Chapitre 28 - LELYÂH - Tourments

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Lelyâh ouvre les yeux. Un plafond décoré de formes géométriques s'offre à son regard. Où est-elle ? Et où est Diane ?

À cette pensée, la jeune femme se redresse d'un coup, ses mains agrippent énergiquement les draps. Comment va son amie ? La respiration de la soigneuse se fait irrégulière. L'image de Lahärva qui perd du sang lui revient en mémoire. Lelyâh transpire.

— Maman, regarde cet animal blessé, tu crois qu'il va s'en sortir ? demande Nezÿl avec anxiété.

Lelyâh pousse un râle rauque et se met à pleurer. Elle ne se sent pas la force de gérer ces voix maintenant.

Je t'avais prévenu que tu finirai seule. Je t'avais dit de partir avant que cela ne devienne trop difficile. Je t'avais conseillé de me rejoindre. Le serpent s'insinue sournoisement et saigne la soigneuse de sa morsure.

La jeune femme attrape sa gorge où l'air ne réussit plus à pénétrer. Elle se retrouve suffocante, en position foetale.

— Ma chérie, reste ici, pour ta sécurité ! lui ordonne celui qui doit être son père.

La mère de Nezÿl -et donc sa mère- ajoute avec tendresse et une pointe de désespoir :

— L'Essence a fini d'agir. Écoute ton père, reste ici.

Soudain l'agitation. Des mains attrapent son visage, placent quelque chose dans sa bouche. On lui intime d'avaler. Un goût poivré et épicé. D'autres mains la parcourent, palpent son ventre. Et au milieu de ce chaos, son amie s'impose à son esprit. Elle semble ronronner mentalement.

Une lointaine mélodie s'ajoute à ce doux bruit vrombissant. Lelyâh s'accroche à cette musique alors que le goût corsé s'intensifie dans sa gorge. La voix cristalline de Saëlle. La soigneuse s'y accroche tel un naufragé sur sa planche de salut. Plusieurs fois elle manque de glisser au fond de l'océan mais le ronronnement la soutient et elle affermit de nouveau sa prise sur le bout de bois. Elle ne doit pas sombrer. Diane n'est pas arrivée jusqu-là pour la voir abandonner. Elles doivent trouver son passé, ensemble !

— Lelyâh. Lelyâh.

Elle connait cette voix grave.

— Lelyâh, écoute-moi. Diane ne peut pas se déplacer mais elle te transmet son amitié. Elle a confiance en toi. Elle sait que tu éloigneras ces voix. Je t'avoue que je n'y comprends rien mais j'ai promis de te transmettre ses mots.

Diane ! Si elle a pu parler c'est qu'elle est en vie. Lelyâh voit enfin l'île salutaire se dessiner dans le paysage, elle met toute son énergie pour la rejoindre. Lorsque son souffle est redevenue régulier, la soigneuse s'assoit lentement. Plusieurs personnes l'entourent : certains manipulent des instruments inconnus tout en échangeant des commentaires, d'autres préparent quelque chose sur la table au pied de son lit, un autre enfin, Bastus, l'observe les bras croisés.

— Ça va mieux ? demande-t-il doucement.

— Je... Je crois. C'est toi qui m'a parlé de Diane ?

— Oui, elle est à l'infirmerie. Nos soigneurs ont utilisé leur Essence pour stopper l'hémorragie et refermer la plaie. Il lui faut maintenant du repos pour que cela cicatrise de l'intérieur. L'Essence ne peut pas tout réparer.

— Et Lahärva ?

— Tu l'entends toi-même je crois, dit-il en souriant. Elle m'a abîmé les oreilles à ronronner aussi fort ! La plaie n'était pas aussi grave qu'on pouvait le penser.

La soigneuse se prend la tête dans les mains. Ses épaules s'affaissent. Une larme roule sur sa joue.

— Merci ! Divine Florea, merci !

Un des inconnus présents tend une fiole à Bastus :

— Suprême, elle devra en prendre sept gouttes sur les prochains solaris. Cela l'aidera à calmer l'anxiété. Mademoiselle, vous avez fait, je crois, une importante crise d'angoisse. Vous devez...

Lelyâh ne l'écoute déjà plus. Les voix qui l'ont envahie rodent telles des charognards. Ils tournoient près à se poser pour dépecer l'âme fragile de la jeune femme.

— Lelyâh, tu as besoin de repos. Tu... commence Bastus.

— Je dois repartir !

Les soigneurs la regardent éberlués. Elle a nonchalemment couper la parole de leur maître et contrevenu à ses recommandations.

— Bastus, quand Diane sera-t-elle guérie ?

— D'ici une dizaine de solaris elle pourra se déplacer plus facilement. Es-tu sûre de vouloir partir aussi vite ? Vous êtes les bienvenues ici. Je vous dois beaucoup.

— Oui, il faut trouver ma mémoire pour stopper mes démons.

Plus d'hésitations. Tout cela doit cesser !

