Chapitre 5.2 - BASTUS - Menace Vulcae

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Le lendemain, les espions reviennent. Bastus s'impatiente. Le prince tape du pied. Son genou cogne dans la table qui lui sert de bureau, mouvement accompagné par le stylet qui bat la mesure sur la carte posée devant lui. Il reçoit au plus vite Gherald, le chef de patrouille, un homme svelte au regard alerte. Sa nervosité communicative met l'espion sur la réserve, il reste droit comme un I sans prononcer le moindre mot. L'homme semble attendre un geste de son supérieur qui, impatient d'avoir des informations corroborant les missives de la Suprême Polémarque, et fatigué par la courte nuit à profiter des plaisirs charnels, n'a pas donné la permission à son subordonné de prendre la parole. Bastus espère bien obtenir plus d'informations que n'a pu en récolter Gherki.

— Bon, et ce rapport ! Ça vient ou je te le tire du nez de force !

— Arrvida, mon commandant. Veuillez m'excuser, je ne voulais pas vous manquer de respect.

Bastus se rend compte de sa brusquerie et s'efforce de calmer son empressement. Gherald a simplement suivi le protocole, Bastus l'a forcé à s'excuser d'une faute qu'il n'a pas commise. Il doit rester patient, comme il peut l'être avec les femmes. Peut-être doit-il ce trait de caractère à son père, qu'il n'a jamais connu ? En tout cas, cela ne peut venir de sa mère qui préfère la manière expéditive de traiter les affaires et les personnes, Kartos suivant ses pas avec dévotion. Parfois il se demande s'il a bien sa place au sein de cette tribu de sauvages. Le plus souvent, il s'impose d'être à la hauteur des exigences maternelles tout en conservant un tact qui dénote de la sphère familiale.

Il recentre ses pensées et reprend :

— Arrvida Gherald. Tu n'as pas à t'excuser, le début de journée a été mouvementé et j'en ai perdu les bonnes manières. Je t'écoute.

Bastus voit dans le regard de son espion la reconnaissance qu'il lui porte pour s'être s'excuser. Au lieu d'être l'aveu de faiblesse tant redouté par sa mère, il a compris que cela lui permet de gagner le respect et la fidélité de son entourage. Diriger par la terreur, très peu pour lui. Même si souvent il regrette de ne pas avoir la brutalité et la cruauté de son jumeau qui lui permettraient de rentrer dans les bonnes grâces de la Suprême Polémarque. Cette absence de reconnaissance est une plaie béante, elle le ronge quotidiennement. Il se sent sans cesse tiraillé entre le besoin d'être admiré par sa mère et ce qu'il ressent au fond de lui comme étant la juste voie à suivre. Pourquoi cela doit-il être si compliqué ? Il prend conscience de son chef de patrouille, figé telle une statue, les bras croisés dans le dos, le regard tourné vers lui. Il a instinctivement perçu l'indisponibilité de son supérieur et attend que ce dernier soit prêt à entendre son rapport. Lorsque Bastus hoche la tête, l'espion commence :

— Nous avons pu longer toute la frontière des environs et nous n'avons rien remarqué de suspect, ni à l'aller ni au retour. Nous avons donc pénétré le territoire des Terres d'Urca, sans toutefois croiser le moindre bataillon ou homme armé. Seulement quelques paysans et des marchands sur l'axe principal. Devant être de retour ce matin, nous ne nous sommes pas aventurés plus en avant dans le pays.

— Gherald, toi qui a vécu les guerres intestines avant la prise de pouvoir par la Suprême Polémarque, qu'en penses-tu ?

L'espion, la chevelure grisonnante, orné d'une large cicatrice cheminant de l'arcade sourcilière gauche jusqu'au menton lui répond :

— Puis-je communiquer mon ressenti en toute liberté, mon commandant ?

— Bien sûr Gherald, je t'écoute.

— Pour être honnête, il est surprenant que nous n'ayons aperçu la moindre manoeuvre militaire au vu des rapports que vous nous avez transmis. Nous aurions dû, au moins, apercevoir quelques patrouilles. Bien sûr, il est possible qu'ils aient posté leurs garnisons à l'arrière des villages frontaliers afin de se faire plus discrets mais cela ne me semble pas correspondre aux descriptions que vous nous avez communiquées. Etes-vous sûr des informations que l'on vous a données ?

— Oui, les rapports ne laissent pas de doute quant à des mouvements armés près de nos frontières. Je te remercie. Avec ta patrouille, retournez immédiatement en territoire Vulcae. Vous ne devez en aucun cas être aperçus, cela signerait une violation expresse des relations cordiales entre nos deux pays. Prenez un autour avec vous pour m'envoyer au plus vite les premières informations. Tu peux disposer. Vadem.

— Vadem.

Bastus médite, perplexe, en faisant les cent pas. Il se rassoit et ressort tous les rapports que sa mère lui a transmis, les éparpillant au fur et à mesure de sa lecture sur toute la surface de son bureau. Des patrouilles le long de la frontière y sont bien mentionnées. Une arme massive de longue portée aurait même été aperçue.

Le prince reste ainsi une bonne heure à éplucher toutes les notes sans identifier la zone exacte d'observation des mouvements Vulcae. Comment ne s'est-il pas rendu compte avant de ce manque de précisions ? Pourquoi la Suprême Polémarque n'a-t-elle pas fait partir de nouvelles patrouilles avant d'envoyer un moraï complet en renfort ? Ce n'est pourtant pas son genre, elle, la gestionnaire rigoureuse qui s'attarde sur le moindre détail. La missive d'Estia apportera forcément des éléments plus probant pour évaluer comment positionner ses hommes. Il faudra attendre la réponse. Pas avant le début de l'après-midi, voire le lendemain.

