Chapitre 4.1 - LELYÂH - Domaine d'Olmo

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Les solaris suivants, les voix se taisent. Le temps passe et Lelyâh récupère complètement, pourtant ni Hékos ni sa femme ne lui demandent de partir. Elle profite de l'accalmie auprès de ces gens bienveillants. La sans-mémoire n'a pas osé affronter les doutes qui l'assaillent, repoussés dans son subconscient. Elle a l'impression qu'un secret obscur plane au-dessus de son existence et cela la terrifie. Lelyâh n'a toujours pas la moindre idée de ce qu'elle fera par la suite, elle refuse catégoriquement d'affronter ses questionnements. . Lelyâh préfère donc se focaliser sur un présent sécurisant.

Environ une trentaine de solaris après son arrivée, Saëlle lui annonce :

— Hékos a terminé sa tournée. Il faut maintenant fabriquer les médicaments et les onguents. Généralement, il préfère travailler seul mais parfois il nous demandera de l'aide.

— Je ne suis pas sûre de savoir faire. Si je me trompe, ça pourrait être dangereux pour les patients.

— Ne t'inquiète pas. Regarde, en cuisine, tu es plutôt douée, tes dosages sont précis et tu n'as jamais brûlé quoique ce soit. Pas comme moi, la rassure son hôte en rigolant au souvenir de ses premiers déboirs.

— Merci Saëlle.

— Après, il est amené à se déplacer mais ce sera de l'imprévu. Certains habitants du sud préfèrent recourir à ses services, bien qu'il ne soit pas praticien.

— Est-ce que je pourrais l'accompagner pour découvrir la région ?

Saëlle se frotte la joue avant de répondre :

— Oui, avec certains patients ce sera possible mais pas avec tous. Il y a de vieux grincheux qui n'ouvrent pas leur porte aux étrangers.

Quelques solaris seulement après son retour à la maison, Hékos est appelé en urgence par l’une des familles les plus influentes du sud des Terres d’Osany. À son retour, Saëlle s'inquiète de sa mine sombre :

— Je n'ai pas réussi à soigner ses animaux.

La tête basse, devant les regards d'incompréhension, il explique :

— Les rapaces de Lord Olmo sont atteints d'un mal inconnu. J'ai tenté tous les soins à ma disposition, rien n'y a fait. L'un est mort dans mes bras. Le deuxième déjà ! Et trois sont malades.

Saëlle caresse le dos de son mari, lui offrant un regard compatissant :

— Tu as fait ce que tu pouvais. Comment a réagi la famille ?

— Lord Olmo est ennuyé de voir sa fille ainsi affligée, elle est très attachée à ces animaux. Elle n'a pas beaucoup d'amis et passe donc son temps libre avec eux. Elle n'a plus beaucoup d'appétit.

— Pauvre petite.

Hékos relève la tête, puis il regarde la sans-mémoire de bas en haut :

— Saëlle m’a raconté comment les poules se sont montrées dociles et coopératives avec toi dès ton arrivée. Sans parler de Bourrique qui te répond au doigt et à l'oeil ! Je sais que cela parait fou, mais j’aimerais t’emmener au domaine de la famille Olmo afin de faire un essai.

— Un essai de quoi ? Je ne suis ni praticienne, ni herboriste et encore moins soigneuse !

— J’ai la sensation que ta présence peut nous guider sur la voie de leur guérison.

— J’en suis persuadée, tu as un don avec les animaux, tu es une Animae, ajoute Saëlle.

Cela n’a aucun sens mais elle ne voit pas comment refuser une faveur à ces gens.

