Chapitre 8.1 - BASTUS - Préparation de l'assaut

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Après trois solaris d'organisation, le campement est prêt à accueillir les trois mille hommes, et même plus puisque Bastus a préféré anticiper la suite. Ils doivent se répartir en trois contingents comprenant plusieurs moraïs dans les principales villes frontalières, d'Est en Ouest : Estia, Berphï et Merinos. Un rapport lui a appris l'arrivée de son frère à Merinos ; il aurait dû s'y attendre. Kartos ne manquerait pas une occasion de le rabaisser et de vérifier au passage que son jumeau n'intrigue pas contre lui. Bastus a déjà essayé de discréditer son frère par des manoeuvres indirectes, mais son jumeau a toujours réussi par finir à le mettre en porte-à-faux face à leur mère. Rien que de penser à lui, Bastus sent la rage l'envahir telle une bête sauvage libérée de sa cage après plusieurs solaris de jeûn. Elle se défoule dans sa poitrine, crispant tous les muscles de son corps et mettant tout son être sous tension.

C'est peu avant l'heure du dîner que son frère suivi de mille soldats arrive dans le camp. Bastus et Gherki attendent ensemble leur général en chef :

— Arrvida mon général, l'accueille Bastus.

Dès que Kartos avait été promu à la tête des armées Animae, il avait été clair : son frère devait l'appeler par son titre, sous peine de sanction. Bastus n'a jamais été à l'encontre de cet ordre, connaissant trop bien son frère ; il se serait délecté de lui trouver un supplice à la hauteur du "méfait".

— Arrvida commandant.

— Je vous conduis sur la zone que nous avons préparée pour votre installation au sud du campement, poursuit Bastus.

— Je souhaite d'abord passer par la tente de commandement pour voir les dernières missives, répond Kartos.

— Je vous y accompagne, propose immédiatement Gherki.

Kartos conclut, sans même un regard pour son frère :

— Bien, je te suis pendant que Bastus s'occupe d'installer mes hommes.

Si Bastus le pouvait, il ferait bondir à la gorge de son jumeau, la bête qui fulmine dans sa poitrine ; cette dernière a redoublé de violence et le jeune homme est obligé de s'enfoncer les ongles dans la peau à s'en écorcher les chairs afin de ne pas la laisser se déchaîner. Eklesia, légèrement en retrait, aperçoit aussitôt la tension extrême de son supérieur. Peinée de le voir ainsi dénigré, elle se porte à sa hauteur et lui suggère :

— Allons-y, plus vite ils seront installés, plus vite vous pourrez les rejoindre.

Bastus aquiesce, Eklesia ordonne alors :

— Suivez-moi ! Nous allons vous mener jusqu'à l'endroit où vous pourrez monter vos tentes.

Des hommes relaient l'information jusqu'en queue de file, tandis que ceux de Bastus se disséminent le long des troupes pour les guider. En silence, Bastus prend alors la tête du cortège. Il délègue aux seconds de Kartos l'installation des hommes et ordonne à Eklesia de faire apporter des vivres pour le repas du soir. Il se dirige ensuite, à la hâte, vers la tente de commandement où il retrouve Kartos et Gherki en pleine discussion :

— Oui, les derniers rapports ne montrent rien d'inquiétant dans la zone ; le dernier date d'hier, ils ont poussé jusqu'en arrière des premiers villages et les espions n'ont identifié aucun campement militaire, explique Gherki.

— Cela confirme ce que j'ai entendu à la capitale. Les soldats Vulcae ont d'abord été observés sur cette zone, mais se sont ensuite déplacés vers l'Est, puis dans l'intérieur des terres. Ils ont sans doute aperçu nos hommes et ont préféré se terrer dans l'arrière-pays en attendant d'être prêts. Nous les prendrons de court en attaquant d'ici une quinzaine de solaris. La Suprême Polémarque finit de faire produire une nouvelle arme grâce à la mine d'acier récemment mise en activité. Ce sont des arbalètes gigantesques, que les armuriers ont baptisé "balistes". Elles tireront plusieurs carreaux en même temps pour infliger un maximum de dégât. J'ai hâte de les voir à l'oeuvre ! se réjouit Kartos.

Kartos a bien maté quelques révoltes dans un véritable bain de sang mais rien de plus, aucune opportunité ne s'étant présentée à lui. Cette appétence de son frère pour la torture a toujours dépassé Bastus. Comment peut-on se délecter de voir des hommes blessés, tués ou mutilés ? Il voit aisément à quel point ce dernier doit jubiler de vivre sa première guerre ! Bastus l'a souvent entendu s'imaginer vivre les Grandes Révoltes provoquées par sa mère comme s'il regrettait d'être né trop tard.

— Ah, Bastus te voilà enfin ! J'annonçais à Gherki l'arrivée de notre armée d'ici dix à quinze solaris. L'attaque est prévue pour le 130ème solaris. L'objectif est une invasion éclair d'ici la fin du solemnum.

