Chapitre 24 - LELYÂH - Route vers la capitale

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Le lendemain matin, Diane s'est levée la première, prise d'insomnies liée à l'angoisse de l'horreur imminente. Elle a préparé des infusions revigorantes pour ses deux compagnons. Lahärva dort paisiblement à l'entrée de la grotte après avoir chassé une partie de la nuit. Bastus et Lelyâh se réveillent de concert s'approchant du feu près duquel Diane est assise, le regard voilé. Lelyâh pose une main sur son épaule :

— Comment te sens-tu ?

— Je mentirais si je disais que je vais bien. Je n'ai dormi que quelques heures avant qu'un cauchemar ne me réveille. Dès que je fermais les yeux, j'imaginais le massacre des gens que j'aime.

— On va trouver le moyen de les arrêter ! clame Lelyâh avec force pour rassurer son amie et se convaincre elle-même que cette tuerie n'aura pas lieu.

— Merci Diane pour la tisane. Où avez-vous prévu d'aller une fois dans mon pays ?

— Avec toi, pour t'aider à tuer celle qui nous menace ! profère Lelyâh, les sourcils froncés et le regard déterminé.

— C'est dangereux. Êtes-vous formées à vous battre ? Sinon vous risquez d'être plus une gêne qu'autre chose, lâche Bastus pragmatique.

— Je sais tirer à l'arc.

— Je n'ai pas appris à me battre mais j'ai appris à soigner par les plantes et mes constructions végétales pourront servir de protection et d'abri.

— Laissez-moi y réfléchir, dit Bastus posant sa tête entre ses mains.

— Laisse-nous venir et si tu considères que nous sommes un poids, on s'en ira ! ajoute Diane d'un ton décidé.

Son regard ne laisse aucun doute sur le fait qu'elle le suivra.

— Bien, je n'ai pas vraiment le choix, on dirait. Pour que tu prennes la parole, il t'a fallu du courage. Où deviez-vous vous rendre ?

Diane rosit. Puis les deux femmes se regardent surprises. La question est évidente pourtant elles n'y ont jamais réfléchi. Leur objectif, les Contrées Cybelines. Après ?

— On s'est dit qu'on verra sur place, contourne Lelyâh.

— Quelles pistes avez-vous ?

— Aucune, avoue la soigneuse le regard triste.

L'étonnement du prince force la jeune femme à poursuivre :

— Je n'ai aucun souvenir si ce n'est mon nom et mon âge. Vu mon don, je suis Animae c'est tout ce que l'on sait.

— Un don étrange...

Son visage se fait pensif tandis qu'il prononce ces mots, avant d'ajouter :

— J'ai entendu parler d'une famille entre Animis et la côte qui dispose d'un don, disons quelque peu différent. On a dû avoir recours à leur service une fois pour des chevaux malades. Il y a probablement un lien de parenté. On devrait pouvoir trouver une trace dans les registre comptables.

— C'est vrai ? Ce serait extraordinaire ! Autant commencer par là. Et comme ça, on passe par Animis pour éviter la guerre puis on part voir ces gens ! s'exclame Lelyâh dont les inquiétudes liées à son passé se sont subitement envolées pour laisser place à la joie de savoir enfin qui elle est.

Bastus se lève et commence à faire les cent pas :

— Il nous faut des montures. Nous ne pouvons pas en acheter à Strombevio, mon frère m'y attend probablement. Mmhhh.

— Nous avons Lahärva, ose Diane.

— Sa présence provoquera trop de questions et je serai facilement repérable et traquable par mon jumeau. Il me faut aussi des habits de paysan. Et de quoi couvrir ma tête.

Lelyâh s'approche de l'acynonyx et lui caresse affectueusement le dessous du menton :

— Lahärva propose de nous emmener au premier village, elle nous rejoindra ensuite à la capitale.

— Alors, allons-y maintenant ! conclut Diane où l'inquiétude perce toujours dans le timbre de sa voix.

Les trois compagnons de route ramasse leurs maigres affaires puis montent sur le dos du félin qui part au pas de course.

En milieu de journée, ils arrivent dans un hameau. Ils s'approchent d'une maison un peu en retrait et aperçoivent du linge en train de sécher au grand air.

— Je vais prendre une tenue.

— Mais, c'est du vol !

— Je suis facilement identifiable comme ça, je ne peux pas courir le risque. Sinon, nous n'arriverons probablement jamais arriver à Animis.

Continuant d'observer il remarque :

— Et je vois une écurie là-bas.

— Tu ne vas quand même pas !

— Je laisserais mes affaires et mon collier. Cela compensera plus que largement.

En s'approchant davantage, ils constatent que l'habitation est vide ; sans doute sont-ils encore dans les champs à travailler. Bastus commence par prendre les habits et part se changer dans l'écurie. Pendant ce temps Diane et Lelyâh salue Lahärva.

— Fais attention à toi, ne peut s'empêcher de lui conseiller la soigneuse. Merci pour ton aide !

Et elle enfouit sa tête dans la fourrure épaisse du fauve qui la remercie mentalement.

— Nous nous revoyons bientôt. Merci Lahärva, ajoute Diane en déposant un baiser sur son museau.

Lorsque Bastus a terminé, il appelle les deux jeunes femmes et leur tend les rennes.

— Une monture chacun et il leur reste un cheval. Tenez le mien, je reviens.

Bastus semble hésiter avant de retirer son collier puis il le pose sur ses vêtements et emporte le tout dans la chaumière. Il ressort peu de temps après la tête couverte d'un large chapeau de paille.

— Allons-y !

