Chapitre 31 - BASTUS - Familles dirigeantes

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— Nous avons déjà eu cette discussion. Je me refuse à pratiquer la justice comme ma mère le faisait. Nous attendrons de remettre en place un consil juris, ils ont fait ses preuves durant plus de cent solemnum sous le règne des Eunectes.

— Si je puis me permettre, leur mort enverrait un message fort aux dissidents.

— Je ne reviendrai pas sur ce point !

— Bien Suprême. Quand souhaitez-vous recevoir ma fille ?

— Est-ce possible maintenant ?

— Je vais la chercher, confirme Sire Pardalis en se fendant d'une révérence.

Bastus s'assoit sur le rebord de la fenêtre grande ouverte, une jambe dans le vide. Le poids du trône ne lui sied guère. Mais que pouvait-il faire d'autres ? Laisser le monde sous la domination de sa mère ? Accepter la mort de nombreux innocents ? Non, il fallait prendre ce fardeau pour rétablir l'équilibre. Mais Faona qu'il se passerait bien du pouvoir !

Peu de temps après, Sire Pardalis entre accompagné d'une femme à la musculature saillante, à la peau mat et aux cheveux crépus. Ces derniers sont attachés en petites tresses sur le devant qui se déposent dans son dos sur sa crinière épaisse. Elle revêt un corset de cuir noir par dessus une légère chemise écru vaporeuse. Une simple jupe vert sapin couvre en partie des bottines de cuir souple. Son père s'avance d'un pas.

— Suprême, voici ma fille Yorine.

Elle fait une révérence impeccable :

— Suprême, dit-elle d'une voix chantante.

— Votre père m'a raconté vos prouesses pour échapper à la surveillance de votre nourrice.

La jeune femme serre légèrement sa jupe mais ne rougit pas. Elle se tourne vers son père.

— Merci papa du joli portrait que tu offres à mon futur époux.

Puis elle se tourne vers son souverain :

— En effet, il m'est parfois arrivé d'être poussée par des élans de liberté.

Bastus a envi de sourire mais cela serait sans aucun doute malvenu. Il se contient en répondant :

— Vous n'êtes pas la seule à avoir été agité d'envie de liberté. Je vois cependant que notre sens du devoir a pris le dessus. Je ne compte pas vous affubler de chaperon, vous serez libre de mener votre vie comme bon vous semble.

Yorine semble surprise.

— Merci, dit-elle humblement, touchée de cette largesse que peu de souveraines ont reçue par le passé.

— Mais nous nous éloignons du sujet. Pouvez-vous préparer cette après-midi la décoction qui vous a permis d'endormir votre gouvernante ? Je...

Bastus hésite. Jusqu'où partager des informations sensibles avec elle ? Il n'a pas le temps de s'interrroger longtemps car la jeune femme poursuit :

— Mon père m'a évoqué la tentative d'assassinat à votre encontre. Ma mère souffre d'insomnies, elle porte toujours sur elle une dose suffisante de feuilles que je peux utiliser en une seule dose pour endormir votre cible toute la nuit. Il faudra par contre que la personne porte des gants ou une couche de cire sur laquelle sera appliquée l'onguent afin de ne pas sombrer dans les bras de Sommus. Puis-je me permettre une question ?

— Je vous en prie.

— Pourquoi avoir accepter ces fiançailles ?

— Yorine, lâche Sire Pardalis scandalisé.

— Laissez, sa question est légitime. Avais-je le choix ?

— Nous avons toujours le choix, répond-t-elle en avançant d'un pas dans sa direction.

Bastus ne peut s'empêcher de sourire. Au moins, il ne s'ennuira pas avec ce caractère affirmé.

— Disons que j'ai de bons souvenirs de nos escapades aux écuries. Autant épouser une personne qui m'est agréable, au-delà de fournir au royaume une alliance de premier choix.

— Continuerez-vous à fréquenter autant de demoiselles ?

Devant le regard décontenancé du Suprême Polémarque, elle complète avec un sourire espiègle que contredit son regard sévère :

— Votre répution est parvenue jusqu'à notre région reculée.

— Assez ! intime son père.

— Cela fait deux questions, mademoiselle.

Yorine ne semblait pas s'attendre à cette réplique mais elle retrouve vite sa vergue :

— Je pense avoir le droit de savoir à quoi je m'engage, ne pensez-vous pas ?

Bastus sourit. Intéressante jeune femme ! Il ne s'ennuiera pas avec elle. Il est soulagé, il n'aurait pas aimé partager sa vie avec une femme insipide ou effacée.

— Vous me plaisez.

Cette fois, Yorine rougit. Bastus jubile intérieurement. Elle ne doit pas être facile à déstabiliser.

— Je vous propose d'en discuter plus tranquillement après avoir reçu les grandes familles de notre Linéage. Sachez dès maintenant que je ne vous manquerai pas de respect.

La fille Pardalis se fend d'une nouvelle révérence.

— Merci, Suprême.

Et avec grâce, Yorine quitte la pièce suivie de son père dont les poings sont toujours serrés. Bastus l'entend sermonner la jeune femme même s'il ne distingue pas les propos qui lui sont tenus.

