Chapitre 34 - LELYÂH - Souvenirs

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Lelyâh observe le gouffre. Comment descendre ? Lahärva la rejoint, grondant doucement. Elle a beau être un animal nocturne, elle n'est pas une créature souterraine. Imaginer toute cette terre au-dessus de sa tête la terrifie. Lelyâh pose une main sur le cou de son amie, elle ira seule. Elle lui propose de rester dans les environs à chasser pendant qu'elle pénètre dans la crevasse. L'acynonyx tente de dissuader sa maitresse mais Lelyâh ne peut plus revenir en arrière, il doit savoir qui elle est. Elle s'assoit les jambes dans le vide, trouve une prise pour ses pieds et commencent à descendre vers les profondeurs. Petit à petit, l'obscurité l'enveloppe. Elle tatonne pour trouver des prises. Son pied gauche rencontre le vide et glisse. Lelyâh s'agrippe avec force à la paroi pendant qu'elle cherche un appui stable du bout du pied.

La crevasse s'est transformée en un puits noir. Lelyâh a perdu le contact avec Lahärva et doit en plus descendre à l'aveugle. De nouveau son pied gauche rencontre le vide. Cette fois c'est la chute. Un hurlement sort de sa gorge alors qu'elle essaie d'attraper la moindre aspérité de la paroi, sans succès. Heureusement, elle était presque arrivée au fond de ce gouffre.

La soigneuse sent un liquide chaud sur ses genoux. Elle les effleurent de ses doigts. Les plaies ne sont pas profondes. Le pendentif s'auréole soudain de sa lumière colorée indiquant une galerie sur sa droite. Lelyâh, étant assez petite, avance debout dans ce dédale souterrain. Après plusieurs embranchements, elle perd la notion du temps. Heureusement, la goutte diffuse en continu sa douce lumière.

Le serpent d'ébène commence à s'agiter. Les mains de Lelyâh deviennent moites. Sa gorge se serre.

Lorsque les premières larmes viennent mouiller ses yeux, la jeune femme débouche dans une immense grotte. Des stalagmites forment une allées naturelle jusqu'à un bassin. Ce dernier semble illuminé de l'intérieur créant une lumière tamisée sur les pourtours. Lelyâh avance fébrile. Elle lève les yeux mais ne distingue pas le plafond de la caverne. À son passage, des géodes font miroiter l'éclat de son pendentif en un kaléidoscope scintillant. Quelques marches la séparent du bassin. Lelyâh pose le pied sur la première marche quand soudain l'eau se met à bouillonner avec fureur. De l'écume est projetée sur les parois et sur le sol. Lelyâh frémit. Elle n'ose plus bouger.

L'eau crée une colonne liquide qui finit par dépasser la jeune femme. Alors, elle semble se scuplter et une Naïadienne d'un bleu presque translucide apparaît. La première image qui vient à l'esprit de la soigneuse est celle d'une albinos tant sa couleur est pâle. Lelyâh voit les parois au travers de son corps ondulant. Ses yeux violets irradient dans le noir.

— Qui es-tu ? Que fais-tu ici ? gronde sa voix tel un torrent tumultueux.

Qu'est-ce qui lui a pris de venir ici ? Plonge et tu disparatrais ! sussure le sinistre serpent. Lelyâh manque une respiration. Elle essaie de faire passer une goulée d'air, en vain. Deux respirations de manquées. Puis elle voit le visage de ceux qui l'ont aidé et accompagné : Hékos, Saëlle, Diane, Lord et Lady Olmo, Lahärva, Bastus, Zaphyne, Orséice, Castalice. Elle n'a pas fait tout ce chemin pour abandonner maintenant, si près du but.

— Lelyâh, parvient-elle enfin à articulier alors qu'une bouffée d'oxygène vient soulager le feu dans sa poitrine.

La silhouette s'allonge pour scruter son visage. Ésylice fronce les sourcils.

— Ton aura est étrange.

— C'est... C'est ce que m'a dit Castalice.

Les traits de la Naïadienne s'adoucisse.

— Tu as rencontré notre doyenne.

— C'est elle qui m'a envoyée auprès de vous, elle m'a offert ce pendentif.

Ésylice scrute le collier puis le visage de Lelyâh. Une étrange expression se dessine sur ses traits délicats comme le cristal. Le doute ? La surprise ? La jeune femme est bien en peine de déchiffrer les émotions qui traversent la créature.

— Que veux-tu ?

— J'ai perdu mes souvenirs, Castalice m'a dit que vous pourriez m'aider.

— Tu n'as aucune idée de ta nature ?

Lelyâh frémit ? Pourquoi ce terme "nature" ? Qu'est-ce que cela signifie ? La Naïadienne reprend, alors qu'apparait un gobelet cuivré entre ses mains :

— J'ai du mal à y croire moi-même. Regarde au fond du bassin, quand tu y verras ceux qui t'accompagnent, prend cette coupe, remplis-la et bois-là entièrement.

