Chapitre 2.4 - BASTUS - Renforcement des frontières

8 minutes de lecture

Bastus se hâte vers le camp. Arrivé à la tente de commandement, Kamar l'attend, les bras croisés et la mine rageuse.

— Arrvida Kamar.

— Arrvida. Tu n'es même pas foutu de te présenter à l'heure !

— Tu as raison, j'ai eu un contre-temps. Je suis à ta disposition pour faire le point. je ne te mettrai pas en retard.

Bastus calme le jeu en faisant profil bas. Créer un esclandre dans le camp ne ferait que nuir à ses lochos fraichement débarqués.

— Alors comme ça c'est Kartos qui a obtenu la régence du pays en l'absence de ta mère ? lance Kamar, une lueur de défi dans le regard.

Avant de changer brusquement de sujet, Teïos lance un clin d'œil à son prince et ami. Ses yeux pétillent d'une malice gourmande à la note provocatrice :

— Alors, les filles d'ici sont-elles vraiment à la hauteur de ce qu'on raconte ? J'ai passé une bonne partie de la soirée avec une, et si la serveuse aux yeux verts est du même acabit... Tu n'as pas dû dormir beaucoup !

Les veines du front de Kamar enflent alors que sa peau vire au cramoisi. Bastus feint l'ignorance et opte pour la flatterie, tout en lançant un regard complice, presque imperceptible, à son ami.

— Est-ce qu'on pourrait discuter un peu ce soir, avant que tu ne partes pour la capitale ? Tes conseils me seront utiles.

Kamar semble redescendre un peu en pression et lui propose de se retrouver pour le souper.

Bastus parcourt chaque allée du campement, l'oeil alerte. Il est accompagné de Pozar, un compagnon de longue date ; ce dernier sera en charge du camp de Merinos. Il a beau être petit et fluet pour un commandant, son tempérement réfléchi et posé en fait un officier respecté de tous. De plus, sa femme est originaire de cette partie du pays, connue pour son hostilité envers les gens des autres régions. 

Passant à proximité des latrines, une odeur nauséabonde envahit leurs narines. Bastus fronce le nez, un léger rictus de dégoût aux lèvres et jette un œil aux latrines débordantes.

— Kamar n'aurait-il pas pu s'en occuper avant de partir ?! Évidemment, j'aurais dû me douter qu'il profiterait de la moindre occasion ! s'enrage Bastus.

— Ne te met pas en colère, il n'attend que ça. Je m'en occupe dès demain.

Tandis qu'ils continuent leur chemin, un préposé aux cuisines s'approche. Il ouvre un sac de toile presque vide :

— Mon énomotarque, je viens de finir notre dernier sac de farine. J'ai demandé l'accès à la réserve du camp et elles sont presque vides.

— Merci, nous nous en chargeons.

Lorsque le commis est hors de portée, Bastus laisse sortir sa rage :

— N'empêche qu'il se fout de nous !

— Écoute-moi au lieu de t'emporter. J'ai pris contact avec le père de ma femme et il est d'accord pour m'accompagner et demander le rationnement qui nous revient. Avec sa place de conseiller, il saura faire coopérer les siens et calmer les rancoeurs actuelles.

— Merci Pozar. Tu m'enlèves une sacrée épine du pied. Je me doutais qu'ils seraient mécontents. Les gens d'ici son réputés hostiles aux étrangers. Alors, cumuler l'arrivée des lochos et le réquisitionnement de leur nourriture, ça fait beaucoup d'un coup. Et nous n'avons vraiment pas besoin d'une révolte en ce moment.

— Et Kamar n'y est pas allé avec délicatesse de ce que j'ai entendu dire.

— Le contraire m'aurait étonné ! lance Bastus. Je savais que je pouvais compter sur toi pour apaiser les tensions. Je te laisse, je dois faire le point avec Kamar avant de partir pour Merinos.

