Chuchotis

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Souvent, je disparais la nuit. Plongée dans des divagations délirantes, je sublime mes prétentions, m’observe écrire, savoure le goût de l’encre glissant sur la feuille.
Je vous invente par vagues de mots déversés en cascade sur vos vies devenues miennes.
Mes démons enfin assagis, je les laisse m'échapper, prendre leur envol, vous rejoindre et s’ancrer en vous.

Au fond de vous enfermée, c’est pourtant moi qui vous possède. Vous m'écoutez composer ; mes battements célères se mêlent à vos respirations naissantes, enchaînent votre souffle nouveau au mien haletant.
Derrière mes paupières, je perçois une bouche gourmande, une expression insolite, des regards renversants. J’entends des voix sereines, des cris mordants, des rires tonnants. Alors, pour ne pas les égarer ou les oublier, je les sculpte, les fige sur le cahier conteur de mes histoires.

Tandis que je ne suis qu’impétuosité, près de vous je me fais patiente. À travers vous, je dompte ma folie et ma violence toujours promptes à s’emballer. Je vous veux assez inspirants pour illuminer ma noirceur. Ainsi, mon seul but consiste à tenter de vous amener à me réparer. Et vous y parvenez. Grâce à vous, j’apprends à naître et à mourir chaque jour. Il me suffit de vous inviter à rejoindre mon univers, à m’y accompagner afin d’habiter mes décors, de revêtir mes costumes conçus à vos mesures et vous investir des rôles auxquels je vous destine. Vous n’existez que par moi et pour moi. Pour qui d’autre, sinon quelques rares lecteurs curieux d’auteurs amateurs à l’agonie.

Vous, homme mystérieux à chaque fois différent, vous pouvez me réconforter, m’apaiser, ou au contraire me provoquer pour attiser ma fureur. Mon humeur reste l’unique baromètre ; fidèle, elle me guide pas à pas, décide de votre sort en maintenant la distance que je vous impose.

À l’inverse d’hier, où vous étiez l’ennemi juré transpercé par la lame acérée de mon kriss, ce soir nous allons nous aimer. Je vous donne le tempo et déjà vous voguez vers moi, audacieux, prêt à m’enfiévrer. L’heure est au désir, à la sensualité. Vous vous glissez contre moi, mon corps s’imprègne du vôtre. Nous fermons les yeux afin de mieux nous deviner, puis les rouvrons pour s’assurer de ne pas rêver. Nous basculons, nous fusionnons nos peaux ruisselantes d’envie. Nos lèvres s’effleurent, se dévorent, tandis que nos doigts habiles serpentent, s’explorent. En quête d’ivresse, nous jouons à quatre mains la danse du désir et du délice, afin que dure cette douleur diffuse qui rend faible et vulnérable. Le rythme de nos gestes s’impatiente, attend, s’élance, accélère. Enfin, nous nous évanouissons, pris dans un tourbillon vertigineux, à ce moment précis où mourir n’a plus aucune importance.

Demain, je vous chasserai et vous haïrai de m’avoir bouleversée, peut-être ; à moins que je vous garde, là, tout près, et vous réserve un dessein particulier dont j’ignore encore s’il sera léger ou tragique.

Étrange imagination, capable de m’offrir le pouvoir de créer des êtres éphémères, adversaires à abattre, ou amants esclaves de mon bas-ventre, tous disposés à me pardonner de les quitter quand bon me semble, dès mon stylo reposé.

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