Chapitre 1.3 - LELYÂH - Le réveil

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Le lendemain matin, pendant qu’Hékos discute avec l’aubergiste, Lelyâh rejoint le plassidia pour le brosser et le nourrir avant leur départ. Elle vérifie ensuite ses énormes sabots, Hékos arrive alors qu’elle en attrape un.

L’herboriste lance en caressant le museau sa bête :

— Eh bien, tu es bien docile ce matin, Bourrique ! D’habitude, il rechigne à lever les pattes même si c’est dans son intérêt. Je dois toujours m’y reprendre à plusieurs fois avant qu’il n’accepte. Comment fais-tu ça ?

— Euh, j’ai posé ma main sur sa patte et il l'a levée.

— Sans difficulté ?

— Aucune.

— Sacré Bourrique, va ! Bon, allons-y sinon nous ne serons pas rentrés demain et j’aurais droit aux foudres de ma femme.

Après deux solaris de voyage, ils arrivent dans le hameau où vit Hékos. Les maisons sont faites du même entrelac végétal qu’elle a vu dans les villages précédents. Celle d'Hékos est de taille moyenne avec un motif d'arbre noir sur le fronton formé par les branchages qui orne une porte d'un bois à la teinte orangée. Sur le rebord de chaque fenêtre sont disposées des jardinières dont les plantes tombent en cascade jusqu'au sol. Les encadrures vert olive sont décorées de bas-reliefs en forme de feuilles laissant entrevoir des rideaux vert pâle. Le toit est fait d'une sorte de chaume où perce une cheminée de pierre gris clair qui dégage une petite fumée blanche. Incroyable comme ces maisons se fondent à la perfection dans le paysage !

Lelyâh, encore très vulnérable et n'ayant aucune idée d'où aller, a préféré rester sous l'aile protectrice de l'herboriste. Ce dernier stoppe la carriole sur le pas de porte. Une femme rondelette les accueille. Sa chevelure gris argenté est coiffée en deux tresses attachées à l’arrière par une pince dorée. Ses yeux noisette dégagent une profonde gentillesse que ne dément pas le large sourire qu’elle offre aux deux voyageurs.

L'hôtesse serre son mari dans ses bras, dépose au passage un baiser sur ses lèvres, puis se tourne vers Lelyâh :

— Qui est cette demoiselle ? Encore une âme vagabonde que tu as invitée quelques jours chez nous ?

Elle observe ce petit bout de femme au corps svelte et musclé, aux cheveux d'ébène qui regarde ses cuisses de ses yeux brun mordoré emplis d'inquiétude. Elle a tout de suite envie de lui faire retrouver le sourire.

— C’est Lelyâh, elle était au milieu de nulle part. Je ne pouvais pas la laisser toute seule alors qu'elle est affaiblie. Elle t’aidera et elle aura un toit le temps de récupérer. La pauvre petite est assez mal en point.

— Comment puis-je refuser ! lance-t-elle pour la rhétorique en se tournant vers la jeune femme. Moi, c’est Saëlle. Bienvenue chez nous ! Je vais te montrer où tu vas loger.

Lelyâh, les yeux arrondis, reste la bouche entrouverte. Heureusement qu’elle a cotoyé Hékos deux solaris durant, sinon elle se serait enfuie en courant. Ils lui offrent leur protection le temps de sa convalescence, autant accepter, elle n’a nulle part où aller. Aucun souvenir n’a refait surface et cela lui permettra de recouvrer la santé.

L'herboriste donne les indications à sa protégée :

— Lelyâh, peux-tu amener Bourrique dans la stalle là-bas. Tu sais quoi faire et tu trouveras facilement tout ce dont tu as besoin sur la table à l’entrée de son box.

Puis il bougonne, feignant d'être vexé quand il se tourne vers sa femme :

— Saëlle, tu verrais comment il lui obéit ! J’en suis presque jaloux !

Lorsque la sans-mémoire a terminé, elle passe timidement le pas de la porte, découvrant une pièce avec plusieurs fauteuils molletonnés, dans le fond près de la cheminée, autour d’un grand tapis couvert de délicats motifs floraux, et devant, près de l’entrée, une large table en bois autour de laquelle le couple a pris place sur des bancs. Une douce lumière galvanique offre une atmosphère chaleureuse en cette fin de journée.

— Alors, tu as tout trouvé ? demande Hékos.

— Oui, il s’est rapidement endormi.

— Viens t’asseoir avec nous, propose Saëlle en tapotant le banc. Je t’ai préparé une tisane. Après, je te montrerai ta chambre.

