Chapitre 2

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Je dépêche d'aller prendre une douche et de me changer en rentrant pour éviter toute question de la part de Sophie ou de ma mère. Pas la peine de les inquiéter alors que je viens tout juste d'arriver, il est encore trop tôt pour se laisser abattre par un si petit incident. D'autant que je suis déterminée à toucher deux mots à ce dragueur de première si je le recroise. Je décide d'enfiler un simple short en jean avec un débardeur avant de descendre. 

Je retrouve les adultes en train de préparer le repas et propose mon aide pour mettre la table. Je m'étonne lorsque Sophie me dit de ne mettre que trois assiettes mais m'exécute sans faire de commentaire. 

– Alors Hana, tu t'es lancée dans une licence de droit ? m'interroge mon hôte pendant le repas. 

–  Oui, je m'intéresse beaucoup au droit privé surtout. Les affaires familiales, le droit social, le droit du travail... C'est surtout dans ça que je veux me spécialiser. 

Débattre, défendre ses idées, l'art de la rhétorique et de manier les mots, tout cela m'attiré très tôt. Je trouve que c'est un métier puissant qui peut apporter beaucoup et faire changer certaines choses. 

–  Je suis contente pour toi que tu aies trouvé ta voix, Eyden est tellement indécis ! Il est bilingue en espagnol et est très fort en traduction de textes latins. Il est en train de se mettre au portugais et au français. 

–  Il est en deuxième année de fac de langue, c'est ça ?

–  Oui, soupira Sophie. Mais il est assez turbulent alors même s'il a du talent, il n'exploite pas vraiment ses capacités.

Sa façon de serrer sa fourchette m'indique que le sujet est plus sensible qu'il n'y paraît. Pour la première fois, je me surprends à me demander à quoi ressemble ce garçon dont j'entends parler depuis mon arrivée. Ma mère m'a dit que je pourrais essayer de devenir amie avec lui mais je n'ai été amie avec personne depuis ce jour où tout a basculé. Je souffre suffisamment au quotidien pour m'imposer une amitié où je serais sans cesse jugée. J'ai renoncé à plusieurs choses depuis mon accident et l'amitié en fait partie. Je n'ai pas besoin de faux-semblants des gens dans cette société qui rejette toute différence alors je préfère être seule qu'être critiquée dans mon dos. L'honnêteté est un de mes plus grands points d'honneur. 

Après le repas, j'aide à débarrasser et salue les deux femmes avant de rejoindre ma chambre pour commencer à ranger mes affaires. C'est là que je remarque plusieurs livres dans ma table de chevet. Je remarque beaucoup d'auteurs anglais comme Jane Austen ou Emily Brontë mais aussi des auteurs français avec Victor Hugo et espagnols pour Cervantès par exemple. Je feuillette ces éditions anciennes en version originale. J'aime l'odeur qui s'en dégage qui m'apparait fortement. Mes autres sens que la vue se sont rapidement développés et je suis plus sensible à ce qui m'entoure que les autres. J'ai appris à trouver du plaisir dans des choses simples depuis mon accident. 

Je remets le livre à sa place et me dirige vers le balcon pour m'accouder contre la rambarde. J'apprécie la fraîcheur du soir qui se colle contre mon visage. Il est près de vingt-deux heures et la ville est plus calme même si pas mal de gens sont encore en train d'arpenter les rues. 

Je me surprends alors à penser de nouveau à ce fameux Eyden qui doit faire partie de ces personnes. Il doit vraiment être passionné par la littérature étrangère pour avoir lu tous ces classiques. J'ai même remarqué quelques œuvres philosophiques dans le lot. Je me mets alors à l'imaginer. Je le vois vers le mètre quatre-vingt avec des lunettes et des cheveux lui tombant sur les épaules, plutôt social, aimant parler culture avec les autres. 

– Alors c'est toi notre nouvelle pensionnaire ?

Je sursaute à l'entente de cette nouvelle voix et me tourne vers le nouvel arrivant. Je reste là, ébranlée à le contempler. L'image que je viens de créer se fissure sous mes yeux pour laisser place à un jeune homme d'un mètre quatre-vingt-cinq, les cheveux courts avec une mèche tombant sur le côté droit de son visage et une carrure reconnaissable entre toutes. Devant moi, se tient le garçon arrogant de la plage ! 

Sans me laisser le temps de répondre il reprend :

– Tu tombes bien, j'avais à te causer. Ici c'est chez moi, mes règles. Ma mère peut bien faire toutes les folies qu'elle veut, je ne compte pas faire ami-ami avec une pauvre fille paumée. Alors tu te fais discrète, tu te fais oublier et tout se passera pour le mieux.

Sur ces dernières paroles, il s'empresse de quitter son balcon en claquant sa porte fenêtre en me laissant derrière lui, bouche bée devant tant de culot. Social, hein ? Je n'en reviens pas de voir un tel changement de caractère, et il ne m'a sûrement pas reconnue. 

Je regagne à mon tour ma chambre, furieuse contre moi-même en réalisant que je l'ai une nouvelle fois laissé s'échapper sans rien dire. Mon regard croise de nouveau la pile de livres et un sourire effleure mon visage comme une idée commence à jaillir de mon esprit. 

Je m'empresse de chercher une feuille et un stylo avant d'écrire de ma plus belle plume :

Je vois que nous sommes d'accord sur le fait qu'il vaut mieux nous ignorer, nous n'avons visiblement rien à nous dire. Et puis, je n'ai rien à faire avec un être resté sauvage sans raffinement. Moins j'aurais affaire à toi, mieux je m'en trouverais. 

Je prends mon papier et sors de nouveau. J'arrive à passer sans trop de difficulté d'un balcon à l'autre et colle mon papier sur sa fenêtre avec de l'adhésif. Je le vois allongé sur son lit, les yeux fermés et m'empresse de faire demi-tour sans me faire remarquer. Une fois revenue dans une zone sûre, je dois m'éteindre au maximum pour atteindre sa fenêtre et cogner un coup dessus pour attirer son attention avant de vite me replier dans mes quartiers. 

Je finis mon rangement, satisfaite de mon coup quand j'entends moi-même un cognement sur mon carreau une dizaine de minutes plus tard. Je ne peux m'empêcher de sourire en voyant son message, qui répond directement au mieux puisqu'il a écrit la suite du passage des Hauts de Hurlevent que j'ai recopié sur le mien en le qualifiant des mêmes termes qu'Heathliff :

Il vaut mieux pour toi, ma belle. Parce que je suis un homme féroce, impitoyable, un loup.

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