Lelyâh est tirée brutalement de sa lecture lorsque plusieurs coups sont frappés à la porte. Elle lève la tête :

— Oui ?

— Il est l'heure de dîner, l'informe Hékos.

La jeune femme prend alors conscience du temps qui a filé depuis le début de sa lecture.

— J'arrive, s'empresse-t-elle de répondre.

Elle referme avec précaution le magnifique ouvrage et prend quelques instants pour revenir à l'instant présent. Elle ne pensait pas qu'il pouvait exister une telle diversité de rapaces, aux tailles et aux couleurs si variées. D'après ce qu'elle a lu, celui qu'elle a soigné est un excellent chasseur qui peut repérer sa proie à plus d'une demi-lieue. Elle se demande à quoi peut ressembler un lapin à une telle distance. Une tête d'épingle mouvante ? Lelyâh se recentre, elle ne veut pas paraître malpolie en arrivant en retard au souper. Elle pose le livre et sort de sa chambre.

Lorsqu'elle arrive dans la salle à manger, Hékos est déjà assis avec Lord Olmo et son épouse. Diane arrive au moment où Lelyâh s'apprête à s'assoir. Elle lui jette un coup d'oeil fugace en lui souriant, avant de baisser légèrement la tête et d'aller s'installer à sa place, entre ses parents. D'élégants bougeoirs en métal aux motifs champêtres sont disposés tout le long de la table. Ils sont présents avant tout pour créer une atmoshpère chaleureuse, puisque des lanternes galvaniques sont accrochées aux murs à intervalles réguliers. Lelyâh n'y avait pas prêté attention jusque-là, trop préoccupée par l'échec avec les oiseaux, mais de nombreuses plantes agrémentent la pièce, que ce soit dans des pots à même le sol, accrochés au mur ou dans des sortes de cadres végétaux qui offrent à la pièce une atmosphère à la fois revigorante et apaisante. Il y en a de toutes sortes et de toutes les teintes, certaines surmontées de fleurs aux couleurs pastels.

Une fois attablée et le dîner servi, la discussion s'oriente rapidement vers les volatiles convalescents :

— Mon Lord, comment se portent nos petits protégés ? demande avec appréhension la mère de Diane.

— Ma Lady, Lelyâh est une soigneuse Animae, ils sont loin d'être guéris mais leurs plaies ne sont plus suintantes et leur appétit est revenu. Nous y retournons demain pour voir si cela continue d'évoluer vers une guérison. Lelyâh, cela te convient-il si nous nous retrouvons à la volière aux premiers rayons du soleil ?

La réponse semble évidente, elle n'a pas d'emploi du temps ici et ne se voit pas refuser un service au Lord du Sud. Pour autant, elle apprécie la délicatesse de la question.

— Oui, cela me convient.

— De quelle partie des Contres Cybelines nous viens-tu ? demande la Lady.

— Je...

Voyant son regard affligé, Hékos lui porte secours en répondant :

— Lelyâh est touchée d'une amnésie sévère, elle n'a plus de souvenirs de son passé. Nous n'avons pas de doute qu'elle soit une Animae, mais impossible de savoir où se trouve son village natal.

Lelyâh a de la gratitude pour Hékos. Repenser à ce vide sur sa vie et son identité l'attriste toujours autant et les angoisses ne sont pas loin d'émerger à nouveau.

— Je suis navrée jeune fille, j'espère que votre mémoire vous reviendra très vite, poursuit Lady Olmo.

Puis s'adressant à Hékos elle ajoute :

— Où l'avez vous rencontrée ?

— Je l'ai trouvée sur le bord de la route en revenant d'une cueillette. Je ne pouvais pas la laisser là. Comme elle n'a pas de foyer, nous avons proposé de l'héberger en attendant que ses souvenirs refassent surface. Pour l'instant, elle aide Saëlle à la maison et au jardin.

Le sujet des conversations, autour des mouvements armés des Animae en bordure de frontière, puis sur le Consilium qui se tiendra bientôt en Terre d'Osany, s'éloigne de Lelyâh. Son attention est distraite. Elle ne veut pas ressasser tout ça ce soir, alors elle repense aux images du livre. Absorbée, son regard dérive et se pose sur la fille des hôtes. Comme la veille, Diane lui lance des regardes furtifs, peut-être légèrement plus appuyés que la veille, mais Lelyâh n'en est pas sûre. Pourtant, elles ont parlé un peu plus tôt, elle pourrait participer à la conversation. Cette situation la met un peu mal à l'aise. Cela renferme d'autant plus la jeune fille dans son monde intérieur.

Lorsque le repas est terminé, les aînés se lèvent et partent prendre un digestif dans un petit salon attenant. Lelyâh s'apprête à quitter la pièce pour se replonger dans la lecture des documentaires, lorsque Diane se met à sa hauteur et lui demande :

— Alors, c'est maintenant que l'on va à la volière ?

Lelyâh est curieuse de voir si les rapaces continuent de montrer des signes de guérison.

— Oui, je te suis ! répond-elle de la façon la plus enthousiaste qu'elle puisse manifester.

Diane rosit légèrement et un sourire franc se peint sur son visage. Le trajet jusqu'à la volière se fait sans qu'aucun mot ne soit échangé. Seuls résonnent les pas dans les couloirs puis à travers les allées baignées d'une douce lumière galvanique. Lelyâh s'attendait à trouver la situation pesante, mais ce n'est pas le cas. Ce calme lui fait du bien après les conversations animées du dîner. Elle sent son corps encore fragile par moment et trop de sollicitations la fatiguent vite. Pour autant, elle est excitée de revoir les volatiles, à qui elle voue un intérêt certain depuis ses lectures du jour.

Elles entrent dans la volière et Diane lui intime :

— Reste là, je vais chercher les gantelets et les sifflets ! Un pour chacune.

Et s'éclipsant, elle lui offre à nouveau un sourire chaleureux. Diane revient peu de temps après en lui tendant le matériel. Sa camarade commence par appeler un oiseau et l'un des aigles noirs vient rapidement se poser sur son bras.