Chapitre 7.3 - LELYÂH - Diane

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Les deux jeunes femmes admirent longuement l'oiseau dans un silence cérémonieux. Lelyâh est toujours aussi fascinée par l'élégance de ce plumage d'encre où resplendit l'éclat de jade de son regard, serti de dorure. Il dégage de la grâce et de la puissance. Elle ne peut que succomber au charme de la bête, tout comme la fille du Lord.

L'atmosphère paisible est un écrin de sérénité pour la jeune femme. Seul le bruit des volatiles se déplaçant dans les branchages ou poussant quelques cris en réponse à l'apostrophe d'un voisin agrémentent le calme de la volière.

Lelyâh avait espéré voir Diane engager la conversation, il est si difficile pour elle de trouver les mots justes pour échanger avec autrui. La sans-mémoire repense alors à la timidité maladive de la fille du Lord, elle la voit rougissant, chercher avec difficultés ses mots. Lelyâh ne souhaite pas laisser un nouveau malaise s'instaurer, elle prend sur elle pour entamer la discussion :

— Ils sont tellement magnifiques !

Elle aurait pu trouver une entrée en matière plus originale, mais Lelyâh espère tout de même rompre la glace. La réaction de sa compagne ne tarde pas.

— Oh, oui je les trouve si élégants et pleins de force ! J'ai hâte qu'ils guérissent tous !

Quelques doutes commencent à émerger, à nouveau. Lelyâh se sent le devoir de ne pas la décevoir, mais elle n'est toujours pas convaincue d'avoir fait quoi que ce soit pour soigner ces animaux. Et si tel est le cas, l'amertume et le chagrin seront immenses au réveil.

— Regarde, il te tapote l'épaule pour te demander à manger. Attends, je vais chercher quelques morceaux de viande séchée.

Ces mots sortent Lelyâh de ses idées noires. Elle observe Diane se lever et partir dans un abri à l'intérieur de la volière d'où elle ressort prestamment en lui tendant un morceau. L'oiseau ne cherche pas à l'attraper. Il attend, docile, que Lelyâh le lui offre. Ce simple échange ravit la jeune femme.

— J'aimerais avoir ton aisance avec eux ! Tu as de la chance d'être une Animae ! s'extasie Diane.

— Je ne sais pas si je suis de ce Linéage.

— Ça ne fait aucun doute, vu la facilité avec laquelle tu les as approchés et soignés. Il m'a fallu un temps fou pour qu'ils acceptent mes caresses !

Lelyâh baisse la tête, frotte son pied contre le sol en terre battu.

— Tu sais, j'ai perdu tous mes souvenirs. Je me rappelle seulement mon nom et mon âge.

— Je suis navrée, et moi qui me plains devant toi ! Ça doit être difficile.

— Oh, nous avons tous nos peines. J'ai des moments difficiles, mais Hékos et Saëlle ont été généreux et m'ont accueillie à bras ouverts. Je me sens bien avec eux. J'ai de la chance !

— En tout cas, il ne fait aucun doute que tu es de la Contrée Cybeline. Ça te donne une information de plus, ajoute Diane avec un sourire chaleureux. Et quel âge as-tu ?

— Vingt solemnum, et toi ?

— Dix-sept. Moi qui croyais qu'on avait le même âge !

— Ce n'est pas beaucoup trois solemnum d'écart.

Lelyâh est surprise de constater le naturel avec lequel elles échangent. Diane dégage un elle-ne-sais-quoi qui la met à l'aise. Elle semble avoir mis de côté sa timidité. La jeune femme espère qu'elle ne se force pas trop, ça ne lui plairait pas si Diane faisait la conversation par pure politesse. "Bien sûr que si, voyons ! Elle..." commence-t-elle à entendre provenant de ses ténèbres intérieures. Non, cette fois elle ne laissera pas la voix reptilienne l'emmener dans ses tourments. Elle veut profiter de cet instant en toute simplicité.

Avec force, Lelyâh repousse le serpent.

— Tu vas rester jusqu'à ce qu'ils soient guéris ? demande la fille du Lord avec inquiétude.

— Je, euh... À vrai dire je n'en sais rien, Hékos ne m'a rien dit, mais je suis sûre que nous ne partirons qu'une fois les oiseaux hors de danger. Sinon j'insisterais, je suis certaine qu'il m'écoutera.

— Merci, je me sentirai rassurée dans ce cas.

— Alors, c'est entendu !

Diane affiche alors un sourire radieux. Ses yeux s'illuminent de joie, mettant en valeur la beauté de ses traits délicats. De nouveau, la fille du Lord prend la parole en changeant de sujet :

— Tu sais, d'habitude c'est très compliqué pour moi de prononcer plus d'une phrase. Mais avec toi, j'ai l'impression que c'est...facile. C'est agréable même ! D'habitude, je dois faire un terrible effort pour faire sortir chaque mot, une vraie torture !

Lelyâh est surprise du naturel avec lequel Diane lui avoue sa difficulté ; elle, qui a tant de mal à mettre des mots sur son ressenti. Elle se surprend à répondre :

— Ça me fait plaisir ! J'avais peur que tu te forces par politesse...

