Professeur Higgs

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(Ceci est le remake d'une vieille histoire sur laquelle j'ai eu envie de revenir et qui avancera à un rythme trèèèès aléatoire. Si elle avance.

Considérez cela comme un cadeau de Noël, même si ça n'a rien à voir avec Noël)

"L'escalier de la science est l'échelle de Jacob, il ne s'achève qu'aux pieds de Dieu."

Albert Einstein

An 28 après Dieu

 Madame Sanders patientait dans la salle d’attente. Quoique, à son attitude, patienter était un bien grand mot. L’agricultrice se rongeait les ongles, allant jusqu’à s’arracher inconsciemment quelques lambeaux de peau. Ses yeux jouaient du ping-pong entre la vieille horloge au mur et son fils. Ce dernier lisait une bande dessinée. Baltazar avait dix ans mais il n’avait déjà plus de cheveux. C’était là le seul résultat de ses chimios.

 Ses médecins l’avaient annoncé. Il était condamné.

 Non… Madame Sanders ne pouvait s’y résoudre. Elle le refusait ! Mais puisque les médecins ne pouvaient plus rien faire, elle s’en était remise à dieu.

 C’est dans l’église de sa paroisse qu’elle avait rencontré ce brillant étudiant. Le fils d’une amie qui était parti travailler à la capitale. De passage, il avait pu constater la peine de Madame Sanders. Il avait eu pitié d’elle. Il avait tenté de la réconforté. Mieux. Il lui avait décroché ce rendez-vous avec son patron.

 « Vous verrez, Madame Sanders, c’est un homme extraordinaire ! S’il y a quelqu’un qui peut vous venir en aide en ce bas monde, c’est forcément lui. »

 Au moment où l’horloge indiqua 14h30, soit l’heure de son rendez-vous, la porte du bureau s’ouvrit. Madame Sanders se leva aussitôt, suivie par Baltazar. Dans l’encadrure, un androïde leur faisait signe d’entrer. Ils ne se firent pas prier plus longtemps.

 Se retrouvant d’abord dans un couloir de la maison-mère à l’Elefant Corp., madame Sanders se sentit comme une punaise dans une fourmilière. Des employés passaient par là dans un flot continu. Autant de blouses blanches que de chemises noires à cravates échangeaient quelques mots ou documents avant de repartir de leur côté. L’agricultrice, elle, n’avait pas la moindre idée du chemin à emprunter.

 Heureusement, l’androïde passa devant eux et leur fit signe de le suivre. Elle n’avait jamais été une grande admiratrice des technologies de pointe, mais elle était contente de se sortir de ce mauvais pas. Ils marchèrent un moment avant d’atteindre le bureau tant attendu. Sur la porte, son nom était indiqué en lettres d’argent. Le même que celui qui défilait dans les journaux plusieurs fois par an.

 Professeur Oscha Higgs. Le Ministre de la Santé internationale, fondateur d’Elefant Corp. et trois fois prix Nobel.

 Une sommité que madame Sanders n’aurait jamais cru rencontrer. Elle déglutit quand l’androïde ouvrit la porte sans même frapper pour s’annoncer. Le bureau était spacieux. Rempli d’écrans et d’armoires sur les murs, ainsi que de plusieurs articles. L’homme qu’elle n’avait vu jusqu’ici qu’en image se trouvait tout au fond, derrière une table sur laquelle reposaient d’innombrables documents. Alors qu’ils pénétraient dans son antre, le Ministre les accueillit en se levant.

 — Madame Sanders, si je ne me trompe pas ? Ravi de vous rencontrer.

 Il lui tendit la main, la laissant ébahie. Jamais elle n’aurait imaginé serrer la main d’un homme aussi important ! Ce dernier lui souriait avec bienveillance. Ses cheveux poivre et sel et ses quelques rides témoignaient de son expérience de la vie. Pourtant, malgré ses cinquante ans passés, le professeur Higgs dégageait toujours une vitalité certaine. Sa poigne surprit l’agricultrice qui n’était pourtant pas en reste. Il serra aussi la main à Baltazar puis leur indiqua deux sièges que l’androïde venait d’amener vers la table du fond.

 — Le jeune Gaspard m’a demandé de vous recevoir. Je crains n’avoir deviner la raison, mais j’aimerais que vous confirmiez mes soupçons, soupira-t-il en plongeant ses iris bleu sombre dans ceux de madame Sanders. Si ça ne vous dérange pas, vous pouvez me suivre tandis que vous parlez.

 Aussitôt, la mère de famille résuma la situation. La perte de son mari, les difficultés à la ferme, puis la maladie de son fils, le diagnostique des médecins. L’échec de la chimiothérapie… Elle était si absorbée par son discours qu’elle ne fit pas attention au chemin qu’ils empruntaient en suivant le brillant scientifique. Quand elle eut terminé, ils étaient arrivés juste devant un ascenseur. Ce n’est que lorsqu’ils commencèrent à descendre que le professeur Higgs reprit la parole.

