Chapitre 16.1 - BASTUS - Héphiane

6 minutes de lecture

De retour de patrouille, il est évident qu'il faudra élaborer un plan minutieux pour arriver à bout des poches de résistance. Quelques Vulcae ralliés aux Animae leur ont montré un dédale de galeries sans fin. Bastus a conscience qu'il ne s'agit que d'une infime partie du réseau souterrain. C'est dans cette contrée que l'extraction de métal est la plus prolifique, à l'origine du réseau de tunnels le plus vaste du pays.

Avant de se pencher sur le sujet, il passe à la forge récupérer les armes qui doivent être terminées.

— Behrrey, lance-t-il en entrant dans le bâtiment.

Il entend des bruits de pas, puis Héphiane apparaît, une main essuyant à la hâte la sueur qui couvre son front.

— Behrrey monseigneur, votre commande est prête.

— Appelez-moi Bastus.

— Bien mon... Bastus. Je reviens tout de suite.

La forgeronne et son apprentie réapparaissent peu après les bras chargés.

— De quelle façon transporterez-vous tout ça à l'armurerie ?

— Ne vous inquiétez pas.

— Je m'inquiète pour mon travail, je ne veux pas que mes bébés soient abîmés ! Je vous accompagne.

— Mais... commence Bastus.

— Il n'y a pas de mais, prenez les armes des mains de Zélia et montrez-moi le chemin.

Bastus est quelque peu perdu, d'habitude c'est lui qui mène la danse surtout auprès des femmes conscientes de son statut. Au lieu de l'agacer, ce caractère trempé émoustille sa curiosité. Il ne peut s'attarder davantage sur ces réflexions, Héphiane s'enquiert :

— Vous ne vérifiez pas mon travail ?

— J'ai confiance.

— Comment pouvez-vous...

— Je le sais, c'est tout. Vous en parlez comme de vos enfants, quelqu'un qui donne tant de considération à une arme ne peut faire son travail avec légèreté.

Héphiane rosit et manque trébucher. Heureusement, le prince, marchant devant elle, n'a rien vu.

Arrivés dans la salle, Héphiane aide Bastus à ranger l'armement puis elle propose :

— Je peux vous offrir un verre après mon travail ? Je pourrais vous faire découvrir les lieux insolites de Volos.

Entreprenante. Ce n'est pas pour lui déplaire. Bastus est de plus en plus intrigué. Il ne veut toutefois pas la laisser mener complètement la danse.

— Pourquoi pas maintenant ? Je vous invite.

— Je ne peux pas laisser ma forge, je dois terminer mes commandes. Je ne comptais pas prendre de déjeuner avec le retard accumulé par une certaine commande urgente que je viens seulement de terminer, dit-elle en lui faisant une moue réprobatrice.

— Je vous aiderai.

La forgeronne, décontenancée, s'exclame :

— Vous ne savez pas faire !

— Vous me montrerez, j'apprends vite.

Il aime la voir ainsi déstabilisée, cela lui confère un charme certain.

— Vous ne me laissez pas le choix si je comprends bien, poursuit-elle les mains sur les hanches.

Bastus hausse les épaules avec un sourire malicieux. Héphiane rend les armes :

— Je vais prévenir Zélia, nous déjeunerons ensemble dans ce cas. Mais vous me devrez une matinée de travail.

— Bien madame.

La forgeronne guide Bastus dans un dédale de ruelles toujours plus chaotiques. Il serait bien incapable de retrouver le chemin du château. Elle s'arrête devant un établissement dont la façade est formée d'un bloc de pierres sombres. Une porte massive de bois brut est fichée en son centre. Lorsque la forgeronne l'ouvre, un épais rideau noir empêche d'entrer. Bastus reste quelque peu interdit, pas très accueillant pour un premier rendez-vous, si toutefois il s'agit bien d'un rendez-vous. Héphiane le soulève. Le lieu n'est éclairé que par des bougies, pas de lumère galvanique. Cela confère une atmosphère chaleureuse malgré le côté rustique de la décoration. La petite salle est bondée de travailleurs en pause déjeuner.

Héphiane passe par le comptoir pour faire la commande, puis le mène à une petite table au fond de la salle.

— Je peux savoir ce que vous avez commandé ? Je crois ne pas avoir eu mon mot à dire sur le repas de ce midi.

— Comme vous ne m'avez pas laissé le choix pour ce déjeuner, rétorque-t-elle avec un large sourire. Faites-moi confiance comme vous l'avez fait pour vos armes, vous ne serez pas déçu. Si c'est le cas, je paie la note.

— Vous savez trouver les arguments.

— J'ai dû apprendre, on ne peut pas faire tourner un commerce autrement. Je ne vous ai même pas demandé qui vous étiez, poursuit-elle avec intérêt.

— Etes-vous sûre de vouloir le savoir ?

— Bastus des Contrées Cybeline qui vient mater la rébellion c'est un bon début mais c'est bien peu, vous ne trouvez pas ? demande-t-elle, posant ses coudes sur la table et appuyant sa tête dans ses mains.

