Chapitre 22 - BASTUS - L'armée Animae

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Dans le silence qui suit, Bastus s'assoit près d'Héphiane lui caressant les cheveux tandis que la Chloridiae prépare une tisane. Elle en propose même à Gherki qui accepte, le regard toujours noir. Peu de temps après, la guerrière ronfle bruyamment. Voyant leurs visages ahuris, Diane rompt enfin le silence :

— Je lui ai mis une forte dose de somnifères que je gardais au cas où tu aurais des insomnies Lelyâh. J'ai jugé qu'il valait mieux qu'elle dorme pour que nous puissions discuter.

Sa voix se réduit au fur et à mesure qu'elle parle, le rouge lui montant au joue, les yeux se baissant progressivement pour contempler ses pieds. Est-elle déjà sous mon charme ? Espérons que non, je n'ai plus le goût à cela ! Cette pensée souffle un vent de mélancolie sur l'âme endeuillée de Bastus.

— Tu as très bien fait, la remercie Lelyâh.

— Que faites-vous par ici ?

Le prince trouve étrange que deux femmes de Linéage différents se retrouvent dans un tel endroit, en dehors des axes principaux.

— Et toi ? demande la soigneuse pour toute réponse.

Il voit son regard méfiant, elle possède quelque chose de sauvage. Tandis qu'il la jauge, Bastus réfléchit. Elles lui ont sans aucun doute sauvé la vie, il doit faire le premier pas, bien qu'il préférerait grandement être seul avec son chagrin.

— Comme je vous l'ai dit, mon frère voulait récupérer le corps de ma femme. J'ai fui.

— Pourquoi ton frère voudrait-il une telle chose ? demande l'Animae encore plus méfiante.

Il voit la Chloridiae pensive, sa main frottant à un rythme régulier son menton ; Diane s'il a bien mémorisé son nom.

— Je ne vois qu'une explication, tu es quelqu'un d'important et ta famille voulait taire cette union.

Elle fixe avec obstination le sol tout en lâchant cette déduction.

— Tu es perspicace.

Il la voit rosir à nouveau, prendre le temps de chercher ses mots :

— Ce n'est pas difficile si je relie ce que tu nous a dit aux vêtements que tu portes. Les galons de l'armée, la coupe raffinée, les armes de bonne facture.

— Comment as-tu observé tout cela sans même me regarder ? demande Bastus surpris.

Le prince la voit se refermer comme un coquillage, aussi rouge qu'un poisson coquelicot, se pinçant la lèvre inférieure. L'autre femme le fixe avec intensité, elle semble lire au fond de son âme. Bastus est mal à l'aise. Il finit par conclure qu'il vaut mieux tout leur dire, de toute façon il ne sait pas où aller désormais, et il ne veut pas leur faire courir de risques inutiles. Autant qu'elles sachent à quoi elles sont mêlées, d'autres viendront forcément le traquer.

— Je suis l'un des fils de la Suprême Polémarque.

Diane tressaille mais ne dit rien.

— Je suis tombée amoureux d'une Vulcae, Héphiane morte lors de l'assaut contre le repaire de sa bande. Mon frère veut me faire payer une trahison que je n'ai pas commise. Je ne savais pas qu'elle était rebelle et je n'ai pas choisi de l'aimer. Je n'ose imaginer ce qu'il fera à sa dépouille !

Sa voix se brise en prononçant ces mots. Il doit faire un gros effort pour se ressaisir.

— Mon frère est un sadique, il ne me lâchera pas tant qu'il n'aura pas obtenu ce qu'il veut. Et je suis désormais un traître à ma nation, j'imagine déjà les châtiments qu'il me réserve pour ma capture !

Ses yeux s'assombrissent et sa mâchoire grince tant il est contracté.

— Où vas-tu ? demande la femme Animae.

— Je pensais l'enterrer par ici. Elle était forgeronne, je pense que c'est au pied d'un volcan qu'elle aurait souhaité reposer. Et vous ? Que faites-vous ici ?

— Nous sommes en quête de ma mémoire, répond simplement Lelyâh.

Voyant les yeux de Bastus pleins d'interrogations, elle poursuit :

— Comme tu l'as remarqué je suis une Animae mais j'ai perdu tous mes souvenirs. Je ne me rappelle ce qui s'est passé que depuis mon réveil, il y a un peu plus de cinq solemnum, en plein territoire d'Osany.

L'acynonyx pénètre à cet instant dans la grotte. Ses sens sont en alerte et ses babines retroussées laissent échapper un grondement sourd.

Lelyâh se lève en même temps que Bastus tandis qu'elle prévient à haute voix, sans doute pour son amie :

— Des hommes, en nombre. Ils marchent d'un bon pas près d'ici.

Puis se tournant vers Bastus :

— Ton frère a-t-il pu déléguer une armée pour te retrouver ?

— J'en doute.

— Allons voir, décident-ils d'une seule voix.

