Chapitre 26 - LELYÂH - Régicide ?

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Le lendemain avant l'aube, Lelyâh est secouée par des mains fermes.

— Lève-toi ! On y va, il va bientôt faire jour, la presse Diane.

La soigneuse émet quelques grognements avant de se remettre en mémoire l'urgence de leur mission. Lorsqu'elle pose les deux pieds par terre, son amie lui apporte une tasse fumante de guillermo puis s'éclipse aussitôt.

— Je reviens.

Lelyâh boit à petites gorgées pour l'aider à émerger, elle sent le liquide brun acidulé stimuler son organisme. La soigneuse s'habille et s'apprête à ouvrir la porte lorsque cette dernière se déploie largement.

— Tu as fini ? On doit y aller ! la bouscule Diane.

— Tu es bien pressée ce matin ?!

— Je veux empêcher la mort de mes parents et de mon peuple ! Je ne veux pas rater l'heure de l'entrainement.

Lorsque les deux amies arrivent au comptoir, Bastus a déjà réglé la nuit.

— Suivez-moi, annonce-t-il le visage sévère. Diane tiens, ma dague, en cas de besoin, Lelyâh tu as ton couteau de chasse ?

— Oui.

Diane n'est pas à l'aise à l'idée de tuer, mais ils en ont déjà parlé plusieurs fois et elle doit au moins avoir de quoi se défendre. Elle n'est pas sûre d'oser s'en servir mais le prince ne lui a pas laissé le choix.

De son côté, bien qu'elle ait ôtée la vie à de nombreuses proies, Lelyâh est sceptique : pourra-t-elle prendre la vie d'un humain ? Rien n'est moins sûr, pourtant elle est déterminée à ne pas mourir.

Emmitouflés dans leurs capes, ils sortent à pas feutrés de l'établissement parcourant les rues et venelles encore paisibles de cette heure matinale. Bastus les guide le long de petits canaux en pierre où s'écoulent une eau putride et pourvus de part et d'autre de chemins pavés souillés d'éclaboussures douteuses. L'odeur fétide menace à plusieurs reprises de leur faire rendre leur breuvage matinal accompagné de bile. Ils tentent d'en atténuer l'intensité en utilisant les rabats de leurs habits de voyage pour se couvrir le nez et la bouche. L'effet n'est pas des plus probants, mais du moins cela rend-t-il le trajet un peu plus supportable. Ils avancent dans une semi-obscurité dans cette installation en partie souterraine. Lorsque les trois jeunes gens débouchent dans l'enceinte du palais, l'éclat resplendissant de l'astre du jour agresse leurs pupilles dilatées. Il leur faut un moment pour recouvrer la vue et découvrir de grands bâtiments de pierre blanche à une bonne dizaine de toises de leur position. La chance leur sourit puisqu'ils ne croisent pas âme qui vive dans la partie qu'ils doivent traverser à découvert. Arrivés devant la porte de service de l'armurerie, ils ont un instant d'hésitation ; la porte est fermée à clé.

— Je n'ai jamais vu cette porte fermée, cela a dû changé durant mon séjour à Strombevio, explique Bastus.

Toujours exposés aux hommes en patrouille, les trois compagnons jettent des coups d'oeil inquiets. Les yeux de Diane s'agrandissent, elle a une idée, ses mains touchent la surface en bois. Elle se concentre quelques instants. Bastus et Lelyâh voit progressivement l'ouverture se déformer puis Diane de les invectiver :

— Rattrapez la porte, vite !

Ils ont à peine le temps de tendre leurs bras devant eux que la porte tombe dans leurs mains.

— Voilà, avec un peu d'Essence, pas besoin de clé.

Quelques gouttes perlent sur le visage radieux de la fille du Lord. Ils se dépêchent d'entrer en remettant du mieux possible l'amas de bois devant l'ouverture. Lahärva les informe à ce moment-là, qu'elle aura du retard ayant été prise en chasse par plusieurs hommes armés.

Ils pénètrent dans une pièce où s'étendent de longues rangées de supports en bois où reposent de nombreuses armes rangées par famille : épées, masses, arcs, écus,.... Puis, le long du mur, des pièces d'armures et des heaumes. Aucun vêtement. Bastus leur fait signe de le suivre dans le fond de la pièce par une ouverture qui mène à une autre salle où sont stockés les habits. Ils attrapent une paire de chausses aux couleurs du royaume ainsi qu'un gambison avant de repartir dans l'autre pièce pour revêtir une armure. Bastus choisit une épée tandis que Lelyâh attrape un arc fabriqué dans un bois sombre aux reflets carmin et un carquois remplis de flèches. Diane, quant à elle, reste perplexe. Afin de ne pas perdre de temps, le prince lui tend une étoile du matin, plus légère que la masse d'arme, qu'elle accepte.

Les trois compagnons passent complètement inaperçus ainsi vêtus. Lorsqu'ils arrivent à la salle d'entrainement, ils sont envahis d'un mélange d'excitation et d'appréhension. Bastus est terrifié d'oser affronter sa mère, bien que déterminé à couper le lien toxique qui le rend ainsi dépendant de son regard. Ils ouvrent les immenses portes de bois où ressort le blason de la Contrée Cybeline ; la Suprême Polémarque est là, à quelques pas, l'épée levée. Sauf qu'à son flanc droit se tient un homme à la carrure imposante, les cheveux châtains tombant en une masse hirsute sur son cou de taureau. Il porte un pantalon et des bottes de cuir rouges, le torse aux muscles saillants couvert de plusieurs cicatrices. Face à eux, un homme et une femme, les poings liés. Ils ont le visage tuméfiés, déformés par les coups qui ont dû pleuvoir nombreux. Le regard de l'homme est presque éteint tandis q'une étincelle de rage perce encore sous la souffrance de la jeune femme musclée qui tente vaillamment de tenir debout. La Suprême Polémarque ne devait-elle pas s'entrainer seule à cette heure ? Il ne s'agit en rien d'un entrainement mais d'une séance de torture !

