regretter sa décision. Son esprit comme son cœur. Tout était tranquille. Aussi, il dormit du sommeil du Juste. Et au matin il suivit une hirondelle, dont on ne trouve aujourd'hui que la carcasse dans les musées préhistoriques. Elle, qui se frayait un minuscule chemin entre les quatre vents, et du cinquième : qui annonce l'Apocalypse pour bientôt. Lui, qui fronçait les sourcils devant la sueur et le soleil mais souriait toutefois et marchait sans jamais s'arrêter. Un jour, deux jours, trois jours (et à peine une nuit pour ces trois jours quand il somnolait debout). Enfin, il s'arrêta et se parla à lui-même pour la première fois.

Mirage

Je suis seul. Trois mots. Et rien qu'un souffle pour les dire. Et un cri pour maudire le ciel ! Mais à qui donc, là-haut, est-il destiné ? Puisqu'il est seul à présent que les émissaires de la mort, les vautours, et le reste sur le rivage ont tous décidé finalement (à la nage pour certains – mais noyés finirent la plupart – ou sur le dos des oiseaux pour d'autres) de gagner l'Arche, quelque part au loin.

Un océan de sable dont les vagues de poussières ondulent à la surface du reflet solaire et rien d'autre qu'un silence balayé de temps en temps par une rafale de vent. Et le temps qui passe déroulant une barbe si longue qu'elle s'en mêle ce matin dans ses pieds et sa chute si régulière l'après-midi qu'elle élève toujours plus haut sa volonté d'en finir enfin au crépuscule.

Sous le regard d'un dieu imaginé, au bord d'une falaise pas plus réelle, il joua à faire semblant pour donner de l'importance à ce qu'il restait de sa vie. Élan, saut. Élan, saut. Élan, saut. Puis, plus rien : il se sentit ridicule de faire « comme si », et le jeu s'arrêta. Nuit sans obscurité, nuit rouge. Il regarda, allongé, la tête en direction du ciel, ce qu'il imagina pour le plaisir être l'élu parmi les élus : un grain de poussière qui, au milieu de millions de petites larves également poussiéreuses et convulsant dans un surplace à hauteur de pygmée, déploya ses ailes et s'envola atteindre l'image du beau et grand papillon à jamais éternel !

Ainsi, le petit être volant l'accompagnait à chaque instant, tant qu'il le désirait. Il ne fut plus vraiment seul. Mais ici, et en dépit de l’œuvre ailée de son imaginaire, dans ce présent-ci, il n'avait plus la force de se relever.

Le désert le clouait encore et toujours à son lit de sable. Jusqu'à ce qu'un cri, quelques lunes après le sien peut-être, retentît et le réveillât pareil au chant du coq, et le surprît à se mettre aussitôt debout. Un quelque chose de toujours plus aigu, mais nulle silhouette ne se dessinait à l'horizon. Juste une plainte froide, métallique, à intervalles réguliers, rafraîchissant ainsi ses sens accablés par ce soleil-chasseur qui poursuit sans relâche son gibier.

Les nuits passèrent et l'absence de silhouette, par cela même que le cri à chaque apparition du jour le tira de ses cauchemars, finit par devenir pour lui, présence ici comme ailleurs. Il résolut, on ne sait comment, de voir ce que les yeux ne peuvent voir. Mirage qu'il savait, au fond, qu'il était tel. Mais ce n'était pas grave. Il l'accepta. Et ainsi, le jeu se rejoua. Et c'est au nom d'une force d'autant plus grande qu'inconnue qu'il cessa enfin d'essayer de défier le soleil comme son regard se détourna enfin de la folie qui consiste à faire croire qu'il est bon de fixer droit dans les yeux la mort elle-même ! Il reprit goût à la vie.

Oasis

Les fantaisies de mes créatures intérieures sont devenues les caprices de dieux promus ! L'oasis que l'homme vit devant lui était un mirage. Elle était tout de même là, cette chose, et il y croyait durement quand bien même il savait l'illusion ; et il y but l'air et y respira l'eau. C'est alors qu'au-dessus de lui, soudain, non que le ciel s’ouvrît, mais l'absence de tout s'éleva à la dignité d'une présence comme l'absence de divinité dans son cœur se transforma en mère de toute divinité... ! Croire pour voir et non plus voir pour croire ! Il hurla de rage et de joie dans un même et dernier souffle ! L'impasse avenue ; ciel, terre… ! Et perdit l'équilibre. Sur le dos, un tamis de poussière sur le visage, il se mit à peindre du pinceau de son âme les contours d'une étoile, dont il entendait remplir l'intérieur d'une lumière qui guiderait bientôt sa descendance – eux, les Fils à venir d'un Incroyant, qui croit en l'incroyance ! Il poursuivit (en apnée) l'exclamation de ses vérités successives tandis qu'une espèce inédite de vautours, née des flammes, des rires et des enfers, embrasserait sous peu, tout à tour, le rose de sa chair.

Le vent, le soleil et les monstres le dévoraient petit à petit par morceaux toujours plus gros, dans un va-et-vient infernal. Lui, pourtant, ne sentait que le parfum des fleurs bordant l'oasis, là où il se rafraîchirait bientôt tout en contemplant l'eau claire. Et il y murmurerait avec bonheur des secrets qui s'en iraient couler paisiblement vers le fond.

Sa peau se détachait toujours plus. Et presque tous les ongles plantés dans le noir plumage, et le gros de la chair dans les airs.

Son visage néanmoins souriait, toujours, en se détournant du reste : la salive et la folie carnassière des assaillants… mais son œil se détournait surtout du froid de la mort, qui rampait, elle, à bonne allure sur l’homme. Le corps, lui, ne se débattait déjà plus, immobile ; et quand il le faisait encore, par légères convulsions, c'était seulement par réflexe animal.

Dans un clair-obscur, en terre et sous lune germaniques, un être émergea alors comme par magie tout comme l'Arche quelques millénaires plus tôt sur le Mont Ararat. Il se leva, seulement quand il en eut la force – au crépuscule de sa vie. Et brutalement, il vit jour dans la nuit, il vit ce que les contemporains de toute époque ne peuvent et ne pourront jamais sentir, vit ce que les yeux eux-mêmes ne pourraient jamais dessiner. Loin du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, Nietzsche de son nom, Friedrich de son prénom, dansa sous l'étoile non loin de l’homme, dansa jusqu’à détourner son regard, dansa jusqu'à ce que mort s'en suive.

Aujourd'hui l’aîné de mes frères n'est plus qu'un souvenir et l’homme plus que poussière ; le temps est gris. Mais peu importe ! Car, à mon tour, j'apprends, j’apprends à danser – dans la ronde et l'ivresse entre rires et sorcières du dernier et éternel sabbat – pour être prêt, le jour dans la nuit, où moi aussi je verrai – et du peu alors que je vivrai, je vivrai enfin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 43 versions.

Vous aimez lire Adrien Carpe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0