Lelyâh les remercie même si elle reste toujours un peu sur la défensive, les bras crispées sur ses jambes et le cou raide. C’est tellement étrange de se voir ainsi ouvrir les portes d’une maison de parfaits inconnus.

— Comme ça, tu n’as plus de souvenirs, lui dit Saëlle avec intérêt. Ma pauvre enfant. Il ne fait aucun doute qu’avec du temps, ils reviendront.

Et se tournant vers Hékos, elle reprend :

— Tu sais, Leonhart avait perdu la mémoire après sa chute, et tout était revenu en quelques semaines.

Se positionnant de nouveau vers Lelyâh, elle poursuit :

— Tu vois, pas besoin de t’inquiéter, ta mémoire va revenir. Tu es la bienvenue ici, le temps qu’il faudra.

Lelyâh acquiesce, un peu mal à l’aise mais soulagée de se savoir à l’abri :

— Merci beaucoup. Où habite ce Leonhart ?

Hékos reprend une gorgée de tisane avant de répondre :

— Ah, c'est le fils de nos voisins. Il est parti dans le nord du pays pour vivre avec sa jeune épouse. Son père étant seul et malade, elle ne pouvait pas venir habiter par chez nous. C'est bien dommage, c'est un brave gars ce Leonhart ! Il nous réparait notre charrette en un tour de main !

Le lendemain matin, il faut plusieurs minutes à Lelyâh pour se rappeler où elle se trouve. Comme personne n'est venue la réveiller malgré le soleil qui illumine sa chambre, elle en déduit que c'est à elle d'aller proposer son aide. Elle s'étire lentement pour ne pas provoquer d'élancement au niveau de ses côtes puis cherche ses vêtements. Impossible de mettre la main dessus !

Le stress monte alors qu'elle s'approche de la chaise où repose des morceaux de tissu. La sans-mémoire attrape le premier de la pile pour découvrir une tunique de coton écru. Sans toucher le reste, elle devine une culotte et un pantalon de travail. Ne pouvant se présenter nue devant ses hôtes, elle enfile les vêtements avant de sortir de la pièce pour arriver sur un étroit couloir. Elle se dirige vers une odeur de pain chaud et de plantes qui réveille ses narines.

— Ah Lelyâh, tu as trouvé les vêtements. Nous te les prêtons le temps que tes affaires sèchent ; je me suis permise de les laver ce matin. Tiens, voici une tisane pour t'aider à commencer la journée du bon pied. As-tu bien dormi ?

L'aura de Saëlle irradie toujours la même gentillesse, mettant tout de suite la jeune femme dans de bonnes dispositions.

— Oui, merci.

Même si un cauchemar lui a provoqué une phase d'insomnie, elle ne veut pas encombrer son hôte avec ses soucis.

— Hékos est parti en forêt pour ramasser des plantes médicinales. Nous serons donc toutes les deux pour la journée. Tu n'auras qu'à m'accompagner pour ce premier jour, histoire de voir ce qu'il y a à faire.

Après le petit-déjeuner, Saëlle commence par fendre des bûches, ce qui est beaucoup trop physique pour la convalescente. Lelyâh se contente de ramasser du petits bois. Cela lui vide la tête et c’est agréable. Saëlle entonne des chants mélodieux. Sa voix a sur Lelyâh un effet apaisant.

Elles vont ensuite s'occuper des poules, heureuses de les voir arriver. Elles entonnent un concert de caquètements alors que les deux femmes s'approchent du portillon. Prenant garde de ne pas les écraser tant elles sont impatientes d'avoir leur nourriture et se ruent entre leurs jambes en gloussant, Saëlle et Lelyâh leur jettent du grain sur lequel elles se précipitent avec appétit, puis elles leur servent de l’eau fraiche. Ensuite, Saëlle demande à Lelyâh de ramasser les œufs pendant qu’elle désherbe un peu le poulailler. Avec des gestes délicats, Lelyâh caresse d'abord la tête de chaque animal puis leur tapote l'arrière-train pour leur faire comprendre qu'il est temps de se lever. Les voltailes sortent tous docilement les uns après les autres s’aérer pendant que Lelyâh place les œufs dans le panier. C'est amusant de voir la variété de couleurs : du beige, du marron clair, du bleu tirant sur le vert et même du orange. Lorsqu'elle ressort, Saëlle la regarde avec surprise, un large sourire aux lèvres. Voyant l'air étonné de la jeune femme, l'hôtesse lui explique :

— Habituellement mes petites demoiselles sont bien moins dociles et mes mains ressortent souvent avec quelques coups de bec ! Tu as un vrai don pour les faire coopérer en douceur. Tu dois certainement venir de la Contrée Cybeline où vit le Linéage Animae. Ça fait une sacrée trotte. Je me demande bien comment tu t’es retrouvée par chez nous.