— Je ferai préparer ce qu'il vous faut pour votre voyage. Je te donnerai aussi le nom de la famille dont je t'ai parlé. Je ne vois qu'eux pour t'aider. Je dois m'occuper du palais, je te laisse. Si tu as besoin, il y a une clochette près de ton lit. Le personnel a été informé que tes demandes font parties de leurs priorités.

— Merci Bastus.

Durant les solaris suivants, Lelyâh met en place une routine stricte pour tenir loin les fantômes qui peuplent son esprit. La matinée est dédiée à l'archerie, l'après-midi, elle passe du temps avec Diane à planifier la suite de leur périple et sort chasser avec Lahärva jusqu'au coucher du soleil. Elle ne voit que très peu Bastus, occupé à assurer sa place sur le trône. Il enchaîne les réunions, l'envoi de délégations, la transmission d'ordres pour stopper l'avancer de l'armée vers la frontière Chloridiae,...

Lelyâh se promène dans la forêt du palais avec Diane pour renforcer sa jambe encore convalescente.

— Alors, on part demain ? demande Diane impatiente.

— Ta jambe ?

— Je n'ai plus mal et tu as vu comme je peux marcher maintenant. De toute façon, nous serons surtout à cheval. Et puis, même si Bastus nous accueille avec gentillesse, je n'aime pas me sentir dépendante.

— Pareil pour moi, même si le lit moelleux va me manquer !

Les deux amies éclatent de rire. Cela fait du bien après ces derniers solaris éprouvants.

— Nous le retrouverons bientôt, n'oublie pas que nous sommes invités au mariage ! lance Diane en faisant une révérence.

— Le pauvre, je n'aimerais pas être à sa place. Il n'a pas fait le deuil d'Héphiane qu'il doit déjà prendre épouse. Ah, désolée !

— De quoi ?

— Je sais que ce sera bientôt ton tour. Je...

— Tu sais, ce voyage, l'armée que nous avons croisée, l'énergie que met Bastus à faire le bien, ça me fait voir les choses différemment. Si mon père et lord Acerplatan me pardonnent, j'épouserai Carmanor.

— Toi ? Te marier ?!

— Je me rends compte à quel point j'ai négligé l'importance de mon statut. Ma famille a un rôle majeure à jouer auprès des Chloridiae, et je me dois d'y contribuer. Si je délaisse les miens, tout le monde peut faire de même et ça finira dans le chaos. J'ai été égoïste ! Mais je suis heureuse d'avoir fait ce chemin avec toi avant de faire face à mes responsabilités.

Les deux femmes se regardent avec intensité.

— Merci de m'avoir accompagnée ! Je crois que j'aurai déjà sombrer si tu étais rester à Olmo.

Lelyâh enlace son amie qui s'enthousiasme :

— Allez, nous devons préparer nos affaires pour demain. J'ai hâte de rencontrer la famille Harpyja !

— Tu es sûre qu'ils auront les réponses ?

Diane la prend par l'épaule pour la guider vers le palais et lui répond :

— Bien sûr ! Sois confiante !

Bastus a pourvu à tous leurs besoins. Il s'est même dégagé du temps pour venir les saluer devant les murailles du château. Diane et Lelyâh resplendissent dans leurs chemises de flanelle et leurs larges jupes qu'il leur a offertes pour supporter la chaleur du climat austral. Elles montent deux magnifiques pur-sangs, l'un à la robe Isabelle, l'autre à la robe d'un noir de jais.

Le prince les salue d'une poignées de mains :

— Merci de m'avoir sauver la vie, merci de votre soutien. Que Faona veille sur vous.

Diane n'a pas vaincu sa timidité même si elle a progressé ; elle lui répond, les joues rosies :

— Merci d'arrêter l'invasion de mon Linéage. Grâce à toi, je sais où est ma place et ce que je dois faire pour les miens.

— J'aurai aimé faire plus. Les Vulcae ont tant souffert. Si j'avais été moins...

Diane le coupe, l'air déterminé :

— Tu as agis, et c'est ce qui compte !

Bastus baisse la tête, serre les poings, puis regarde de nouveau Diane :

— La partie n'est pas encore gagnée. Je sais déjà que certains membres des familles Rataz et Aucepitère cherchent à m'assassiner. Mes décisions feront souffrir leurs économies. Mais je m'engage à me vouer corps et âme à l'arrêt des agressions vis-à-vis des autres Linéages et à rendre leur liberté aux Vulcae.

— Tu as notre soutien et nous t'avons promis de t'aider dès que nous aurons rencontrer les Harpyja, vadem et merci à toi, ajoute Lelyâh alors que le grondement de Lahärva retentit dans la tête du nouveau polémarque et de la soigneuse.

— Reste avec moi ! hurle Nezÿl en proie à une profonde détresse.

Lelyâh secoue la tête.

— Lelyâh, ça va ? demande Diane en posant une main sur son épaule d'une voix pleine de compassion.

Devant l'absence de réponse, elle jette un dernier regard au prince :

— On doit y aller. À bientôt ! Je prie Florea de veiller sur toi.

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