Chapitre 16

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C'est donc avec du Yiruma dans les oreilles que je me rends à la librairie le lendemain. La mélodie d'Eyden me tourne en tête depuis hier alors à défaut de pouvoir l'entendre jouer, j'ai téléchargé la musique sur mon téléphone. Même si je dois avouer que je ne retrouve pas les frissons qui m'ont traversé la veille en entendant ces accords si riches en émotions. 

L'air marin me frappe alors que je tourne dans la rue où se trouvent les boutiques situées en bord de mer. Mes longues mèches folles se collent contre mon visage et je m'arrête deux minutes face au vent le temps de les nouer en un chignon un peu lâche. 

C'est à peine quelques mètres plus loin que je tombe sur la librairie de Noah. L'enseigne affiche en bleu marine "Librairie de la plage". Avant que je ne puisse m'appesantir sur l'originalité du nom, je vois le visage de Noah apparaître derrière la vitre et me faire signe d'entrer. Sans plus d'hésitation, j'ouvre la porte qui annonce mon arrivée dans un joli tintement de sonnette.

—  Bonjour Noah.

Il me rend mon salut avec un sourire éclatant qui traduit toute sa joie de me voir ici.

—  Bonjour Hana. Comment vas-tu aujourd'hui ?

— Très bien et toi ?

— On ne peut mieux ! Je te laisse trainer un peu dans les rayons et chercher ton livre le temps que la fin de mon service arrive.

Je hoche la tête avant de suivre son conseil. Ce n'est pas moi qui me plaindrais de disposer de quelques minutes pour flâner au milieu de bouquins. Je laisse courir ma main sur la côte des ouvrages en avançant jusqu'à l'étalage des œuvres philosophiques. Je trouve rapidement celui que je cherche mais mes yeux restent incapables de se détacher de tous ces livres autour de moi. Je scanne d'un regard vif tous les titres, toutes les couvertures quand un nom d'auteur attire mon attention. Camus. Je ne connais pas sa nationalité mais je me souviens parfaitement avoir vu Eyden avec une de ses œuvres dans la main il y a deux jours. Évidemment, en version originale. Je tire sur la côte de ma trouvaille pour en découvrir le titre. The Plague. Je l'ouvre et tourne les deux premières pages avant de trouver ce que je cherche ; la biographie de l'auteur. C'est la première chose que je lis à chaque fois. J'apprends que l'auteur est originaire d'Algérie française et que le nom original est La Peste. J'essaie de le prononcer dans ma tête mais le français n'a jamais été mon fort. 

—Alors, tu as trouvé ton bonheur ?

Je manque de sursauter suite à l'intervention de Noah que je n'ai pas entendu arriver. 

— Oui j'ai tout ce qu'il me faut, merci.

Juste comme je m'avance vers la caisse, le libraire m'interpelle.

— Je te les offre.

— Oh, je ne peux pas accepter, Noah, dis-je en faisant me tournant vers lui. 

— Bien sûr que si, c'est cadeau de la maison.

Je balbutie quelques remerciements en comprenant qu'il ne va pas lâcher l'affaire, même si ça me gêne. Il me tend la main pour m'entrainer vers la sortie de la boutique.

— Tu viens ?

Une légère rougeur s'installe sur mes joues mais je passe devant lui en ignorant sa main, faisant mine de ne pas l'avoir remarquée.

— Allons-y.

Je le suis alors qu'il me guide jusqu'à la terrasse d'un café à quelques pas de là. La rentrée a beau être passée, le bord de plage et les bars environnants sont encore remplis de monde. 

— Alors comme ça tu aimes la philosophie ? me demande-t-il pour lancer la conversation en regardant mes deux ouvrages toujours coincés sous mon bras. 

— Oh, ça. Pas vraiment. Il y en a un pour les cours et disons que j'ai pris l'autre par curiosité mais ce n'est pas ce que je lis majoritairement. Je suis plutôt fantastique, j'ajoute en rangeant mes bien dans mon sac de cours.

— Ah oui ? Je n'aurais pas pensé ça. Qu'est-ce que tu aimes dans ce genre ?

— L'évasion, je réponds du tac au tac. Pour fuir la réalité de ce monde.

— Et que veux-tu fuir exactement Hana ?

Pas besoin de voir le monde en couleur pour comprendre qu'il me fixe intensément. J'ai l'impression qu'il voit jusqu'au tréfont de mon âme et je ne peux empêcher un frisson de me parcourir le corps. Quelque chose dans son regard me dérange jusqu'à me mettre mal à l'aise. Tout à coup, j'ai envie d'être très loin d'ici. Très loin de lui. 

— Je viens de me rappeler que j'avais promis de passer acheter de quoi manger pour ce soir. Je suis vraiment désolée Noah, mais je dois y aller.

D'un geste vif, sa grande main retient mon poignet alors que j'amorce un mouvement pour me lever.

— Je t'en prie, reste encore un peu.

Je tire sur mon bras en espérant vainement lui faire lâcher prise.

— Je n'ai pas le temps. Lâche mon poignet s'il te plait, je lui demande plus sèchement. 

Il ne bouge pas et se contente de poser sur moi ce même regard dérangeant. 

— Tu es sourd ou quoi ? Elle t'a dit de la lâcher.

La main de Noah se deserre face à l'intervention du nouvel arrivant. Sans un mot de plus, mon "sauveur" m'entraine avec lui vers le centre ville.

— Tu as l'air d'être un véritable aimant à problème toi.

Je ne réagis pas immédiatement, trop étonnée de me trouver face à Shun. 

— Tu me remercieras plus tard, monte, je te ramène.

Je m'execute sans broncher. Le trajet est des plus silencieux et je sens l'ambiance tendue. Il n'a même pas allumé la radio pour combler un peu ce vide. Ce n'est que quand il s'arrête devant la maison de sa famille que je lui lance d'un ton un peu hésitant :

— Merci...

Son regard ne quitte pas le pare-brise devant lui. 

— Est-ce qu'il t'a déjà fait du mal ?

Je n'ai pas besoin de lui demander des précisions pour comprendre de qui il parle.

— Non. Au contraire, il m'aide beaucoup. Et il faudra plus qu'un Eyden pour me faire du mal. 

Enfin, pour le moment, j'ajoute intérieurement pour moi-même.

Je sors du véhicule sans attendre sa répondre, saisissant juste au passage son regard étonné.

Aujourd'hui, il n'y a pas un bruit quand je rentre et c'est presque machinalement que mes pas me portent jusqu'à la pièce où j'ai vu Eyden jouer hier. Je m'approche de cet instrument qui m'attire irrésistiblement. J'ai envie d'en revoir jaillir la même magie qu'hier. Instinctivement, mon doigt presse le do. Au collège, j'ai eu une professeure de musique qui était fan d'Edith Piaf. Elle nous a appris le début de La vie en rose au piano et mes doigts se mettent à jouer lentement les premières notes, ayant retenu une danse sur les touches que mon cerveau avait oublié. Je me mets à chantonner doucement les paroles dans un français qui ferait hurler de rire un natif. Mais ça me détend et c'est le principal.

—  J'aimerais que la vie soit un peu plus rose des fois.

Cette fois-ci, je sursaute pour de bon. C'est au tour d'Eyden de me surprendre aujourd'hui. Mes yeux se baladent de lui à l'instrument alors que mes doigts se sont immobilisés. Je décide de les planter dans les siens lorsque je lui déclare :

— Toi au moins tu peux en voir ses couleurs.

Je ramasse mon sac pour aller travailler dans ma chambre, non sans remarquer qu'il aborde le même regard surpris que son frère il y a à peine quelques minutes...

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