Tremblante, Lelyâh s'approche du bassin, hésite quelques instants puis finit par regarder son reflet. Trois visages apparaissent, souriants : une femme à la longue chevelure auburn dont les yeux ressemblent étrangement à ceux de Lelyâh, un homme aux cheveux mi-longs grisonnants sur les tempes et une enfant aux cheveux chatains et le regard vert profond de l'homme.

— Nezÿl ?!

La fillette lui sourit. Les tremblements de la soigneuse s'accentue. Ce n'était donc pas des hallucinations ? Le serpent siffle dans les tréfonds de son âme alors que sa main prend la coupe qui glisse entre ses doigts moites. Elle la ramasse lentement, la plonge dans l'eau avant de changer d'avis et bois d'une traite l'eau de la source. Une douleur fulgurante frappe son crâne la faisant tituber. Son pied glisse sur le sol humide et provoque sa chute. Lelyâh se prend la tête entre les mains. Un hurlement franchit ses lèvres. Un flot d'images l'assaillent. Elles vont trop vite pour que Lelyâh puisse s'en souvenir et pourtant elle sent la mémoire revenir peu à peu. Sa tête est en feu. Elle la cogne violemment par terre pour stopper la souffrance. Seule quelques gouttes carmin viennent maculer le sol, la douleur n'a pas reflué. Elle hurle à nouveau.

La Naïadienne s'approche et pose ses mains sur les tempes de la jeune femme qui lui saisit les poignets, au supplice. Doucement, la douleur reflue pour se transformer en une pulsation lancinante.

Lelyâh pleure longtemps. Elle sait. Des auras vaporeuses avec le visage de sa famille l'entourent. Ésylice lève délicatement sa tête.

— Je peux leur apporter enfin la paix.

— Je vous en prie, supplie Lelyâh d'une petite voix en pleurant à nouveau. Il ne mérite pas d'être coincés dans l'Entredeuxmondes.

La créature récite des paroles dans un langage inconnu puis l'une après l'autres les auras prennent leur envol avant de disparaître non sans un ultime aurevoir.

— Comment as tu survécu au massacre ? demande Ésylice avec intérêt.

— Je...

Les mots se bloquent dans sa gorge.

— J'ai fui avec mes parents. Ils étaient en mission en Contrée Cybeline lorsque l'eau des Mages a été empoisonnée. À leur retour, les morts étaient déjà nombreux, ils ont tout de suite compris. Malheureusement, Nezÿl était déjà malade. Nous avons fui dans la montagne mais ma soeur est décédée en chemin. Je... Elle.. Oh Florea quelle horreur !

Lelyâh se reprend avant de poursuivre :

— J'ai commencé à montrer les premiers signes d'empoisonnement alors que nous étions au milieu des Oréadiennes. L'armée des Linéages unifiés se dirigeait vers nos terres. Nous étions sur le seul chemin d'accès. Mes parents se sont sacrifiés. Ils ont...

Lelyâh pleure. La Naïadienne l'enveloppe de ses bras à la peau douce.

— Mon père m'a enfermé dans le creux d'un arbre alors que ma mère stoppait le poison. Je ne sais pas si elle a réussi. Ils ont du être massacrés par l'armée ensuite. Tout devient noir après, jusqu'à mon réveil il y a un peu plus de cinq solemnum.

— Ta mère a réussi.

— Comment le savez-vous ?

— Parce que je sens le poison en toi.

— Je vais mourir alors ?! demande Lelyâh affolée.

— Non. Attends, viens près de moi.

La créature pose ses mains sur la poitrine de Lelyâh et ferme les yeux.

— Oui, elle ne pouvait pas ôter le poison c'est pour ça que je le sens toujours tapi en toi. Mais elle a détourné ses dons de guérison pour stopper ton veillissement. Cela a arrêté la propagation du poison.

— Je... Je suis immortelle ?

— Je ne saurais le dire. Je n'ai jamais vu ça. Mais ce qui est sûr, c'est que tu ne vieillis pas.

Une immense fatigue s'abat d'un seul coup sur Lelyâh, la faisant chanceler.

—Lelyâh, pas maintenant. Tu dois sortir d'ici, les humains ne sont pas les bienvenus ici. Tu es amie des Naïadiennes ce qui t'a permis de rester le temps d'avoir tes réponses, mais tu dois ressortir.

Lelyâh rassemble le peu d'énergie à sa disposition puis commence le chemin du retour. Le pendentif la guide cette fois vers la sortie. Elle avance tel un somnambule, un pas après l'autre. Cette marche est une lutte contre elle-même, contre cette fatigue qui la terrasse. L'ascension mobilise tellement son corps que l'épuisement se tait le temps de la montée. Plusieurs fois elle manque chuter avant de retrouver enfin la lumière du jour. Lahärva l'accueille avec de tonitruants ronronnements. Lelyâh s'écroule dans sa fourrure.

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