Chapitre 13.3 - LELYÂH - En fuite

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Les chiens pisteurs ont tenu leur promesse et les deux femmes ont le temps de partir avec un peu d'avance. Pour autant, Lelyâh sent que la distance qui les sépare se réduit comme peau de chagrin. Étant toujours dans la forêt, elles ne peuvent progresser aussi vite qu'elles le souhaiteraient.

— Lelyâh, ne me laisse pas, j'ai peur ! crie Nezÿl.

— Nooonnn, pas ça ! Cela ne peut pas être vrai ! Ma petite Nezÿl ! explose la femme, la voix déchirée par la douleur et chargée de larmes.

Lelyâh a du mal à rester concentrée. Elle n'a jamais entendu les voix aussi chargées d'affliction et de peur. La soigneuse crispe ses mains sur les rênes. Sa tête lui fait mal, comme si une force resserrait son étreinte autour de son crâne. Une vive douleur à l'épaule l'arrache à ses tourments manquant la faire chuter. La soigneuse a percuté une branche, distraite par les voix torturées qui rongent son esprit. Malgré les élancements, elle suit le rythme de Diane qui ouvre la route. Elles n'ont pas le temps de se guider avec précision, mais les arbres permettent à Diane de capter quelques informations pour s'orienter.

Puis la chute. Brutale. Aucun son ne sort de sa bouche sous l'effet du choc. Lelyâh est désorientée, le souffle coupé. Il faut quelques temps avant que Diane ne s'aperçoive qu'elle est seule. Cette dernière revient sur ses pas et découvre Lelyâh au sol, coincée sous son cheval, tentant en vain de se relever.

— Lelyâh ?

La soigneuse perçoit vaguement la voix de son amie mais la douleur est trop présente pour qu'elle ne puisse se concentrer sur autre chose. Elle a atterrit sur son épaule déjà fragilisée. Lelyâh sent une forte chaleur irradier à cet endroit. Elle n'a pas le temps de constater l'étendu des dégâts, elle doit d'abord se dégager. Avec l'aide de Diane, elle parvient à redresser la monture, malgré les élancements provoqués à chaque contraction des muscles de son épaule. Diane s'accroupit à côté d'elle.

— Est-ce que ça va ? demande-t-elle soucieuse.

— Je crois, répond Lelyâh. J'ai mal à l'épaule droite, mais ça devrait passer.

— Ne bouge pas je vais regarder.

— Ce n'est pas néce...

— Laisse-moi regarder, mieux vaut être sûr, la coupe Diane avec dureté.

Son amie lui détache sa cape. La mine déconfite qu'elle affiche décontenance Lelyâh qui baisse les yeux sur sa tunique. Cette dernière est maculée de rouge au niveau de l'épaule. Vu la vitesse d'expansion de la tâche, cela n'augure rien de bon. Diane court vers son cheval et ouvre une sacoche attachée à sa monture. Elle prend une large bande de tissu puis revient vers son amie qui a déboutonné sa tunique pour mettre à nu une fracture ouverte près de l'épaule. Le sang coule abondamment au niveau où l'os ressort de la peau. Il va falloir remettre ce dernier en place même grossièrement afin de stopper l'hémorragie. Diane repart vers la sacoche et ouvre une flasque. Pas le temps de prendre de plantes calmantes, elles seraient trop longue à agir.

— Tiens, bois-en la moitié !

— C'est quoi ? réussit à articuler Lelyâh entre deux explosions de souffrance.

— De l'alcool avec un euphorisant à effet rapide, ça t'aidera à supporter la douleur ; j'espère que ça aura le temps d'agir. Ma mère a mis ça au point pour les cas d'urgence.

— M... Merci... peine à formuler la soigneuse en en buvant de petites gorgées.

Il faut peu de temps avant que Lelyâh ne se sente plus légère malgré les décharges électriques qu'elle sent fourmiller dans son bras. Elle a l'impression de planer au-dessus des nuages, l'esprit confus et brumeux. Tout semble enveloppé d'une ouate veloutée, même la douleur. Soudain, Lelyâh se met à hurler. Durant quelques secondes, qui lui semblent durer une éternité, son corps n'est plus qu'une souffrance aiguë menaçant de la faire s'évanouir.

— Je suis navrée, le plus dur est presque terminé, la rassure Diane qui essaie de garder contenance face à la souffrance qu'elle inflige à sa soeur de coeur. Je recouds, si tu as besoin, mord dans ce tissu. Ensuite, je vais te mettre un onguent pour aider à guérir et un bandage pour stopper l'hémorragie.

Le temps semble s'étirer entre les hallucinations bariolées qui traversent son esprit du fait du médicament et la douleur qui revient à intervalle régulier comme autant de coups de poignard. Le soin terminé, Diane et Lelyâh sont étendues contre le tronc d'un arbre, toutes deux en nage et la respiration haletante. Diane, à cause de la concentration mise dans les soins ; Lelyâh à cause de la douleur et du choc.

Elles sont obligées de se redresser lorsqu'elles entendent des aboiements se rapprocher. Pas le temps de récupérer. Diane aide tant bien que mal Lelyâh à monter sur son cheval, chaque geste accompagné de grognements de douleur. Puis elles repartent lentement, Lelyâh manquant souvent défaillir.

Soudain, une ombre passe au-dessus de Diane qui se sent projetée dans les airs avant de sentir un choc brutal la clouer au sol. Lorsqu'elle retrouve ses esprits, une bête est juchée sur sa monture qui tente de faire fuir le prédateur à coups de sabots ne rencontrant que le vide. La robe fauve de l'animal contraste avec la couleur d'ébène du cheval et celle du sang qui se met à jaillir aux endroits lacérés par les crocs de la tête massive du monstre. L'oeil du fauve semble injecté de sang ; son iris est d'un rouge éclatant presque hypnotique. Si la bête n'est pas repue de sa proie, elle risque de fondre ensuite sur Diane. La jeune femme sent une sueur froide couler le long de son dos douloureux. Elle se tourne vers son amie même si elle est bien consciente que, dans son état, elle ne peut pas lui venir en aide. Lelyâh a le regard absent, certainement dû au mélange médicinal qui ne s'est pas encore dissipé. Les minutes passent et le cheval, mort désormais, est avidement dévoré par la bête dont la gueule se macule du sang de sa victime. Elle émet quelques grognements de satisfaction dominant Diane d'une bonne toise. La fille du Lord essaie de réfléchir aussi vite qu'elle le peut.

La panique commence à l'envahir quand le monstre tourne la tête vers elle. Elle sent son coeur défaillir. La fille du lord tourne instinctivement son regard vers Lelyâh. Cette dernière n'a pas bougé, toujours prostrée dans un état de semi-conscience. Puis d'un coup, l'animal fait volte-face, la tête légèrement de côté pour plonger son oeil vermeil dans celui mordoré de Lelyâh. Son amie sue à grosses gouttes. La bête semble prête à bondir. Diane veut s'interposer mais son corps refuse de réagir. L'acynonyx -Diane a enfin retrouvé le nom de cette bête peu commune- avance de deux pas. Elle est aussi gracile que véloce. D'un coup, elle s'allonge de tout son long en ronronnant. Diane ouvre la bouche de surprise. Elle regarde à nouveau son amie. Lelyâh est désormais ruisselante de sueur mais elle affiche un sourire radieux.

Diane se demande si la soigneuse n'a pas sombré dans un délire profond face au danger imminent. Pourtant, en cet instant, le monstre semble aussi inoffensif qu'un nouveau-né. Ses yeux sont mi-clos et sa queue fouette l'air avec légèreté.

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