Ils partent donc dès le lendemain avec un léger paquetage. Les deux voyageurs parcourent à cheval la route au petit trot. Ils longent un cours d'eau bordé d'arbres aux feuilles ciselées, lie de vin, autour desquels s'étendent de petits bosquets qui alternent avec des zones d'herbes verdoyantes. L'air transporte des odeurs florales délicates et quelques senteurs musquées. Elle aperçoit à plusieurs reprises de petits mammifères barbotter près du rivage. Ils ont une queue plate, un corps effilé et de larges pattes palmées. Leur tête, où percent deux énormes yeux dorés, leur donne un air attendrissant. Hékos la met pourtant en garde, si l'on approche de trop près, ils attaquent de leurs canines fines et aiguisées.

Ils atteignent les portes du domaine en milieu d'après-midi. La propriété est entourée d’une muraille en pierre percée d’un large et haut portail en bois massif orné de sculptures en bas-relief représentants des décors végétaux complexes et finement travaillés. Une ouverture plus petite sur sa droite permet le passage des piétons et des chevaux ; Hékos et Lelyâh s'y dirigent pour pénétrer dans le domaine. Ils arrivent sur une vaste place au centre de laquelle trône une magnifique fontaine représentant une Naïadienne, figée dans un pas de danse au milieu de gouttelettes invisibles, gracile et envoûtante. De chaque côté, se trouvent des maisons formées par de rudimentaires structures végétales entrelacées, appartenant aux paysans. Ces chaumières ont sans aucun doute été construites par des Chloridiae bâtisseurs. Lelyâh regarde avec curiosité les étranges ovins qui se balladent librement devant les habitations. Ces derniers ont le corps recouvert d'une épaisse fourrure ondulée qui cache même leur tête. Lelyâh les trouve très amusants, ils ressemblent à une pelotte poussiéreuse gigantesque.

Dans le fond, domine un vaste manoir construit d’un mélange de pierres gris clair et de briques rouges. Hékos dirige les chevaux légèrement à droite, vers les écuries, où il confie les bêtes à un jeune palefrenier.

Les voyageurs se présentent ensuite devant le portail du manoir, en bois noir, classique, ce qui confère un côté austère à l'entrée. Un serviteur leur ouvre, les prie de se présenter puis les guide dans un petit salon de réception où se trouve un homme assis dans un fauteuil, une tasse à la main. À leur arrivée, il la pose hâtivement, se lève et vient saluer Hékos d’une poignée de main énergique et chaleureuse. À hauteur d'yeux, elle contemple avec fascination un pendentif en forme d’arbre dont les branches formes des arabesques d’une grande finesse. Puis elle lève la tête. La jeune fille est impressionnée par sa carrure, elle doit presque regarder au plafond pour voir son visage. Il porte une veste marron descendant jusqu’à mi-cuisse et cintrée à la taille, d’un pantalon noir et d’une chemise légère de couleur vert clair. Le Lord passe sa main dans ses cheveux poivre et sel attachés en une queue de cheval avant de la saluer.

— Tovim, tu dois être Lelyâh. Hékos m’a expliqué que tu sembles avoir un don avec les animaux, pouvons-nous aller voir nos rapaces dès maintenant pour voir si tu peux les aider ?

Le Lord semble tellement anxieux qu'elle ne peut lui dire non. Ils se dirigent donc d’un pas pressé vers l’immense volière située derrière la demeure. Il lui explique en chemin ce qu'elle sait déjà : trois animaux sont malades et deux sont morts.

Lelyâh découvre une volière en verre dont la structure est faite de troncs et de tiges végétales gigantesques. De grands arbustes s'épanouissent, offrant de nombreux perchoirs aux pensionnaires. Des allées de cailloux blancs parcourent le terrain herbeux où poussent, éparses, de petites fleurs des champs. L'endroit a des airs de campagne bucolique qui ne laisse pas Lelyâh indifférente. Les rapaces sont en pleine conversation, le cri de l'un faisant écho aux bruits stridents d'un autre. Le tout est plus cacophonique qu'harmonieux mais la majesté qui se dégage de leurs cris charme aussitôt la jeune femme.

