Chapitre 12.2 - BASTUS - Volos

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Arrivés alors que l'astre solaire s'auréole d'une lueur carmin, la petite troupe découvre une architecture radicalement différente de la capitale. Les maisons sont construites dans la roche sombre extraite du sol de la région, enchaînement d'habitations cubiques de part et d'autre des rues et des ruelles. Près du manoir qui domine la cité, seuls quelques bâtiments s'élèvent sur plusieurs étages : une auberge, un lieu de culte, des habitations de haut fonctionnaires et le centre d'études. Ils sont ornés de bas-reliefs ; ces derniers offrent une élégance exotique pour des hommes venus du Sud. Le manoir est bâti dans la même roche mais un entrelacs de minerais trace des motifs complexes sur la façade. Cela crée un jeu de lumière aux reflets dorés et cuivrés. Le don des Vulcae à travailler la roche et les minerais leur a permis de créer une demeure insolite qui se déploie telle une robe de soirée aux broderies scintillant de mille feux. Le voile d'un rouge étincelant déposé sur l'ensemble enflamme la rétine.

Les hommes resserrent le col des épais manteaux de fourrure qu'ils ont revêtus il y a quelques temps déjà. La température avoisine les zéro degrés à l'approche du crépuscule, et un vent glacial vient fouetter leur visage à intervalles irréguliers. Malgré l'austérité du climat, Bastus est immédiatement séduit par le lieu. L'atmosphère est voilée de mystère pourtant il s'en dégage quelque chose de chaleureux. Il note rapidement comme la pâleur des habitants met en valeur la délicatesse des traits des femmes qu'il croise sur sa route. Son désir s'émoustille, ce qui ne lui est pas arrivé depuis de très nombreux solaris. Toutefois, il est rapidement ramené à la cruelle réalité, en voyant affichés des avis de recherche et en entendant un appel au couvre-feu imminent. Implacable, l'ordre lui revient en mémoire : il faudra, sous peu, de nouveau tuer.

— Mieux vaut ne pas rester dehors, on se les gèle ici, lance Teïos.

— Je ne doute pas que tu trouveras sous peu des bras pour te réchauffer, lui dit Frey le sourire taquin aux lèvres.

— J'espère qu'il ne sera pas le seul, j'ai l'impression que mes doigts vont geler, renchérit Deloÿs.

— Dépêchons-nous, il serait malvenu d'arriver après le couvre-feu, ajoute Teïos.

Bastus, absorbé par l'atmosphère du lieu, reste silencieux. Lorsqu'ils entrent, de grandes tentures s'épanouissent devant leurs yeux, offrant autant de tableaux de la vie quotidienne Vulcae à admirer. Les couleurs vives contrastent avec la noirceur de la roche.

Klar, le commandant Animae actuellement en poste les accueille dans un petit salon où trône une vaste cheminée dont le foyer crée des ombres dansantes sur les murs. Après avoir enlevé leurs manteaux, ils s'installent dans de larges fauteuils molletonnés alors que deux hommes leur apportent une boisson chaude réhaussée d'eau-de-vie, ce qui les réchauffe rapidement. Les serviteurs Vulcae portent une longue chevelure jusqu'aux épaules, comme les hommes Animae, mais les côtés sont à l'inverse rasés et dotés de tresses pour l'un et de tatouages pour l'autre. Ils portent de gros bracelets en métal qui remontent jusqu'à la moitié de leurs avant-bras. Les Vulcae gardent cérémonieusement la tête baissée. Lorsqu'ils sortent, Klar explique :

— Nous avons encore quelques poches de résistance par ici. L'abondance de montagnes offre de nombreuses cachettes souterraines où se terrer, et avec ce climat, cela leur confère un avantage certain. Plusieurs rebelles importants ont été récemment arrêtés et exécutés mais leurs chefs sont encore dans la nature. Et les gens d'ici leur vouent une confiance et une loyauté sans faille.

— Ce sont les portraits affichés sur la place devant le manoir ? demandeTeïos.

— Tout à fait.

— De combien d'hommes disposez-vous ? demande Bastus.

— Trois-cent-cinquante.

— Et à combien estimez-vous l'armée des rebelles ? poursuit le prince.