 — Vous m’en voyez navré, madame. Toutes ces choses qui vous sont arrivées en ce court laps de temps… Je comprends mieux votre état. J’ai vu vos doigts, vous vous faites un sang d’encre pour le jeune Baltazar. C’est bien normal, c’est ce qu’on attend d’une mère. Et je ne doute pas que vous soyez une excellente mère, madame.

 Madame Sanders rougit, partagée entre le compliment et la gêne. Instinctivement, elle cacha ses mains dans son dos. Un silence que seul le grincement de l’appareil rompait s’instaurait. Depuis combien de temps descendaient-ils… ?

 — Mais vous n’avez pas baissé les bras, pas vrai ? Gaspard vous a trouvée dans la petite église de son village. Vous n’avez cessé de croire qu’un miracle pouvait encore arriver. Et c’est ce qui est arrivé, car vous êtes venue jusqu’à moi.

 Madame Sanders frissonna. L’ascenseur venait d’atteindre sa destination. Lorsque ses portes s’ouvrirent, elle fut surprise par le changement de décoration. On aurait dit qu’ils se trouvaient dans une sorte de bunker secret, comme dans les vieux films de sa jeunesse. Plus de fourmi. Juste des portes blindées partout dans un long couloir caché dans les entrailles de la terre.

 — Vous savez certainement ce qui m’a valu ma réputation, poursuivit le professeur Higgs en menant la marche. Et je ne parle pas de cette entreprise, ni de ma carrière politique ou de ma collaboration contre le terrorisme. Je parle de mon invention.

 Le cœur de Madame Sanders battait la chamade. Était-ce bien vrai ? À la campagne, tout le monde disait que ce n’étaient que des racontars, des exagérations, des mensonges grossiers. Elle n’y avait jamais cru. Jusqu’à ce que Gaspard lui propose de rencontrer son créateur.

 — Votre machine de soin, confirma l’agricultrice en serrant la main de son fils au point que celui-ci grimace. Celle qui peut guérir toutes les maladies du monde.

 — Ainsi que réparer les plaies les plus profondes.

 Le professeur Higgs s’arrêta devant une porte blindée. Il actionna un petit écran là où aurait dû se trouver la poignée et un plateau d’échec se matérialisa.

 — Tu sais jouer aux échecs, Baltazar ?

 Le jeune condamné se mordit les lèvres avant d’acquiescer. Le quinquagénaire s’écarta pour le laisser examiner le plateau qui indiquait une partie déjà bien entamée.

 — Si tu jouais les Noirs, quel coup pourrais t’assurer la victoire ? Un indice, en trois coups.

 Le garçon réfléchit à la question. Il indiqua ensuite du doigt un cavalier à déplacer mais le professeur pouffa de rire.

 — Tu t’emparerais de la Reine, mais ton Roi ne serait plus protégé. Et c’est toi qui perdrait après cinq coups. Non, tu dois voir les choses de manière plus… prudente.

 De l’index, le professeur Higgs engagea une Tour, ce qui provoqua immédiatement un mouvement de l’ordinateur. Alors que Baltazar avait la mine boudeuse, l’homme de science mit fin à la partie en quelques secondes, déclenchant l’ouverture de la porte.

 À l’intérieur, un lit d’hôpital trônait. Mais le plus impressionnant, c’était cette machine indescriptible, gigantesque, pleine de tuyaux, d’écrans et de pièces étranges, qui se trouvait juste derrière.

 — C’est elle ? laissa s’échapper Madame Sanders dans un souffle.

 — La Machine des Miracles, confirma Higgs. Celle que j’appelle Dieu.

 La dernière phrase fit se retourner madame Sanders avec effroi.

 — Vous devez vous dire que je blasphème, pouffa le ministre en s’avançant de quelques pas. Pourtant, madame, cette machine m’a parlé. Ce n’est pas moi qui l’ai inventée, non, c’est elle qui est venue à moi. Après la chair, Dieu s’est fait machine. Je ne suis que son humble serviteur, son prophète sur cette terre.

 Il laissa son regard se perdre à contempler toute la machinerie endiablée de métal. Il caressa du doigt un écran puis fit volte-face.

 — Dieu peut soigner votre enfant, madame. Mais uniquement si vous y croyez assez fort. Car Dieu a de grands projets pour ceux qui croient en lui. Alors, madame, qu’en sera-t-il de vous et de Baltazar ? Y croyez-vous ?

 — Moi j’veux bien y croire ! s’exclama Baltazar.

 Sa mère resta une seconde figée. Elle avait prié pour que cette machine légendaire existe réellement. Maintenant qu’elle se trouvait dans la même pièce, elle ne pouvait plus douter. Alors, d’un geste de tête, elle affirma sa foi en l’œuvre du professeur Higgs.

 — Alors viens, jeune homme, installe-toi et laisse-toi faire. Généralement, je n’accepte aucun témoin extérieur. Mais je vais faire une exception pour vous, madame. Afin que vous soyez tous les deux témoins de l’œuvre de Dieu.

 Ce jour-là, Baltazar Sanders fut sauvé de sa terrible maladie qui le rongeait. Mais quand ils rentrèrent chez eux, ni lui ni sa mère ne furent plus jamais les mêmes.

Dieu avait conquis deux partisans de plus.

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