Ils s'arrêtent lorsque le crépuscule est bien avancé, dans la forêt au sud de Strombevio, qui débouche sur le fleuve marquant la frontière entre les deux pays. Bastus s'apprête à amasser des feuilles pour se faire une couche à la belle étoile quand il voit des racines sortirent de terre, grossir et s'élever à quelques pieds du sol.

— C'est vrai qu'on sera mieux ainsi, dit-il avec le sourire.

— Je vais chasser, informe Lelyâh.

— Je t'accompagne, impose le prince.

— Tu as l'habitude de chasser en forêt ? demande-t-elle.

— Non, mais j'ai l'habitude des entrainements martiaux. Et ma mère aime concocter un programme des plus raffinés, dit-il avec un sourire narquois.

Lelyâh n'est pas enchantée, elle a pour habitude de chasser seule. Ne risque-t-il pas de faire fuir les proies ? Lorsqu'ils se mettent en marche, elle constate soulagée, qu'il est presque aussi silencieux qu'elle. Ils repèrent un squirelle en même temps mais Bastus n'ayant pas d'armes de jet est obligé de regarder sa partenaire à l'oeuvre. Elle calme sa respiration, se concentre, vise, bande et atteint l'animal en plein coeur.

— Je suis impressionné. Peu d'archers visent avec autant de précision d'aussi loin. Je crois que j'aurais dû te laisser faire seule, je ne suis pas aussi talentueux que toi.

— Pas la peine de me flatter pour avoir ton dîner.

Il la regarde avec attention :

— Je suis sérieux. Mais tu n'es pas une guerrière, j'aurai forcément entendu parlé de toi sinon, vu ton talent. Une chasseuse hors pair probablement.

Lorsqu'ils rejoignent Diane, cette dernière a fini de préparer le nid éphémère et remue le contenu d'un récipient posé sur le feu.

— Je vous ai préparé une tisane relaxante, après cette journée de voyage.

Bastus se propose de dépecer l'animal. Les deux amies ramassent des racines comestibles qu'elles nettoient dans l'eau d'un ru que Diane a trouvé non loin de là. Elles ont même la chance de tomber sur un arbuste aux baies blanches légèrement teintées de jaunes à la saveur sucrée.

Le repas est simple mais grâce aux herbes sauvages avec lesquelles Diane a réhaussé le plat, tous ont plaisir à partager ce repas. Ils restent ensuite quelques temps au coin du feu en sirotant une autre tisane.

— Comment te sens-tu ? demande Lelyâh en regardant Bastus.

— J'en sais rien, je préfère ne pas m'écouter. Héphiane est l'une des rares personnes qui m'aient offert son amour et de la bienveillance. Quelques rares amis aussi mais deux ont fuit en même temps que moi et j'espère qu'ils n'ont pas été rattrapé. Bientôt, je vais devoir tuer de nouveau. Bien sûr, c'est ce qui est juste de faire, ma mère et mon frère sont des êtres sanguinaires et tyraniques. Pour autant, tuer ne m'apporte aucune joie. Verdict, peu de bonnes nouvelles à l'horizon.

Les ombres dansantes sur son visage font échos à celles s'animant dans son coeur.

— Lelyâh, je suis fatiguée, tu veux bien me lire une histoire dans mon lit ?

Devant le regard surpris de sa voisine, Bastus demande :

— Est-ce que ça va ?

— Nezÿl, identifie Diane.

Lelyâh détourne les yeux. Elle ne veut pas parler de ça devant un inconnu. Pourtant, lui a accepté de se livrer, est-ce juste si elle n'en fait pas autant ? Serrant les poings, elle se tourne vers lui, tout en prenant son amie par la main :

— Oui. J'entends des voix, elles surgissent quand bon leur chante et repartent aussi vite qu'elles sont apparues.

Bastus la regarde intensément :

— Tu as un lien avec l'Altermonde ?

— L'alter quoi ? demandent en choeur les deux amies.

— L'Altermonde, ce qui nous attend après la mort. De vieux manuscrits mentionnent des personnes pouvant communiquer avec les âmes défuntes mais il semble que cette faculté se soit perdue au fil du temps.

— Ça expliquerait tout ! lance Diane enthousiasmée pour son amie.

La soigneuse est plus circonspecte, mais il est vrai que cette explication est de loin préférable à la folie.

— Tu es une personne singulière, énonce Bastus en l'observant de la tête aux pieds. Oui, étrange et singulière.

Il voit dans ses yeux de la curiosité. Elle sent une chaleur l'envahir sous ce regard insistant et commence à se sentir mal à l'aise. Ses doigts tricotent dans le vide.

— Peux-tu arrêter de me dévisager ainsi ? Je...

— Oui, pardon. Allons nous coucher, il faut arriver le plus vite possible à la capitale !

Allongée sur le dos, regardant les entrelacements au-dessus de sa tête, Lelyâh ne peut s'empêcher de revoir le regard du prince, et d'entendre à nouveau ce mot "singulière". Il ne semblait ni apeuré, ni dégouté, plutôt intrigué, désireux de percer ce mystère vivant.

Les solaris suivants, ils passent le plus de temps possible à cheval, dévorant les lieues les séparant d'Animis. Personne ne semble reconnaître le prince même si ce dernier reste constamment aux aguets. Ils franchissent sans aucun mal la frontière et arrivent en quelques solaris dans les alentours d'Animis. La capitale se déploie sur une plaine verdoyante avec en toile de fonds un massif montagneux. Ils trouvent un coin tranquille et discret où réfléchir à la suite des évènements.

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