Afin de procéder aux autopsies des corps ramenés par le Colonel, Aldebert s’était muni d’une combinaison spéciale. Parfaitement étanche, elle n’en restait pas moins encombrante et lui donnait l’aspect d’un gros bonhomme rembourré. Mais le professeur Caul avait l’habitude. C’était pour son expertise que l’OPI avait créé leur unité spéciale et secrète.

 Il eut un peu de mal à retirer le couvercle du « cerceuil » de plastique dans lequel se trouvait son premier sujet d’étude. Depuis la pièce d’à côté, le Lieutenant Campbell et Isaac observaient la scène à travers une vitre. Toutes les précautions étaient prises pour éviter de corrompre les données à récolter.

 Au début, Aldebert ne trouva pas grand-chose d’intéressant. C’est en remontant le long de la colonne vertébrale qu’il les remarqua. Des moisissures s’échappaient des oreilles de la victime. Il en préleva un petit échantillon puis poursuivit son examen. Armé d’un scalpel, il décida d’ouvrir la boite crânienne. Il fit les premières incisions puis dut recourir à une scie plus solide et automatisée. Ce qu’il découvrit à l’intérieur l’estomaqua.

 La cause de la mort était évidente, maintenant. Un champignon s’était développé à l’intérieur de la tête de cet homme et avait grignoté petit à petit la cervelle de ce dernier. Il n’en restait plus grand-chose…

 — Fascinant. Vous avez vu ça, vous autres ?

 — Al’, envoie l’échantillon, on va lancer le décodeur génétique.

 Le vieux scientifique vérifia qu’il avait bien sécurisé l’éprouvette puis la plaça dans une sorte de tiroir au mur. Là, elle serait lavée de toute forme de contamination avant de pouvoir être récupérée de l’autre côté par Isaac. La procédure ne prendrait que quelques minutes. Pendant ce temps, Aldebert prit quelques photos avec un vieux polaroïd. Puis il entreprit de refermer le cercueil pour s’intéresser au cas suivant.

 — Je suppose que celui-là a eu la même infection, dit-il en observant les oreilles du second corps. Il a aussi de la moisissure…

 — Ils viennent du même endroit, en même temps, fit remarquer Billy.

 — Afrique, île tropicale… ?

 — L’île de Santa Isabel, au large de l’Australie.

 — Je vois qu’ils sont bien bronzés, oui… Tiens, celui-ci a gardé son portefeuille dans la tombe. Vous les aviez identifiés ?

 — Non, ça nous intéresse aussi.

 — Eh bien, celui-ci s’appelle Frederick Persoon, citoyen africain.

 Aldebert fronça les sourcils. Persoon, Persoon… Il avait déjà entendu ce nom quelque part, mais où ? Intrigué, il voulut poursuivre son autopsie. C’est en déboutonnant la chemise de feu Persoon qu’il découvrit son pendentif. Un symbole qu’il connaissait bien, l’Ouroboros. Se pouvait-il… ?

 — Isaac, tu veux bien faire une recherche rapide pour moi sur notre ami ?

 — Tout de suite !

 Aldebert reprit son expertise et décida d’inspecter l’état des organes de l’Africain. La réponse d’Isaac et ses propres découvertes tendaient à confirmer son hypothèse.

 — C’est presque amusant, tiens… C’était un mycologue renommé à l’international.

 — Un micro-ondes ?

 — Un mycologue. Un expert en champignons.

*

* *

 — Comment ? s’exclama Aldebert avec horreur. Toute, entièrement ?

 — Oui…, soupira le Colonel. Nous avons mis l’Ile en quarantaine dès que nous avons eu les premiers cas, mais depuis, toute la population de Santa Isabel est décédée.

 — C’est horrible… Et, heu, c’est contagieux, Al’ ?

 Elodie se mordait les lèvres dans l’attente d’une mauvaise nouvelle. Heureusement, son père adoptif lui adressa un sourire rassurant.

 — Nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour éviter la moindre contamination. Cependant… le décodage de l’ADN que nous avons fait a révélé quelques surprises.

 — Expliquez vous.

 — Ce champignon ne devrait pas exister. Il ne correspond à rien de connu, ou plutôt si. Il y a des bouts de ci, des bouts de ça…

 — Ce qui veut dire ?

 — Que ce champignon a été créé de manière artificielle.

 Le ton grave du Professeur Caul instaura un silence que même Tara respecta. Ce n’était pas une première. C’était là même tout l’intérêt de leur unité spéciale au sein de la Protection Internationale. Traiter des cas les plus étranges, ceux que la science ne pouvait expliquer qu’après de minutieux et couteux examens. Expliquer l’inexplicable, c’était leur quotidien depuis quatre ans maintenant. Et parfois, ils découvraient une expérience qui avait mal tourné, au point de menacer bien du monde…

 — Nous allons devoir nettoyer la zone, dans ce cas, soupira le Colonel après un instant.

 — Avec les combinaisons, ça va nous prendre un temps de fou, fit remarquer Billy. On ne peut pas juste fermer l'Ile ?

 — Et prendre le risque que cette saloperie passe à une île voisine ? Non, il faut prendre le problème à la racine.

 — Une minute, Colonel. Ce n’est pas la seule chose que j’ai découverte en étudiant sa séquence ADN. Je pense que le champignon a établi une relation de symbiose.

 — Heu, Al’, ça, c’est tout sauf une symbiose…

 — Pas avec l’homme ! Non, avec un autre animal, mais je ne sais pas lequel… Ce que vous devez faire, c’est découvrir quelle créature de l’île véhicule le champignon sans en pâtir…

 — Vous ne pouvez pas le deviner avec le séquençage ADN ?

 — Lieutenant, j’ai déjà découvert plus que je ne l’aurais cru avec !

 — Bon, je vais préparer mes hommes…

 — Si je puis me permettre, Colonel… J’ai peut-être une idée pour ne pas risquer la vie de vos hommes ou une autre contamination…

 Le militaire observa Elodie, circonspect, lui exposer son plan. Puis il adressa un regard à Andromède. Cette petite avait de la suite dans les idées.