Bastus décide de se rendre en ville ; la chaleur d'une femme lui manque. À l’heure où le ciel se voile d’auréoles colorées, les abords de la cité sont calmes. Le prince s’enfonce dans le dédale de ses rues, accueilli par des effluves d'épices et d'encens. Des sons emplissent progressivement l’atmosphère pour former une symhonie cacophonique de voix, d'orchestre, de bruits de pas dont l’intensité va crescendo. Bastus flâne au hasard des rues lorsqu’il est attiré par une mélodie suave. Le chant de la sirène l'éloigne progressivement du coeur animé de Berphï. Il débouche sur une place aux ombres dansantes. Au centre, trône un puits. Une silhouette fredonne au son de la musique. Elle plonge un tissu dans un seau métallique. La créature l’essore lentement. Elle tamponne son visage dont les lèvres entrouvertes lâche un soupir d’aise. Sa peau laiteuse irradie là où la lune l'effleure de ses doigts argentés. La grâce de ses gestes mettent le prince en appétit. Il s’approche à pas feutrés pour mieux observer la belle, mais au dernier instant une feuille morte crisse sous ses pas. Il fait légèrement sursauter la jeune femme. Elle lève des yeux surpris légèrement anxieux. La demoiselle le dévisage. Son expression se transforme sous le regard du prince en curiosité teintée d'envie :

— Bonsoir, puis-je vous emprunter un peu d'eau ?

D’un mouvement gracile, elle pose son chiffon, se relève et avance vers le jeune homme posant un doigt sur son torse lorsqu’elle lui susurre :

— Comment vous le refuser par cette chaleur ? Vous n’êtes pas d’ici, je n’aurais pu oublier un physique si avantageux.

Entreprenante, cela n’est pas pour lui déplaire. Il répond avec un sourire charmeur, plongeant son regard azur dans le sien :

— Puis-je vous proposer un verre ?

— Cette place paisible est un bien meilleur endroit pour savourer ma compagnie.

La belle tire légèrement sur la chemise du prince pour le conduire jusqu’au puits où elle s’appuie afin de l’amener tout contre son corps svelte. Leurs bouches s’effleurent à peine. Bastus sent un feu gronder en lui. Il couvre sa nuque de baisers évanescents alors qu’elle rejette sa tête en arrière. Puis aussi gracieuse qu'un félin, elle se redresse pour venir l’embrasser, déposant sur les lèvres du prince un léger goût de cannelle. Il contemple ses yeux mordorés où resplendit l’éclat lunaire. Bastus l'embrasse à nouveau attisant son désir. Puis taquin, il recule à nouveau. Elle se rapproche mais il fuit ses lèvres. La respiration de la jeune femme s'accélère. Elle a soif de ses baisers. Il aime sentir cette tension qui pousse une femme à en demander encore, jusqu’à satiété. Il consent enfin à la contenter. Son baiser est fougueux, intense. Bastus se délecte du désir charnel qui anime la jeune femme. Il la soulève pour la porter vers un banc de pierre dans un coin reculé de la place afin de jouir à loisir de ce brasier qui les possède.

Ce moment de volupté lui a permis de retrouver de la maitrise et son sang-froid. Il prend congé, non sans un dernier baiser, et repart en direction du campement retrouver le second de son frère.

~ ~ ~

Kamar est parti peu avant l'aube. Leur entrevue de la veille ne lui a pas apporté grand-chose, ce qui frustre Bastus. Ils ont trop peu d'informations sur les mouvements Vulcae.

Le prince prépare ses affaires avec ses hommes afin d'arriver à Merinos en fin d'après-midi. Ici, Pozar a déjà pris en main la gestion du campement. Il prend la route avec quelques pentekostys (unités d'une quarantaine d"hommes) seulement quelques heures après.