Elle est stupéfaite d'avoir livré ainsi ce qui se passe en elle. Lelyâh baisse aussitôt les yeux, gênée.

— Pourquoi tu baisses la tête ? Ce n'est pas parce que je suis fille de Lord que je vais me fâcher à tort et à travers. Je ne sais pas comment c'est chez les Animae, mais ici, on communique toujours dans le respect de chacun. C'est la base de la vie communautaire chez les Chloridiae.

Lelyâh est encore plus mal à l'aise. Elle se sent rougir.

Puis Diane pouffe. Devant l'air mal à l'aise de la sans-mémoire, Diane précise :

— Ça te va bien ce teint coquelicot !

Lelyâh lui jette un regard en biais, et prend conscience du ridicule de la situation. Elle se met aussitôt à pouffer elle aussi. Les deux jeunes filles partent alors dans un éclat de rires francs.

Diane s'exclame, après avoir retrouvé son souffle :

— Ça fait du bien de rire ainsi après des jours d'inquiétude ! J'espère que je ne t'ai pas vexée ou mise mal à l'aise.

— Non, ne t'inquiètes pas. J'ai été surprise d'avoir exprimé si facilement ce qui se passe en moi. Depuis mon réveil, j'ai beaucoup de mal à communiquer mes pensées et mes émotions. Je...

— De quel réveil parles-tu ?

— Celui à partir duquel commencent mes souvenirs. Je me suis comme éveillée au milieu d'un sentier, plus au nord, et depuis je me rappelle de tout. Avant, ce n'est que le vide.

— Tu pourrais partir en voyage jusqu'à la Contrée Cybeline pour trouver des indices de ton passé. Ce doit être merveilleux de partir ainsi à l'aventure !

— Je n'y avais pas pensé.

— Ah bon ? Moi, je me verrais bien, partir sur les grands chemins, parcourir de nouvelles contrées et voir de nouveaux visages ! Et avec une quête comme la tienne c'est encore mieux ! Ohh, j'aime ma vie, et mes parents sont formidables, mais je me sens tellement en devoir d'être à leur hauteur que ça me pèse souvent ! Je me sens enfermée dans mon rôle de fille du Lord. J'aimerais vivre des choses pour moi.

La mine triste, Diane lève son regard vers le sommet de la volière cherchant peut-être à contempler les étoiles. L'idée semée par sa nouvelle amie commence à germer et Lelyâh s'entend ajouter :

— Avec trois chevaux, un pour chacune et un autre pour porter nos paquetages, qu'en dis tu ? Ahh, il faudrait d'abord se former auprès d'Hékos pour avoir un bon répertoire de plantes médicinales, ça peut s'avérer utile ! Et Saëlle connait parfaitement les plantes comestibles ; elle pourrait me dire ce que je peux trouver dans la forêt.

Diane se met à rire doucement :

— Et moi qui me pensais la seule à rêver d'aventures ! C'est amusant à imaginer. Tu crois qu'on pourrait vraiment le faire ? À mon avis, mes parents seront contre à coup sûr.

Voyant la moue de Diane, Lelyâh s'empresse d'ajouter :

— On peut toujours projeter notre voyage et nous verrons bien ! Mais je ne connais pas Agdistiae, je ne sais pas par où il faudrait aller.

— Viens, allons dans ma chambre, j'ai une carte détaillée, je pourrais te montrer !

Délaissant les majestueux oiseaux, les deux jeunes filles retournent vers le manoir jusqu'à la chambre de Diane. La fille du Lord lui montre Agdistiae qui, de haut, ressemble à deux gouttes d'eau accolées, l'une la tête en haut (à l'Ouest), l'autre la tête en bas (à l'Est). Cet unique continent est entouré d'un vaste océan appelé Varuna. Puis Diane pointe les Terres d'Osany, lieu de vie des Chloridiae, au Sud-Ouest du continent (dans le bas de la goutte) puis celui des Contrées Cybelines au Sud également, mais complètement à l'Est (dans la pointe de la goutte adjacente cette fois). Un immense fleuve traverse Agdistiae, de part en part, du Nord au Sud, prenant sa source dans la Contrée de Guegenwer où vivaient il y a fort longtemps les Mages, et descend, entre les deux gouttes, pour se diviser en trois bras avant de se jeter dans l'océan Varuna. La majeure partie du fleuve Potamoï est infranchissable, trop large et formé d'eaux particulièrement tumultueuses. Aucun pont n'a pu être érigé sur toute la partie avale. Il faut remonter au Nord pour le franchir, afin d'arriver en Terre d'Urca (au Nord-Est du continent) puis redescendre vers le territoire Animae. Un long périple en perspective !

Les deux jeunes filles passent de longues heures à imaginer leur voyage jusqu'à ce que leurs paupières ne deviennent trop lourdes. Elles décident d'aller se coucher afin d'avoir assez d'énergie pour la visite des rapaces le lendemain matin.

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