Lelyâh s'approche de Lahärva et grimpe sur sa croupe. Comment est-ce possible ? Aucun acynonyx ne tolère d'humains sur son dos ! Le prince reste là, les bras ballants à contempler le tableau qui s'offre à lui, tandis que Diane la rejoint.

— Que t'arrive-t-il ? demande la soigneuse.

— Tu dois bien savoir que ce que je vois devant moi n'est pas normal ! lance-t-il circonspect, dans un mouvement de recul.

— Je te rappelle que je n'ai pas de souvenirs. Comment distinguer ce qui est normal de ce qui est étrange ?

Le prince s'exclame les bras grands ouverts englobant la scène: :

— Eh bien ça, c'est étrange ! Un acynonyx n'accepte personne sur son dos. Bien sûr, on peut les dresser pour la guerre mais jamais il ne ploie le genou à terre pour nous accepter sur eux.

Un silence s'étire entre eux. Bastus finit par croisé les bras, contrarié tandis que Lahärva tourne la tête.

— Et moi je te dis que ça me regarde !

Il ne se laissera pas marcher dessus par un gros félin, tout puissant puisse-t-il être. Diane sort timidement de son long silence :

— Qu'est-ce qui se passe ?

Pour la première fois, elle ose le regarder en face. Bastus s'aperçoit alors de la beauté de ses traits délicats. Une vraie poupée de porcelaine ! Elle doit faire des ravages en Terre d'Osany ! Il se reprend aussitôt. Ce n'est pas l'endroit, encore moins le moment. Le prince tourne automatiquement ses pensées vers Héphiane, il ressent le manque cruel de son absence, un froid de tempête hivernal s'abat sur son coeur. Ça aussi, il doit le mettre de côté, pour l'instant.

— Lahärva estime que ça ne me regarde pas et moi je maintiens qu'au contraire, ça me regarde. Je suis prince et Animae. Si nous pouvons utiliser les acynonyx comme monture, je veux savoir comment. Ce serait fort utile !

Le fauve fait brusquement volteface et rugit près du visage de Bastus. Malgré la peur qui le traverse, il ne bouge pas, paré d'un masque d'indifférence feinte.

— Vous avez fini vos chamailleries ! s'agace Lelyâh. Il faut qu'on sache qui sont ces hommes, ce qu'ils veulent et où ils se dirigent. Si vous continuez, on risque de se retrouver coincés dans cette grotte avec un mort en décomposition !

Nouveau silence. Bastus reconnaît sur les traits de la soigneuse une Animae en pleine conversation avec un animal. Elle conclut :

— Lahärva t'accepte...

L'acynonyx gronde.

— Te tolère sur son dos, si tu clos le sujet.

— Entendu, concède-t-il de mauvaise grâce.

Toutefois, pour tenter d'apaiser la bête, il ajoute :

— Merci Lahärva.

Ils parcourent deux ou trois lieues avant que l'acynonyx ne se cache dans un bosquet intimant aux humains de descendre. Les trois jeunes gens découvrent sur la route des soldats Animae en formation de marche. Il leur est impossible de les compter tant ils sont nombreux. L'armée marche d'un bon pas sur la plaine en direction du nord.

Bastus tente une nouvelle fois de prendre contact avec ses pygargues. Sans succès. Ils se sont perdus de vue lors de sa fuite. Ses compagnons auraient pourtant été utiles pour épier les conversations. Le prince se tourne vers les deux femmes afin de leur parler, découvrant le visage livide de Diane, glacée de terreur.

— Diane. Diane ?! répète Lelyâh, la secouant légèrement pour obtenir une réaction.

— Ils... Chloridiae... ma maison.

— Qu'est-ce qu'elle raconte ? demande le prince.

— Diane, tu veux dire que cette armée va déferler sur les Terres d'Osany ? Ce n'était donc pas des rumeurs, précise Lelyâh transie de peur, des gouttes de sueur perlant dans son dos. L'avertissement d'Orséice!

— Sacré nom de Faona ! La Terre d'Urca ne lui suffisait pas ! J'aurai dû le voir venir. Elle veut posséder le monde entier ! Je la tuerai ! lâche Bastus avec hargne, les doigts tellement serrés que ses ongles entaillent la paume de ses mains, le visage dur et froid comme la mort.

— Ils n'oseraient pas ? demande Lelyâh sans trop y croire.

Puis la soigneuse repense à ses cauchemars, d'hommes et de femmes étendus sur le sol malades ou mourants. Une vision du futur en Terre d'Osany ?

Diane s''agite soudain, mue par une force qui la transcende. Elle veut se précipiter sur cette vague humaine prête à anéantir son pays. Lelyâh l'enserre dans ses bras, autant pour la contenir que pour la réconforter ; la fille du lord se met à sangloter.

— Ils ne peuvent pas ! Papa, maman.

Bastus se sent soudain parcouru d'une lucidité implacable : il doit tuer sa mère puis son frère pour hériter du trône et arrêter cette insanité. Mais d'abord enterrer Héphiane et régler son compte à Gherki.

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