— Je suis le fils de la Suprême Polémarque.

— Je croyais qu'il était à Strombevio et il me semble que son nom commence par Ka quelque chose.

— C'est mon jumeau, se renfrogne-t-il.

— Ah, lui dirige pendant que vous éradiquez les Vulcae récalcitrants. Vous ne semblez pas le porter dans votre coeur.

— C'est peu dire mais ce n'est pas un sujet digne d'intérêt. J'espère ne pas avoir à exterminer vos compatriotes si je peux l'éviter, assure le prince le visage crispé.

— Pourtant, il n'a pas été difficile de nous massacrer durant notre sommeil, réfute Héphiane le visage sévère, voilé de tristesse.

Bastus baisse la tête, crispant davantage ses doigts qui lacèrent à nouveau la paume de ses mains. Tant de mauvais souvenirs ! Et il devra certainement recommencer sous peu.

Héphiane pose une main sur son bras.

— Excusez-moi, je n'aurais pas dû.

— Vous avez toutes les raisons. Je...

— Je vois que vous ne l'avez pas fait par plaisir. J'avoue être surprise. Je voyais les Animae comme de vulgaires brutes intéressées seulement par le pillage, la violence et la domination.

— C'est beaucoup plus complexe que ça, mais je ne peux en parler avec vous. Je suis désolé.

Le serveur arrive à ce moment, déposant deux grands bols fumants devant eux. Bastus porte une cuillère à sa bouche. La viande est fondante et la sauce pleine de saveurs inconnues. C'est un véritable délice qui dénote avec la sobriété des lieux.

— Eh bien, je ne m'attendais pas à une telle délicatesse de saveurs au vu de la devanture.

— Il ne faut pas se fier aux apparences, je vous ai dit que vous ne seriez pas déçu, approuve-t-elle, ravie.

— Comment êtes-vous devenue forgeronne ?

Le regard d'Héphiane se perd dans le vague avant qu'elle ne réponde :

— Enfant, j'adorais aller voir l'ami de mon père travailler à la forge. J'ai toujours trouvé fascinante cette atmosphère de dure labeur qui permet de transformer une masse brute informe en un objet raffiné.

Bastus est aspiré par ses yeux qui s'animent d'une intense étincelle de vie. Son visage rayonne et cela apaise le prince. La discussion se poursuit autour des armes et de l'art de les créer. Héphiane est intarissable. Lorsqu'elle est concentrée, elle retrousse légèrement son nez, ce que Bastus trouve des plus charmant. Il ne voit pas le temps passer. Lorsqu'ils ont presque terminés leur dessert, elle lance gênée :

— Je me suis enflammée, désolée. Je n'ai fait que parler ! Je ne vous ai posé aucune question !

Elle joue avec ses doigts, nerveuse. Bastus laisse un court silence, le temps de profiter de son malaise. Elle est encore plus séduisante ainsi !

— Il faudra un autre déjeuner alors ! finit-il par conclure avec un sourire charmeur.

Ell baisse la tête, semblant réfléchir.

— Je peux vous poser une question, dit-elle en le regardant droit dans les yeux.

— Je vous écoute.

— Pourquoi moi ?

Bastus ne comprend pas.

— C'est-à-dire ?

— Je ne suis pas née de la dernière pluie, j'ai bien conscience de ne pas être la plus séduisante des Vulcae. Vous, de votre côté, possédez tout ce qu'une femme peut désirer. Alors pourquoi ces rendez-vous ?

Toujours aussi directe. Bastus est déstabilisé. Il n'a pas réfléchi à la question. C'est bien la première fois qu'il manque de réparti. Pourquoi elle ? Il ne peut nier qu'elle fait pâle figure en comparaison de Zélia par exemple. Alors pourquoi ? La réponse s'impose, puissante : parce qu'à ses côtés les fantômes de la guerre s'éloignent, il entrevoit un apaisement. La première fois depuis cinq solemnum !

— Parce que vous m'intriguez, répond-il, l'air malicieux.

Héphiane rougit violemment. Pour la première fois, elle reste sans voix avant de se reprendre.

— Je préfère être claire, n'attendez pas que je partage votre couche. Je...

Sa voix se brise et son visage devient un masque de souffrance. Bastus prend délicatement sa main. Elle fuit aussitôt le contact.

— Si cela peut vous rassurer, je n'en avais pas l'intention. Un simple déjeuner, c'est ma proposition.

Héphiane est toujours figée par la douleur. Bastus ne comprend pas.

— Ai-je dit quelque chose qui vous a offensée ?

Héphiane crispe les mains puis relève légèrement la tête.

— Non, un souvenir douloureux.

— La guerre ? ose Bastus.

Une larme coule sur sa joue gauche. Bastus est profondément touché de voir cette femme forte flanchée.

— Mon fiancé. Mort lors de l'invasion, murmure-t-elle.

Bastus sent un coup de poing invisible lui couper la respiration. Son malheur a pour cause le peuple Animae. Son bonheur lui a été arraché par la quête de pouvoir de sa mère.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Valériane San Felice ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0