À Merinos, il doit retrouver Gherki, une autre fidèle de son frère, cruelle et intraitable. Cette femme montre une joie malsaine à punir les récalcitrants en guise d'exemple. Toujours à l'excès. Cela en fait un atout aux yeux de Sekhma mais cette attitude a toujours écoeuré Bastus. D'ailleurs, un cadavre mutilé et crucifié les accueille non loin de l'entrée du camp. L'odeur de la chair en décomposition agresse les narines, et les hommes pressent le pas pour laisser derrière eux ce spectacle macabre. Gherki l'attend à l'entrée :

— Arrvida Bastus, salue l'énomotarque avec froideur.

— Arrvida Gherki.

Le prince décide aussitôt d'aller sur le seul terrain de jeux qu'ils aient en commun, les femmes. Elle a toujours su s'entourer de belles demoiselles.

— Alors, quelle soirée as-tu préparée pour nos retrouvailles ?

— Tu n'as pas aimé la mise en bouche à l'entrée du campement ? lui demande Gherki, un sourire narquois à la limite du sadisme apparaissant sur son visage.

— Je préfère de loin les beautés que tu sais dégotter comme personne !

— Tu es de ceux qui leur rendent le mieux hommage. Je dois te concéder cela. Tu ne seras pas déçu ce soir. Installe tes hommes puis nous irons festoyer.

Ils se rendent en ville peu avant le coucher du soleil. L'architecture de Merinos est bien différente de celle de Berphï. Ici, tout est ordre et symétrie. D’élégantes maisons en colombage bordent des rues aux alignements impeccables dont la propreté frôle l’obsession ; pas un détritus, pas une déjection ne macule le sol. Ils passent par la place principale où siège un magnifique beffroi orné d'une horloge au mécanisme complexe représentant un ciel étoilé où se meuvent des lunes aux couleurs chatoyantes et un soleil rose orangé.

Lorsqu’ils ont tourné de nombreuses fois à angle droit dans des rues toutes aussi semblables les unes que les autres, le groupe d'officiers arrive dans des allées plus sinueuses à la lumière tamisée invitant le chaland à se perdre dans ses profondeurs. Bastus apprécie cette atmosphère singulière du quartier réputé pour ses plaisirs nocturnes. Le prince n'est pas déçu, lorsqu’ils entrent dans l'établissement à la porte rouge, de larges tentures de satin cascadent des murs, effleurant de grands coussins molletonnés aux tons chauds disposés tout autour de la pièce. Ils s’installent confortablement alors que de splendides créatures légèrement vêtues prennent place au milieu des convives. Les breloques et bijoux qui pendent à leur cou, leurs bras et leurs vêtements créent une symphonie délicate, prémices de plaisirs à venir. Aux premières notes qui emplissent l’air, les femmes s’animent, se mouvant avec une gestuelle aussi sensuelle que la délicatesse de leurs formes. Grassement payées par l'énomotarque, elles offrent par la suite dans la tente de chacun un moment de plaisir charnel.

~ ~ ~

Après avoir goûté quelques solaris à la liberté et aux plaisirs des femmes du Nord, le retour à la réalité imposé par sa mère est brusque. Cela ne fait pas vingt-quatre heures qu'il est arrivé à Merinos, qu'elle demande déjà, par rapace de liaison, un compte-rendu des activités suspectes qu'il aurait pu repérer. Il organise de suite une entrevue avec Gherki qui l'informe qu'aucun mouvement armé n'a été relevé depuis plusieurs semaines dans cette partie du pays. Après avoir pris congé, le jeune prince ordonne un doublement des patrouilles avec une incursion discrète en territoire Vulcae. Il lui faut impérativement trouver puis suivre les mouvements inhabituels de l'armée voisine afin d'espérer un retour rapide à la capitale. Même si, loin d'Animis, il vit, sans le poids constant des ordres et invectives de la Suprême Polémarque, Bastus ne veut pas laisser son frère intriguer seul trop longtemps, surtout qu'il a les mains complètement libres en ce moment.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 23 versions.

Vous aimez lire Valériane San Felice ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0