Qui était-il ? D’où venait-il ? Que voulait-il ? Autant de questions auxquelles nous n’aurions pas su vous répondre, car le Voyageur comme nous l’aimions le surnommer, n’était guère bavard à ces sujets-là. C’était un homme des plus étranges et des plus mystérieux dont la vie était un épais voile d’obscurité. Son visage sans âge reflétait une grande sagesse. Ses grands yeux sombres exprimaient autant la malice que le mystère. Tandis que sa longue tignasse qui lui tombait sur les épaules, ne faisait qu’accentuer son aspect rustre pourtant, il dégageait néanmoins un charme surprenant qui faisait de lui un personnage des plus fascinants. Les hommes l’admiraient et les femmes le voulaient.


Ce fut par un soir d’hiver qu’il arrivait dans notre petit comté des Landes. Sa grande stature se distinguait dans le paysage froid et glacial de l’hiver. Son épais manteau noir lui donnait une apparence fantomatique tandis que ses longs doigts effilés rappelaient les pattes de grosses mygales. En entrant dans l’auberge, tous les regards se tournèrent naturellement vers lui.


-Bonsoir ! Aubergiste, je voudrais une chambre, s’il vous plait. Annonça-t-il de sa voix envoûteuse. Et de préférence, une qui donne une vue sur le lac.
Quelques instants durant, l’aubergiste sembla hypnotisé puis revient à la raison.


-D’accord… Bafouilla-t-elle. Vous prendrez la chambre 14. Asseyez-vous en attendant que votre chambre soit prête.


Elle lui en indiqua d’un geste de la main un petit fauteuil niché dans le petit salon au coin du feu.


-L’attente ne sera pas très longue. Ajouta-t-elle.


- Oh… Ma foi, prenez autant de temps qu’il vous faudra, car je ne suis pas très pressé.
Il lui sourit.


-Voyez-vous, j’eus tout le loisir du monde de me reposer dans ma cabine durant mon long voyage vers votre village. À ce propos, dit-il en agitant le doigt, vos paysages campagnards sont sublimes à regarder…


L’aubergiste semblait conquise.


-Si vous le voulez, il y a des très belles maisons d’époque à admirer dans le centre du village. 
L’étranger sembla songeur.


-Hmm… Cela me semble fort intéressant. J’y réfléchirai.


Sur cette pensée, il alla s’asseoir. Durant tout ce temps, les autres clients n’avaient pas perdu une miette de la conversation et détournèrent le regard tels des souris apeurés au passage du Voyageur dans le petit salon. 
Le fauteuil lui semblait très confortable pourtant au toucher, il était rugueux. Mais avec sa diplomatie, il fit paraître le contraire de son désarroi en public. De sa malle, il sortit un gros bouquin poussiéreux et s’y plongea dedans.
Le nez enfoui dans son livre, les clients profitèrent pour le dévisager et l’observer. 
Cet homme lui paraissait si étrange et pourtant si attrayant. À s'y méprendre, il aurait pu passer pour un noble de la région s’il ne portait pas sur son dos cet horrible manteau noire et ses vêtements si rustiques !


Dix minutes passèrent avant que l’aubergiste n'invitât à monter dans sa chambre.


-Voulez-vous de l’aide pour vos bagages, monsieur ? Lui demanda-t-elle.


Il refusa de la main :


-Ne vous inquiétez pas pour cela, ma chère. Je me chargerai de monter mes bagages tout seul comme un grand.


Elle parut un peu déçue de sa réponse puis se ravisa d’un sourire :


-Si vous le dites. Tenez, dit-elle en sortant de sa poche un trousseau de clés, voici votre clé de chambre.


L’homme prit la clé dans ses mains :


- Je vous remercie et bonne soirée.


-De même, monsieur. Répliqua-t-elle d’un ton rêveur.


L’homme disparut dans le corridor sombre de l’étage tandis que l’aubergiste retournait à ses basses besognes. Après quelques mètres de marches, il arriva à sa chambre, et après avoir jeté un dernier regard derrière lui puis il prit ses bagages et entra…