Lelyâh tourne la tête vers Bastus. Il lui est difficile de définir l'état du prince. La stupeur semble se mêler à une rage animale prête à fondre sur sa proie. Son corps est tendu à son maximum, les mains agrippées violemment au pommeau de sa lame, son regard déformé par l'émotion puissante qui le domine. Lorsque l'épée en bois de l'homme s'abat sur les deux prisonniers, Bastus devient fou et se précipite les yeux emplis de haine vers la scène. La femme encaisse avec courage le coup à l'épaule dont le craquement sinistre résonne dans la salle. Le prince brandit son épée faisant fi de sa mère qui s'est retournée dégainant sa lame. Une joie perverse s'épanouit sur les traits de son visage alors qu'elle bloque le coup de son fils pour protéger l'homme à son côté.

— Kartos, vieille boursemolle ! éructe-t-il.

C'est donc son frère. Ce dernier se retourne et sourit face à l'expression rageuse de son jumeau.

— Ah, il ne manquait que toi mon frère ! lâche-t-il l'oeil illuminé d'une joie malsaine.

Le visage du prisonnier semble surpris. La Suprême Polémarque repousse la lame de Bastus d'un coup sec et s'apprête à asséner une attaque frontale alors que Kartos dégaine à son tour prêt à attaquer.

— Mon énomotarque ! hurle la prisonnière apeurée.

— Teïos, Eklesia je vous vengerai ! crie Bastus l'écume aux lèvres tandis qu'il pare la lame de Sekhma et reçoit un coup d'épée dans le flanc. Il n'a pu esquiver l'attaque de son jumeau. Kartos retire en fouaillant sa lame provoquant un râle de douleur et une traînée rougeâtre dans son sillon. Lelyâh et Diane ne savent pas comment réagir. Diane ne voit aucun arbre pour lui permettre de créer une paroi défensive à même d'aider le prince. Lelyâh est paralysée par la peur. La mère et le fils prépare de concert leur prochaine attaque alors que Bastus tente de reprendre une distance de sécurité tout en gardant un oeil sur ses amis. Lelyâh voit l'hésitation parcourir les traits de Bastus.

C'est alors qu'une ombre traverse en furie la salle et renverse Kartos au moment où ce dernier allait entailler la cheville de Bastus. Des cris suivent la masse dont les crocs se plantent dans le cou de Kartos. Lahärva secoue la tête pour arracher celle du prince du reste de son corps tandis que Sekhma pivote vers elle pour lui asséner un coup sous la patte afin de sectionner un ligament. Les cris se rapprochent et Lelyâh identifie cinq soldats en armure et un chien se ruant bouclier en avant sur le félin. Diane tend les mains. L'extrême concentration provoque une suée sur son front. Les boucliers se déforment créant des pointes qui viennent perforer leurs propriétaires de part en part. Les Chloridiae bâtisseur n'ont pas pour habitude de travailler avec du bois mort, l'effort nécessaire est donc éreintant. Diane s'écroule à genou, tremblante.

Lelyâh réagit aussitôt intimant au chien d'attaquer son maitre. Malgré son hésitation, il se plie à la volonté de la soigneuse et saute à la gorge de son propriétaire qui s'écroule raide mort le regard hagard.

Les deux femmes se retournent de concert au moment où l'épée de la Suprême Polémarque entaille une patte avant de Lahärva. Lelyâh sent la surprise et la douleur envahir un instant le fauve. Puis un hurlement déchire l'air alors que l'épée de Bastus laisse choir les bras de Sekhma sur le sol de terre battue dans une fontaine rougeoyante venant abreuvée le sol. Le tyran regarde ahurie les deux moignons dégoulinant. Bastus s'est détourné de sa mère pour libérer les deux prisonniers. La femme enlace l'homme avec douceur en laissant échapper quelques larmes vite essuyées. Puis elle se tourne vers Bastus :

— Merci, mon énomotarque ! lâche-t-elle avant de s'effondrer au sol, rattrapée de justesse par le prince.

Le prisonnier, Teïos, s'agenouille pour enlacer le corps inanimé et déposé sur son front un baiser empreint de douceur. Lelyâh détourne la tête aux cris d'agonie de la Suprême Polémarque. Cette dernière tente désespéremment de stopper l'hémorragie de ses bras mutilés en les plaquant sur le sol. Soudain, elle se rue avec l'énergie du désespoir sur sa progéniture tentant de mordre à pleine dents dans la chair tendre de son cou. Teïos stoppe son élan en lui assenant un cou de genou dans le menton la faisant chuter face contre terre. Peu de temps après, le corps inerte de Sekhma gise au milieu d'une mare vermeille qui continue de croitre.

Des bruits de pas se font entendre de l'extérieur du bâtiment. Lelyâh arme son arc, pointant une flèche vers les portes grandes ouvertes.

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