Chapitre 21.1 - LELYÂH - Rencontre inattendue

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Après plusieurs solaris à errer dans cette forêt d'encre noire et verte, les trois voyageuses soulagées entrevoient enfin la lumière percer largement la futaie. Les deux jeunes femmes ont hâte de dormir dans un vrai lit !

Lahärva est réticente à l'idée de sortir du bois mais Diane la rassure sur le fait que le pont ne se trouve pas loin et qu'elle pourra rapidement retrouver des arbres par la suite.

Avant même de voir le cours d'eau, elles entendent résonner son grondement, ce dernier tempête aussi fort qu'un homme en colère. Plus Diane et Lelyâh s'approchent, plus la présence du fleuve se fait impérieuse. Elles découvrent alors un large cours d'eau aux courants tumultueux, si large qu'elles ne distinguent qu'à peine l'autre rive. L'eau marronâtre s'agite dans son lit emportant tout sur son passage ; les deux jeunes femmes aperçoivent même un tronc dérivé précipitemment vers l'aval. Le fleuve se transforme en tourbillons d'écumes là où affleurent des rochers. Une force de la nature : majestueux et indomptable ; elles n'ont jamais rien vu de tel !

Lorsqu'elles arrivent devant le pont, les deux jeunes femmes aperçoivent plusieurs hommes qui semblent attendre quelque chose. Arrivées à quelques toises du groupe, Diane sursaute. Lelyâh se retourne et la voit saisie d'étonnement.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? On dirait que tu as vu un fantôme.

Diane s'explique, sur la défensive.

— C'est un ami de papa. Tu ne l'as pas vu très souvent. Que fait-il ici ?

L'homme aux vêtements bien taillés s'avance tout en prenant soin de garder assez de distance avec l'acynonyx.

— Diane, nous t'attendons depuis quelques solaris. S'il te plaît, ne fuis pas. Ton père m'envoie te dire qu'il t'aime et que tu lui manques. Ta mère est terrassée par le chagrin. Je t'en prie, rentre auprès des tiens, ton père ne t'en tiendra pas rigueur, lâche-t-il sans faire de pause en ponctuant ses mots de grands gestes.

La fille du lord est chamboulée par ces paroles. Ses mains tremblent. Certes, elle s'en doutait mais se l'entendre dire revêt une toute autre ampleur. Son coeur se serre dans sa poitrine.

Avant que les hommes n'aient pu faire ou dire quoi que ce soit d'autres, Lelyâh supplie Lahärva de s'engager sur le pont aussi vite qu'elle le peut. L'animal ne se fait pas prier, engageant une course effrenée au milieu du bruit assourdissant du fleuve et des appels qui s'éteignent aussi vite qu'ils sont apparus pour se perdre dans l'air.

Quelques larmes perlent sur les joues de Diane, emportée en un éclair par le vent. Le félin ne s'arrête qu'une fois le viaduc derrière eux, pour laisser à Diane le soin de les guider. Alors que son amie tente de se remettre de ses émotions, Lelyâh observe le paysage. Une majestueuse montagne se profile fièrement sur leur droite, son sommet recouvert d'un blanc immaculé. La roche sombre offre un contraste saisissant avec la nevée des hauteurs. Puis en poursuivant sur la gauche une plaine qui amène un peu plus à l'Est encore vers une ville semble-t-il ornée de pics plus modestes en toile de fond. Pas d'arbres à l'horizon, hormis quelques spécimens éparses dans la campagne.

Lelyâh pivote pour demander à Diane la direction à suivre lorsqu'elle voit cette dernière se décomposer.

— Quoi ?! Ils nous ont suivi ! s'exlame Lelyâh jetant des regards inquiets derrière elles. Je ne vois rien !

— Non, je...

— Tu quoi ? Tu me fais peur !

— On devrait voir la forêt d'ici.

Le calme qui s'installe est aux antipodes des émotions de la fille du lord, tantôt envahie par la panique, tantôt par l'incompréhension. Puis soudain, l'évidence s'offre à elle, Diane s'exclame en se tapant le front de la paume de sa main :

— J'y suis ! On a dûe dévier dans la forêt et nous sommes sorties plus haut, sur le pont qui mène au nord de la Terre d'Urca. Au lieu d'arriver au sud du mont Gayos, nous sommes sur son flan nord.