— C'est difficile à dire car ils fonctionnent par petites factions éparpillées. Je dirais environ cinq cents.

Trois serveuses entrent alors, les bras chargés de mets aux parfums alléchants. Bastus reste captivée par la plus petite d'entre elle, à la peau diaphane et aux yeux gris. Chacun de ses mouvements est fluide et gracieux. Ses bracelets tintent chaque fois qu'elles déposent un plat sur les tables basses placées devant eux. Le prince a rarement vu des traits aussi délicats chez une femme. Pour la première fois depuis l'invasion, le désir enflamme tout son corps. Il effleure légèrement sa main, faisant mine de se servir d'un amuse-bouche. Sa peau est d'une douceur exquise.

— Les femmes du nord sont-elles toutes aussi gracieuses et serviables ? demande Bastus.

Teïos lui lance un regard espiègle ; il est heureux de voir son prince refaire surface. Si son appétit pour les femmes est revenu, c'est qu'il commence à aller mieux, du moins l'espère-t-il. Klar répond avec sérieux :

— Malgré les souffrances que nous leur avons causées, les Vulcae du Nord sont restés hospitaliers, du moins ceux qui ont accepté le gouvernement Animae.

— Elles vont faire palir de jalousie nos femmes du sud ! s'exclame Bastus tout en guettant la réaction de la divine créature.

Cette dernière jette sur lui un regard où perce l'intérêt et la curiosité, même s'il y perçoit aussi les affres d'une profonde tristesse. Comme lui, elle a été marquée au fer rouge, et sûrement bien plus. Il espère que cela ne l'empêchera pas de trouver un peu de réconfort auprès de lui.

Toutefois, il ne peut poursuivre sa tentative de séduction puisque la discussion reprend autour des effectifs et des premières réflexions sur les stratégies possibles. Il faut mettre la main sur les dirigeants rebelles. La conversation se prolongeant, Bastus est tiraillé entre l'envie de boire et le désir de revoir la serveuse.

Il a de plus en plus de mal à suivre la conversation. Son corps est pris de légers tremblements. Son rythme cardiaque s'accélère. Il se sent confus. Il finit par entendre sa mère le menacer de le fouetter s'il n'arrête pas ses bêtises, souvenir de l'époque de ses quatre solemnum où il avait osé donner à manger à sa nourrice privée de repas pour avoir désobéie. Sa confusion augmente. Il finit par prendre congé, prétextant un violent mal de crâne. Le jeune homme déambule quelques temps dans les couloirs en quête de la cuisine. Il finit par la trouver et demande au premier venu un verre d'eau-de-vie ; rapidement suivi d'un deuxième puis d'un troisième verre. Aussitôt, les palpitations se calment et son esprit s'éclaircit.

C'est alors qu'il voit la serveuse en train de déposer des plats vides dans de vastes bassines. Lorsqu'elle s'apprête à quitter la pièce, il s'approche, posant doucement sa main sur son épaule :

— Excusez-moi, pourriez-vous me resservir cette boisson chaude réhaussée d'eau-de-vie ? Je la trouve fameuse !

Elle lève les yeux vers lui. Aucune femme n'a jamais résister après avoir plonger son regard dans le sien. Il la voit hésiter un instant avant de répondre :

— Bien sûr. Veuillez patienter une minute.

Elle revient en lui tendant une tasse fumante. Il s'assoit sur la table attenante et lui demande :

— Vous êtes d'ici ?

— Oui.

— Et votre famille ?

Le regard de la jeune femme se voile et un long silence enveloppe la pièce. Elle répond, les lèvres tremblantes :

— Oui, monseigneur mais la grande majorité de mes frères et soeurs tout comme mes parents ont été massacrés il y a cinq solemnum.

La main de Bastus se crispe sur la tasse. Il repense à tous ses visages sans vie qu'il a croisés sur les routes juste après la bataille. Baissant les yeux, il lui dit :

— Je suis sincèrement désolé. Je...

Leurs regards se croisent à nouveau et leurs souffrances semblent se faire écho. Il en vient presque à hésiter. il culpabilise de vouloir lui voler son corps une nuit après tout ce qu'elle a enduré à cause de son peuple. Elle pose sa main sur la sienne et tout en le fixant ajoute :

— Merci.

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