— Quel est ce Linéage ?

— Leur Essence leur permet entre autre de communiquer avec les animaux.

— J'aimerais bien y aller un jour, peut-être que cela m'aidera à retrouver la mémoire. Est-ce loin d'ici ? s'enquiert Lelyâh, sentant un désir poindre en elle alors que se dessine la possibilité de pouvoir retrouver les siens.

— Il faut d'abord passer par les Terres d'Urca où le fleuve Potamoï est moins large et moins tumultueux. Il faut donc au moins trente solaris à cheval pour arriver en bordure de la frontière Cybeline.

— J'espère pouvoir m'y rendre vite ! s'exclame Lelyâh alors que le désir grandit en elle.

— Laisse-toi le temps. Certainement que tu auras retrouvé la mémoire d'ici là. Tu es la bienvenue ici en attendant, lui rappelle Saëlle en la prenant par l'épaule.

— Merci à vous de m'accueillir ainsi ! Bon, puisque je vais devoir patienter, je peux m'occuper des poules tous les matins si vous voulez.

— Mmmh, merci Lelyâh, avec plaisir ! Ça épargnera à mes mains des coupures et à mon dos des courbatures, s'enthousiasme Saëlle, montrant ses mains où sont encore visibles des signes récents de coups de becs.

— J'y pense, il va me falloir trouver un travail pour économiser avant de pouvoir entreprendre un tel voyage. Il faudra que je me renseigne sur le prix d'un cheval.

L'idée de savoir qui elle est rend Lelyâh aventureuse. Elle a tellement hâte de combler ce vide.

— Rien ne presse. Et nous ne sommes sûres de rien. Attends que ta mémoire te revienne. Je te propose d'aller préparer le déjeuner, ce sera un bon début pour que tu retrouves vigueur et santé.

Les deux femmes rentrent à la maison préparer le pain. Saëlle demande à Lelyâh de saupoudrer de farine une épaisse planche de bois tandis qu'elle mélange dans un cul de poule de l'eau et une farine de céréales aux grains foncés. Pendant la levée, elles préparent les légumes du déjeuner qui seront servis avec une omelette. Lelyâh a hâte de goûter cette dernière, fruit de sa récolte matinale. Saëlle, voyant le teint de la jeune femme devenu pâle, lui intime d'aller se reposer pendant qu'elle finit en cuisine. Lelyâh se plie de mauvaise grâce. Elle veut être utile pour les remercier et pour éviter qu'ils soient tentés de la faire partir. Une bouche à nourrir qui n'apporte rien n'est qu'un poids mort.

Saëlle vient la reveiller en douceur au moment de passer à table. Tout en mangeant l'omelette avec le pain qui vient de sortir du four, les deux femmes discutent :

— Mmmh, c'est délicieux ! Demain, j'aimerais essayer de faire l'omelette moi-même !

Saëlle sourit, amusée.

— Bien sûr !

— D'où vient cette sauce que tu as mis sur le pain ?

— J'achète ça au marché, en ville.

Les yeux de Lelyâh pétillent. Elle interroge son hôtesse, curieuse de découvrir une cité :

— C'est loin d'ici ?

— Quelques lieues. Nous avons beaucoup de petits bourgs en Terre d'Osany.

— C'est le nom de ce pays ?

— Excuse-moi, j'oublie parfois que tu n'as plus tes souvenirs. Oui, notre Linéage Chloridiae habite en Terre d'Osany. Quatre familles ont une influence majeure sur notre pays, la plus proche est à une dizaine de lieues de chez nous, la famille Olmo.

— Et les autres ?

— Il y en a une près de chaque limite de notre territoire c'est-à-dire au nord, à l'est, à l'ouest et pour le sud, le domaine d'Olmo.

— Ce sont eux qui dirigent ici ?

— Non, ils prennent en charge une partie de l'administration coinjointement avec un Consilium, un conseil où se réunit vingt pour cent de la population locale. Il est élu par les habitants pour une durée de trois ans.

— Je trouve ça formidable que tous participent au fonctionnement du pays !

— Je suis bien d'accord. Tu sais, ce n'est pas le cas partout. Il semble que chez les Animae, ce soit une reine à la poigne de fer qui décide pour tous. Elle se fait appeler la Suprême Polémarque.

— Ça me donne tout de suite moins envie de découvrir mon pays, dit Lelyâh renfrognée.

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