Dans la soirée, Bastus ronge son frein. Il part à la salle d'entrainement pour s'occuper l'esprit. Sire Pardalis a eu raison de son envie d'être présent lors de la capture du responsable. Il serait trop exposé. Mais il n'a que ça en tête. Qui arrêteront-ils ? Cela offrira-t-il un moyen de pression en vue de la réunion avec les grandes familles Animae ?

Le souverain est incapable d'estimer le temps passé à se battre contre des ennemis invisibles. Le ciel noir est couvert d'étoiles lorsqu'un messager arrive le souffle court.

— Suprême, Sire Pardalis vous attend dans les geôles. Ils ont arrêté un homme.

Le monarque n'a pas le temps de se rendre plus présentable, il veut savoir. Il arrive donc transpirant dans les dédales sombres des sous-sols. Un homme dort paisiblement sur sa couche face à Sire Pardalis assis sur un petit tabouret.

— Alors ? demande Bastus avec empressement.

— Un cousin de Sire Rataz. Le fait-on réveiller ?

— Non, nous verrons demain. Je pense qu'il ne saura rien d'intéressant. Sa présence est notre plus grand atout. Et la femme ?

— Elle a retrouvé son fils sain et sauf. Elle sera de corvée de latrine durant cent solaris afin de purger sa peine.

Bastus est impatient. Depuis la capture de Bernault, le cousin de Sire Rataz, il attend la confrontation. Il doit rapidement trouver le moyen de rallier les familles Aucepitère et Rataz à sa cause afin d'assoir son pouvoir. Pour l'occasion, il porte une longue tunique noir brodé de fil d'or, tenue par une large ceinture de cuir sable où trône l'emblème du pygargue, celui qu'il a choisi pour son règne. Un pantalon de lin teint dans un tissu rouge sombre recouvre ses jambes. Il porte la couronne de cuir sertie de pierres qui fut portée par ses prédécesseurs.

Le Suprême Polémarque arrive devant la salle de réception où les représentants de chaque famille l'attendent. Un garde ouvre la porte. Les nobles sont déjà présents, debout devant leur chaise : Sire Pardalis, Sire Rataz et son fils, Sire Aucepitère.

— Votre Suprême Polémarque, annonce tout haut le garde.

— Messieurs, ajoute Bastus.

Il avance d'un pas mesuré vers le fauteuil en bout de table. Une fois installé, il fait un signe de la tête, les autres participants prennent place.

— Comme vous le savez, la Suprême Polémarque et Kartos sont récemment décédés. Je souhaitais vous recevoir avant mon couronnement officiel dans quelques solaris.

— Puis-je ?

— je vous en prie Sire Rataz, offre Bastus d'un geste de la main.

— L'héritier de la famille Eunectes revendique également le trône. Il a été pris de force à son oncle par votre mère.

— À seulement six solemnum, il vous a personnellement formulé cette demande ? interroge Sire Pardalis pour la réthorique.

— Son tuteur, cela me semblait évident.

— Sire Rataz, j'ai déjà envoyé des missives pour remettre en place un consil juris. La famille Eunectes qui fut à l'origine de leurs constitution conviendra qu'ils seront à même d'étudier la question et de porter sur le trône la personne légitime.

Bastus voit les veines du front de son interlocuteur gonfler, seul signe visible de sa contrariété.

— Je leur transmettrai le message. Je ne doute pas qu'ils suivront l'avis des sages du consil.

Le souverain sourit intérieurement, son adversaire ne pouvait qu'approuver. Et il sait déjà comment obtenir gain de cause auprès du futur consil juris.

— En attendant que soit tranchée la question du prochain souverain, je reste dirigeant en tant que fils aîné de la Suprême Polémarque.

— C'est la décision qui s'impose afin d'éviter le chaos. Nous avons besoin d'un monarque, appuie Sire Pardalis.

Les autres acquiescent d'un léger signe de tête.

Maintenant, il lui faut aborder le point sensible.

— Nous avons mis aux arrêts il y a quelques solaris le commanditaire d'une tentative d'assassinat sur ma personne.

L'assemblée offre des visages unanimement choqués. Quelle bande d'hypocrites !

— Après avoir étudié les textes de lois fondateurs, un tel acte de rébellion signifie la condamnation à mort par pendaison. Comme je vous l'ai évoqué, je tiens à revenir aux fondamentaux de notre Linéage. J'appliquerai donc la règle. Le commanditaire ainsi que tous les soldats s'étant rebellés contre mon autorité seront pendus en place publique demain.

Après de nombreuses hésitations, de longues réflexions et une étude approfondie des textes de lois qui avaient court depuis plusieurs générations avant l'arrivée de sa mère au pouvoir, Bastus a dû se rendre à l'évidence : seule la peine de mort est applicable. Les textes la mentinonnent de façon explicite. Cela permettra également de limiter voire d'éliminer toute autre tentative jusqu'à la décision du consil juris. Enfin, en faisant référence à des lois ancestrales, il ne pourra y avoir d'objection. Sire Pardalis avait raison. Il voit dans ses yeux du contentement mais aucune trace de jubliation. il n'est pas orgueilleux ni tyranique. C'est pour cela que Bastus l'a choisi pour allié, un homme droit, autoritaire certes, mais juste et dévoué à son peuple.

Le fils Rataz tape du poing sur la table, aussitôt foudroyé du regard par son père.

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