Lord Olmo sort un petit sifflet de sous sa veste. Il ferme les yeux, porte l'instrument à ses lèvres et un bruit strident traverse l'atmoshpère. En réponse, un cri aigu retentit alors qu'un volatile entame quelques cercles avant de venir se poser sur le gantelet du Lord. C'est un magnifique aigle noir aux yeux vert émeraude dont le contour est cerné d’un trait doré qui intensifie son regard, pourtant fatigué et las. Lelyâh comprend tout de suite qu’il s’agit de l’un des animaux malades. Elle s’approche doucement de lui mais il prend aussitôt son envol, pour aller se percher sur les hauteurs. Lelyâh n'est pas surprise mais déçue. Elle espérait tant se rendre utile !

Elle a aperçu, au passage, sous son ventre une zone déplumée rougeâtre et suintante ; elle a mal pour l'animal. Se succèdent ainsi plusieurs tentatives qui restent tout aussi infructeuses. La frustration et la déception la submergent. Elle a l'impression d'être un poids ; pour une fois qu'elle pouvait aider Hékos, c'est un échec lamentable. Elle aurait dû s'en douter !

La jeune amnésique murmure :

— Je suis désolée.

Malgré l'habileté du Lord pour masquer sa déception, elle lit au fond de ses yeux l'espoir qui vient de s'éteindre. Elle se sent vacillante mais prend, non sans mal, son courage pour proposer :

— Je peux réessayer demain si vous souhaitez.

— Pourquoi pas, pour le moment allons manger.

Lelyâh se sent triste et vidée. Ses épaules deviennent si lourdes qu'elles menacent de la faire tomber à la renverse. Le trajet dure une éternité, parcours de pénitence d'avoir ainsi déçue ceux qui lui ont ouvert leur porte et leur coeur.

Lady Olmo et sa fille les accueillent à l'entrée de la salle à manger et l'amnésique se force à saluer d'un sourire poli dénué de toute émotion. Ils mangent un délicieux repas dont elle n'arrive pas à profiter. Pourquoi n'a-t-elle pas pu ne serait-ce qu'approcher l'oiseau ? Pourquoi être obligée de démolir ainsi les espoirs des autres ? Se sentir bonne à rien l'attriste profondément.

Elle surprend la fille de ses hôtes qui n’arrête pas de lancer des coups d’œil furtifs dans sa direction. Elle doit être la plus déçue de tous, pourtant elle ne dit rien. La situation a quelque chose d'encore plus désagréable que des reproches directs. Une chappe de plomb recouvre tout son corps.

Lelyâh se met rapidement au lit, le coeur lourd. Le sommeil tarde à venir, de nouvelles cogitations agitent son esprit : elle est d’abord en colère de n’avoir pas pu établir de contact avec l’oiseau, cela a été si évident avec les poules de Saëlle ! Puis triste de ne pas avoir été à la hauteur des attentes d'Hékos et du propriétaire des lieux. Elle se repasse la scène en boucle. Le serpent d'ébène en profite pour sortir et venir à nouveau la tourmenter :

"Tu vois bien que tu n'es pas capable. Je t'avais prévenue que tu perdrais cette nouvelle famille comme tu avais perdu la première. À quoi bon lutter, viens me rejoindre. Laisse-toi glisser dans les remous sombres de ton esprit."

Aussitôt, Lelyâh fredonne, presque par automatisme, les chants de Saëlle aussi longtemps qu'il le faut pour amoindrir la prise du reptile. Au bout d'un moment, elle parvient à reprendre suffisamment de contrôle.

En réalité, elle se rend compte qu'elle était terriblement stressée de devoir répondre aux attentes placées en elle. La jeune femme comprend que cela a peut-être été déterminant dans la réaction de l’animal et elle décide, malgré l'angoisse d’un nouvel échec, de se lever aux aurores pour se rendre seule dans la volière. Ainsi, elle espère ne pas sentir de pression et rester à peu près sereine.

Sur ces pensées plus positives, la jeune femme finit par sombrer auprès de Sommus.

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