— Il ne s'agit pas de contrer l'ennemi ?

— N'as-tu rien écouté de ce que je viens de te dire ?! gronde son frère le regard haineux.

— Tu as parlé d'envahir.

— Et donc ?

— Il y a une nuance entre les deux, me semble-t-il.

— Justement, pas de nuance, nous réduirons à néant leurs espoirs d'invasion en les soumettant.

Bastus n'en croit pas ses oreilles ! Il voit le sourire malsain s'étirer sur les traits de son frère et de Gherki, savourant à l'avance "les délices" à venir.

Mais c'est absurde ! Pourquoi vouloir conquérir la Terre d'Urca ? Jamais aucun Linéage n'a envahi son voisin ! Les repousser suffirait amplement à les dissuader. Si tentative d'invasion, il y a, ce dont Bastus commence à douter. Pour autant, il ne voit pas le but de cette manoeuvre. Pourquoi sacrifier tant d'hommes pour un conflit sous-jacent qui n'existerait pas ? La domination du peuple Vulcae ? L'idée paraît tellement grotesque qu'elle ne se fraye aucun chemin dans la logique de Bastus.

— Bien, cela étant dit, nous verrons demain pour organiser l'arrivée de l'armée et l'attaque du Linéage Vulcae. Pour l'heure, je vais me changer avant d'aller fêter nos retrouvailles en ville. Tu sais comme tu m'as manqué mon frère !

Et Bastus d'observer le sourire mesquin de son frère allumer ses yeux d'un éclat fugace.

— J'ai réservé une auberge de premier choix, vous m'en direz des nouvelles, mon général, ajoute Gherki.

Sans le savoir, elle vient de remonter le moral de Bastus. Le corps toujours sous une tension extrême, il s'accroche à l'idée de séduire la proie de son frère pour lui rabattre son caquet. Enfin !

~ ~ ~

Au coucher du soleil, les hauts gradés se dirigent en ville où Gherki les mène jusqu'à l'établissement qu'elle a fait découvrir à Bastus le jour de son arrivée. Ils sont installés dans un salon privatif où le gérant les accueille, leur offrant l'un de ses meilleurs alcools pour débuter la soirée. Bastus essaie d'imaginer qu'il aura le dessus sur son frère. Ainsi il peut profiter à minima de la soirée. Pour le moment, il reste aussi tendu que la corde d'un arc bandée juste avant de lancer une flèche, les bras croisés, le corps raide. Il a mis sur son visage le masque qu'il s'est créé au fil des années, pour ne pas laisser transparaître la haine qui s'allume à chaque fois qu'il cotoie son jumeau.

Les servantes arrivent peu de temps après, les bras chargés de plateaux diffusant une odeur d'agrumes et d'épices, un mélange d'alcool et de bouchées grillées servies en apéritif. Kartos ne peut s'empêcher de souffler de façon peu discrète à Gherki :

— Ah, les femmes de ces contrées ont des formes à vous faire bander dans la seconde ! Tu as choisi l'endroit idéal !

Et il lance un regard lubrique à une brune à la carrure massive dotée d'une forte poitrine, ce physique a toujours mis Kartos dans tous ses états. Bastus n'a jamais compris les goûts de son frère en matière de femmes, préférant les formes graciles, mais il se fera un plaisir de la lui ravir. Ce sera de toute façon préférable pour elle de finir dans son lit plutôt que forcée à assouvir les envies bestiales de son jumeau. À peine s'est-elle penchée devant Kartos pour lui servir son breuvage que celui-ci lui met une main aux fesses :

— Merci ma belle !

La jeune femme devient rouge à l'instant, les mains moites, le corps raidi. Elle essaie avec discrétion de reculer mais son frère force sur son bras pour la rapprocher de lui et humer son parfum. Elle commence à trembler légèrement lorsque Bastus demande, s'adressant à elle :

— Mademoiselle, auriez-vous du tacchin confit ? J'ai découvert ce met la dernière fois que je suis venu et j'aimerais avoir le plaisir d'en savourer à nouveau. Il était vraiment délicieux !

Elle hoche la tête en répondant :

— Je vais demander au cuisinier de vous en préparer.

Elle profite de l'occasion qui lui est offerte pour filer à toute vitesse. Lorsqu'elle revient, la servante tend une petite assiette fumante à Bastus et lorsqu'elle la dépose, le prince ajoute en lui frôlant la main, comme par inadvertance :

— Merci de votre gentillesse. Vous faites honneur à l'hospitalité des femmes de Merinos.

En retirant sa main, elle s'empourpre violemment cachant un sourire qui cherche à s'épanouir sur ses lèvres. Bastus la suit à distance respectueuse pour la rattraper dans le couloir et lui proposer de la revoir à la fin de son service. Après avoir obtenu son accord, il retourne s'assoir et, comme il s'y attend, Kartos lui lance un regard chargé d'éclairs. Il n'a pas eu le temps de le devancer et sait que sa proie lui a filé entre les doigts pour ce soir.

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