Chapitre 6

3 minutes de lecture

Le silence. Un silence étouffant, comme un manteau trop lourd posé sur ses épaules. Puis, peu à peu, le bruit du vent contre les volets. Un oiseau qui piaille. Le grincement lointain de canalisations.

Mathieu ouvrit les yeux d’un coup. Son cœur battait la chamade. Il resta allongé, la respiration saccadée, les bras tendus le long du corps, comme s’il avait été cloué là. Sa bouche était sèche. Il avait l’impression d’avoir couru pendant des heures. La sueur perlait à son front, ruisselait le long de ses tempes.

Il tourna lentement la tête. Sa chambre. La vraie. Celle qu’il connaissait depuis toujours. Les murs clairs. Les étagères pleines de livres et de figurines. Son bureau encombré de cahiers ouverts. L’odeur familière de lessive, de poussière, et cette touche légère de menthe provenant du diffuseur posé près de la fenêtre entrouverte.

Rien à voir avec les murs crasseux et suintants du manoir. Il se redressa brusquement. Était-il... revenu ? Ses yeux se posèrent sur l’horloge : 08h32. Un matin comme un autre. Un rêve. C’était un rêve, bien sûr.

Il voulut rire, mais aucun son ne sortit. Mathieu ! Une voix étouffée, venant du rez-de-chaussée. Sa mère. « Descends, s’il te plaît ! Mets la table, le petit-déjeuner est prêt ! »

Il se frotta le visage. Tout son corps était engourdi. Il se leva lentement, les jambes lourdes, les pieds traînant contre le parquet. Le miroir accroché à la porte de son armoire lui renvoya un reflet pâle, les yeux cernés. Il se figea.

Il y avait... une trace rouge sur sa tempe. Minuscule, fine. Comme une griffure. Il approcha son visage du miroir, plissa les yeux. Un trait écarlate. Net. Il le toucha du bout du doigt. Ça piquait un peu. Pas un rêve, alors ? Ou bien son esprit lui jouait-il encore des tours ?

Il descendit l’escalier, lentement. Tout semblait trop silencieux. Trop figé. Sa mère était dans la cuisine, dos à lui, en train de remuer quelque chose dans une casserole. « Bonjour, mon cœur ! Tu m’as fait une de ces peurs cette nuit, tu t’es tourné dans tous les sens... »

Il ne répondit pas. Son regard se posa sur la table. Trois assiettes. Trois verres. Mais ils n’étaient que deux, non ? Son père était en déplacement. Pourquoi trois ?

Il cligna des yeux. Deux assiettes. Il avait rêvé. Il s’approcha, prit les couverts, les posa méthodiquement. Le bruit du métal sur la table lui paraissait anormalement fort. Sa mère posa une assiette fumante devant lui. « Tu as bien dormi ? »

Il voulut dire « non », mais il n’en était même plus sûr. Il coupa son œuf au plat. Le jaune éclata. Trop rouge. Non… pas rouge. Sanglant. Il repoussa l’assiette brusquement.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda sa mère, en le fixant. Il cligna des yeux. Le jaune était jaune. Normal.

« Rien... juste pas faim. » Elle haussa les épaules, tourna le dos. Il la fixa un instant. Son dos. Ses cheveux bruns attachés. Mais il y avait quelque chose...
Un mouvement, trop rapide. Une tension dans les épaules.

Et puis, cette sensation. Comme si quelqu’un d’autre se trouvait dans la pièce. Il se retourna.
Personne. Mais sur le buffet, quelque chose attira son attention. Un petit objet noir.
Posé là. Un coquillage. Exactement le même que celui du manoir. Petit. Noir. Lustré. Et gravé.

Il s’en approcha lentement, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Il tendit la main. Sa mère l’appela, sans se retourner :
« Tu sais, parfois, les choses qu’on croit rêver... on ne les a jamais quittées. » Il se figea.

« Qu’est-ce que tu as dit ? » Elle ne répondit pas. Il prit le coquillage. Il était froid. Il y avait bien quelque chose gravé dessus. Des lettres fines, presque invisibles. Il s’approcha de la fenêtre pour mieux voir. "Tu ne t’es jamais réveillé." Il recula d’un pas, manqua de trébucher. Quand il se retourna vers la cuisine...

Elle était vide. La table aussi. Plus d’assiettes. Plus de bruits Juste le silence. Un silence trop lourd. Une lumière trop pâle. Il remonta dans sa chambre, affolé. Mais quelque chose avait changé. Les murs étaient plus sombres. La fenêtre... murée. Littéralement murée de briques.

Et sur son lit... Quelqu’un dormait. Lui. Allongé. Endormi. Il s’approcha lentement, les jambes tremblantes. Il se pencha. Il vit son propre visage, les yeux clos. Il dormait paisiblement.

Il tendit la main pour le toucher. L’autre lui saisit le poignet au moment exact où ses doigts allaient le frôler. Ses yeux s’ouvrirent, lentement. Deux prunelles noires, sans fond. Et une voix, venue de partout à la fois : « Tu n’aurais jamais dû ouvrir la porte, Mathieu. »
Noir.

Puis la lumière du matin, à nouveau. Il se redressa brusquement. Dans son lit. La gorge nouée. « Mathieu ! Mets la table, s’il te plaît ! » La voix de sa mère.

Tout semblait... normal. Encore. Il regarda ses mains. Elles tremblaient. Et là, sur sa table de nuit... Le coquillage. Il l’observa, longtemps, le souffle court. Et dans un murmure, les yeux écarquillés :

« Est-ce que c’était juste un... rêve ? »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Nemesis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0