Lorsqu'il entend un bruit sourd, le prince se rend compte qu'il a recommencé à bouger avec frénésie sa jambe droite provoquant la chute de son encrier. Il s'apprête à le ramasser lorsqu'il perçoit des pas précipités se rapprocher de sa tente. Bastus lève la tête et voit l'un de ses seconds entrer, le souffle court :

— Mon commandant, une rixe s'est déclenchée dans les quartiers sud du camp.

L'homme avale quelques goulées d'air avant de reprendre :

— Des soldats de Gherki ont provoqué quelqu'uns de nos hommes au jeu. Une affaire de triche semble-t-il.

— J'arrive !

Bastus se précipite vers la zone du conflit. Lorsqu'il arrive, des hommes regroupés forment une masse compacte. Ils poussent des cris et des encouragements le regard tourné vers l'intérieur du cercle humain. De nombreux poings sont levés pour encourager les belliqueux. Certains transpirent d'excitation. D'autres jouent des coudes pour mieux voir la scène ou simplement laisser libre cours à l'adrénaline qui les traverse. Une odeur rance se dégage de cet attroupement.

En apercevant leur chef, un chemin s'ouvre rapidement afin de lui permettre d'accéder au coeur de l'action. Il y découvre six ou sept hommes en train d'asséner des coups de poings et des coups de pieds rageux. Il distingue rapidement ses soldats en train d'affronter ceux de Gherki. Un plateau de jeu en métal à moitié cabossé et quelques dés jonchent le sol. Deux hommes sont déjà à terre, l'un se tortillant de gauche à droite en geignant, l'autre, le bras étendu dans un axe improbable.

Puis, à la périphérie de son champs de vision, il perçoit une ouverture se former dans le cercle. Ce ne peut être que Gherki. Il a beau lui avoir ordonné de régler lui-même les différends au sein du camp, si elle prend l'initiative devant tous ces hommes, il lui sera difficile de revenir dessus sans provoquer une scission au sein des soldats. Cela n'apporterait rien de bon. Il doit intervenir le premier. Il s'avance avec empressement avant que son second n'ait pu le rejoindre et lance d'une voix pleine d'autorité :

— Cessez !

Les encouragements de la foule diminuent rapidement. Les querelleurs encore en état de se battre sont aussitôt interpellés par ce silence soudain. En cascade, chacun lève la tête et aperçoit Bastus. Un à un, ils lâchent prise et prennent alors conscience de leur état lamentable : maculés de poussière et de marques d'ecchymose en cours de formation. Certains mettent leurs mains sur leurs côtes ou sous leur nez en train de maculer le sol d'une mare rougeâtre.

— Retournez immédiatement à votre poste, et en vitesse ! Vous, dans ma tente ! Eklesia, prend quatre de tes hommes pour les escorter.

Après avoir pointé de la main les combattants du jour, il se dirige d'un pas ferme et décidé vers la zone de commandement. Gherki, en tant que bras droit, se doit de soutenir Bastus, même s'il ne doute pas qu'elle aurait immédiatement soumis les responsables aux coups de fouet en rafale sur la place publique, il l'entend intimer :

— Vous avez entendu, il me semble ! Au travail, ou je vous reçois sous ma tente !

Les hommes se dispersent en vitesse, la réputation de Gherki n'est plus à prouver. Bastus est légèrement agacé car il sait ce que signifie une convocation dans ses quartiers, c'est une séance de torture assurée. Au moins, elle n'a pas ouvertement remis en cause son autorité. Cette idée lui permet de se détendre quelque peu même si le visage de sa seconde se peint devant ses yeux, couvert du sang provoqué par son coup de poing imaginaire.

Peu de temps après avoir rejoint sa tente, Eklesia encadrés de ses hommes entre avec les responsables de la bagarre. Un coursier arrive au même moment.

Bastus le fait entrer, s'il s'agit du rapport d'Estia, il veut savoir ce qu'il contient.

— Arrvida mon commandant, le message d'Estia vient d'arriver à l'instant.

— Arrvida. Merci, tu peux disposer.

Bastus se précipite sur le cachet. Sa nervosité fait trembler ses doigts qui glissent sur la cire. Il grogne. Le silence se prolonge parmi les hommes présents tandis que Bastus ouvre la missive. Personne n'ose bouger. Enfin, le prince vient à bout de la capsule ; c'est bien le rapport de Teïos. Il veut savoir ce qu'il contient et vite. Il s'adresse à Eklesia :

— Je te laisse gérer ce débordement. Tu viendras me voir dans mes quartiers pour m'informer de la sanction.

— Bien, mon commandant, acquiesce Eklesia plaquant ses bras le long du corps dans un salut impeccable.

Bastus quitte prestement les lieux pour se diriger vers ses quartiers. Il marche à grandes enjambés. Quelques soldats s'approchent pour lui parler mais se ravisent aussitôt devant le visage grave de leur commandant. Il ouvre le rideau de sa tente avec empressement, ce dernier revient lui coller au visage. Le prince pousse un juron. Il se dirige droit vers sa couche. Il s'assoit avec précipitation, le rouleau serré dans sa main.

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