La fille du lord sort sa carte pour vérifier le trajet à suivre.

— Désolée Lahärva, il n'y aura pas d'arbres tout de suite.

Un silence suit cette annonce avant que Lelyâh ne réponde à la place de son amie félidée :

— Elle dit que tu n'as pas besoin de t'excuser même si elle n'est pas très emballée à l'idée de quitter sa sylve. Elle ne veut pas nous laisser seule, il semble qu'une odeur inquiétante flotte dans l'air.

— Cela fait échos à l'avertissement d'Orséice !

— Ce n'est pas comme si on avait le choix, on est obligée de prendre la direction du sud. Au pire, nous pouvons toujours nous arrêter à Strombevio.

— Je te propose qu'on prenne des sentiers annexes le long du mont Gayos pour éviter de croiser du monde.

— BIen vu ! Lahärva est contente.

La petite troupe arrive rapidement au pied de l'immense volcan. Les deux jeunes femmes lèvent les yeux vers son sommet. Il est impressionnant ! Un grondement suivi d'un nuage de fumée envahit l'air l'espace d'un instant.

— Il impose le respect ! Tu sais s'il est actif ? demande Lelyâh.

— Oui, mais je ne me rappelle plus la fréquence de ses éruptions, répond Diane en haussant les épaules.

L'acynonyx se met aux aguêts, les oreilles tendues vers l'avant.

— Qu' y a-t-il ? demande Diane à son amie.

— Des bruits de chevaux. Le son d'armes qui s'entrechoquent.

Les deux amies se regardent et acquiescent de concert. Lahärva reprend sa course jusqu'à un affleurement où elle se tapit, attentive. Lelyâh et Diane descendent et jettent un regard de l'autre côté de la roche. Elles aperçoivent une caverne et à son entrée cinq personnes qui semblent attaquer un homme. Il rend coup sur coup mais le combat est déséquilibré. De plus, il semble chercher à défendre l'entrée de la grotte, ce qui limite ses mouvements.

— On ne peut pas le laisser se faire massacrer ! lance Lelyâh.

— Je suis d'accord. Peux-tu les atteindre d'ici ?

Lelyâh réfléchit évaluant la distance, la main grattant inconsciemment son menton. Elle finit par répondre :

— Non, trop de risque de manquer mon coup et de viser celui qui se fait attaquer. Lahärva ?

Quelques secondes de silence avant que la soigneuse ne reprenne :

— Elle est d'accord mais seulement si nous restons cacher ici.

— Mmh, elle a raison, nous risquons de la gêner plus qu'autre chose mais peut-être peut-on s'avancer un peu pour que tu puisses tirer sur l'un d'eux au besoin.

— Ok, mais seulement moi, tu restes ici.

Lahärva avance à pas feutrés vers ses proies alors que Lelyâh se fond dans son ombre. Elle s'arrête à une bonne quinzaine de toises tandis que l'acynonyx poursuit toujours aussi silencieuse. Les hommes sont trop concentrés sur leur bataille pour apercevoir l'arrivée furtive de la bête. Ce n'est que lorsque la gueule de cette dernière se referme sur l'un d'eux qu'ils ouvrent des yeux ahuris, incapables de comprendre ce fléau qui s'abat sur lui. L'homme aux cheveux blancs se met également en garde, prêt à combattre le monstre qui dédaigne pourtant sa présence pour s'attaquer à un autre soldat. C'est alors qu'une femme à la musculature saillante plonge pour glisser sous le ventre de l'acynonyx. Lelyâh se force au calme, arme son arc, vise. La flèche atteint la jambe de la guerrière. La douleur soudaine l'empêche heureusement de planter son épée dans le ventre du fauve. Lelyâh court vers son amie alors qu'elle éclate le crâne d'un troisième homme. Ne reste qu'un autre soldat, la femme à la jambe blessée qui tente de se remettre debout et la victime aux cheveux blancs. Lahärva gronde en voyant la guerrière la menacer de son épée, le soldat venant se placer à son côté. L'homme à la chevelure immaculée en profite pour donner l'estoquade au dernier adversaire masculin. La femme lui fait de nouveau front, prête à se battre malgré sa jambe meurtrie. Lelyâh arrive à peine à une dizaine de pieds de la scène.

— Femme, jette ton arme à terre ou je tire ! Et je viserai la gorge cette fois-ci.

La guerrière sursaute mais ne lâche pas sa proie du regard. Elle semble réfléchir à toute vitesse. Lahärva gronde faisant tressaillir l'homme également, qui maintient malgré tout sa position. Puis la femme jette son épée à terre d'un geste rageux et lève les mains en l'air. L'homme détache sa ceinture et attache les poignets de la soldate. Les yeux de cette dernière lancent des éclairs.

— Elle ne te fera pas de mal, c'est mon amie ! prévient Lelyâh à voix haute alors que l'homme lance des coups d'oeil inquiets en direction de l'acynonyx.

— Tu es une Animae ! hurle la femme. C'est un traître à sa nation ! Tue-le !

— Je n'ai que faire de vos querelles internes.

— Elle est mon invitée. Je suis une Chloridiae, vos affaires ne nous concernent pas, ajoute Diane qui est arrivée à sa hauteur.

Elles approchent de concert et Lelyâh caresse le large front de Lahärva qui ronronne de plaisir en frottant son museau contre la tête de la jeune femme.

— Oui, doucement, la tempère la soigneuse avec un sourire maternelle.

— Je dois te remercier, prononce l'homme d'une voix qui ne laisse pas indifférent.

Il s'approche de Lelyâh en lui tendant la main.

— Je suis Bastus, merci de m'avoir aider.

— Lelyâh, enchanté. Le combat ne nous semblait pas très équilibré.

La guerrière Animae va pour répliquer quand Bastus lance dans sa direction :

— Cesse Gherki, tu as perdu ! Je crois que cet acynonyx serait ravie de se délecter d'une chair aussi protéinée que la tienne.

Un sourire narquois s'étire sur ses lèvres faisant pétiller ses yeux azur.

— Enchanté Lahärva ! J'ai encore quelques comptes à régler avec elle avant que tu ne puisses t'en repaitre !

— Pas question intervient Lelyâh, elle ne mangera pas d'humains !

Bastus pouffe.

— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

— La réaction de ta bête, elle est vexée.

— Toi aussi tu peux l'entendre ?

— Bien sûre, je suis aussi un Animae télépathe. Et qui es-tu ? demande le prince en se tournant vers Diane.

La fille du lord a la couleur de la lie de vin, elle tortille avec nervosité ses doigts. Sa timidité maladive a repris le dessus.

— Diane, ma soeur de coeur, répond Lelyâh pour la soulager. Que protégeais-tu à l'intérieur ?

Bastus a un mouvement instinctif de recul, le corps sous tension. Il réfléchit. Puis en conclut qu'il leur doit la vérité, sans elles il aurait fini blessé, voire pire.

— Toi, passes devant ! ordonne-t-il à Gherki de la pointe de sa lame. Venez avec moi, ajoute-t-il à l'intention des deux amies. Lahärva, je sens que tu as faim, si tu continues le long de cette falaise tu devrais tomber sur un groupe de capra. Bonne chasse !

Le petit groupe se dirige vers la grotte tandis que Lahärva part déjeuner. Il leur faut quelques instants pour s'habituer à la pénombre de cet abri naturel. Lelyâh découvre une femme allongée près d'un feu mourant, dont le corps est lacéré à de nombreux endroits, le visage pâle.

— Est-elle...

— Oui, je veux lui faire quitter notre monde comme il se doit mais mon frère à envoyer ses limiers pour m'en empêcher.

La légère puanteur qui parvient aux narines de la soigneuse lui confirme le décès qui doit remonter à quelques solaris déjà. Elle fait fit de l'odeur et demande simplement :

— Pourquoi ?

Bastus baisse la tête, le visage déformé par la douleur.

— Je l'aimais mais, pour lui, je n'en avais pas le droit.

Gherki crache alors au sol. Sans même réfléchir, Bastus lance son poing qui atterrit dans ses côtes lui faisant perdre son souffle. Cette fois, le visage du prince n'est qu'un masque de haine.

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