Chapitre 33 - Bastus - Assurer son pouvoir

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Sire Rataz attrape avec discrétion le poignet de son fils pour lui intimer le calme. Bastus devine leur crispation tout comme celle de Sire Aucepitère. Dans le regard de Sire Pardalis, il lit de la satisfaction.

— Pouvez-vous nous communiquer le nom de celui qui a voulu attenter à votre vie ? demande Sire Aucepitère.

— Eftyl Bernault, précise Bastus d’un ton neutre.

— Quelles sont vos preuves ? Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est notre cousin direct. Une erreur judiciaire serait fâcheuse.

— Je dispose d’un témoin sous ma protection. Il a été arrêté lors de sa rencontre avec la personne qu’il avait chargé d’exécuter cette basse besogne. Par ailleurs, il a depuis peu avoué.

— Qu’avez-vous fait pour qu’il reconnaisse cet acte abject qu’il n’a pas commis ! s’emporte Gerdon, le fils de la famille Rataz.

— Il a simplement choisi une façon rapide de mourir, répond dans un grondement Sire Pardalis contrastant avec son attitude calme et mesuré.

Bastus voit Gerdon sursauté alors qu’une éphémère grimace se dessine sur son visage, certainement le père qui l’a rappelé à l’ordre d’un coup de pied.

— Suprême, nous ne pouvons cautionner un tel acte. Peut-être a-t-il été poussé à une telle extrémité par l’effondrement de ses affaires ? Vous n’êtes pas sans savoir les conséquences économiques du projet avorté de guerre en Terres d’Osany. Sire Bernault s’était fortement endetté afin d’accroitre sa capacité d’extraction de minerais. Il devait fournir les armureries du royaume.

Voici enfin émerger le nerf de la guerre, les familles Rataz et Aucepitère ont soutenu sa mère afin de développer leurs activités d’extraction minière et de tannerie pour l’une, d’agriculture en vue de nourrir les armées pour l’autre. Avec son arrivée au pouvoir, ils se sont vu dépourvus, du jour au lendemain, de ces mannes financières.

— J’entends l’inquiétude et le désarroi occasionnés par la situation pour Sire Bernault. Il aurait dû solliciter une entrevue, nous aurions trouvé ensemble une solution. J’ai à cœur que chacun prospère au sein de mon royaume. C’est la raison pour laquelle je suis en négociation avec les Vulcae : un contrat de trois solemnum pour leur livrer des ressources agricoles en échange de fournitures d’armes.

Le souverain voit Sire Rataz prêt à exploser, il ne peut y avoir deux fournisseurs d’armes, surtout avec la pacification en cours sur Agdistiae. Si les Vulcae acceptent cet échange, cela implique la perte de la principale source de revenus de son domaine. Il est évident qu’il ne peut tolérer pareil affront.

Bastus voit que ce dernier tente de prendre la parole mais, asseyant son autorité, il poursuit, le regard froid :

— Bien entendu, il sera négocié une contrepartie de fournitures en cuir. Je compte sur chacun de vous pour épauler notre Linéage dans ces négociations.

Par ailleurs, le laboratoire de Sire Pardalis a mis au point durant ces derniers solemnum de recherche des avancées significatives en terme d’équipement et de traitement médicaux. Pour cela, nous aurons besoin de minerai afin de produire les instruments nécessaires. Sire Rataz, Sire Pardalis pensait vous solliciter pour ce contrat qui, nous l’espérons, débouchera vers des accords avec les Chloridiae, forts intéressés par ces découvertes. Une équipe est partie il y a peu en Terres d’Osany et les retours enthousiastes des Chloridiae laissent présager de bonnes perspectives commerciales. Nous devons encore présenter ces innovations au peuple Vulcae.

Dans quinze solaris, nous nous retrouverons pour échanger plus en avant sur ces différents sujets, mais il me semblait important de vous en communiquer les premiers éléments dès aujourd’hui. Il est évident que l’énergie déployée à prévenir les différentes tentatives d’assassinat contre ma personne mobilise des ressources humaines et financières que je ne peux dédier à l’avancée de ces projets. J’escomptais vous présenter une offre aboutie dans les solaris à venir mais nous avons pris du retard.

Bastus force le trait mais il espère ainsi rallier ces familles à sa cause. Les négociations sont en bonne voie mais il reste beaucoup à faire. De plus, les Vulcae et les Chloridiae sont encore sur la défensive, du fait des évènements récents. Il faudra du temps pour regagner leur confiance mais il est fier du chemin parcouru en quelques dizaines de solaris seulement. Il doit une bonne partie de ce succès à Sire Pardalis qui ne ménage pas sa peine depuis l’officialisation des fiançailles. Cela sera-t-il suffisant pour neutraliser les intrigues de ses adversaires ? Les solaris qui arrivent seront décisifs.

— Messieurs, je vous recevrai demain, par famille afin de répondre à vos questions. Vous pourrez également me communiquer la date à laquelle vous souhaitez invoquer le consil juris afin de trancher la question de l’héritier légitime ?

Cette dernière manœuvre est risquée mais si cela fonctionne, il s’assure sa place à la tête de la Contrée Cybeline. Il leur offre la possibilité de le déchoir de ses fonctions. Il est toutefois évident qu’une destitution implique la rupture des négociations en cours avec les autres Linéages. Des contrats juteux partiraient alors en fumée. C’est le pari que Bastus a choisi de faire.

— Pouvez-vous nous communiquer les documents concernant ces négociations, afin de les étudier ? demande Sire Aucepitère l’œil cupide.

Bastus apostrophe Sire Pardalis en tendant la main vers ce dernier :

— Sire, je vous prie.

— Voici une copie de tous les éléments évoqués par notre Suprême. Ayant traité la majeure partie de ses accords avec mes scribes, je suis à votre disposition afin de vous communiquer de plus amples informations et vous permettre de reprendre en direct les tractations avec nos futurs partenaires commerciaux.

Sire Aucepitère attrape avidement les documents en ajoutant :

— Sire, une guerre intestine serait un désastre pour notre pays. Vous disposez d’ores et déjà mon soutien. Vous êtes l’héritier légitime.

La famille Rataz est désormais isolée. Soit elle se sent acculée et Faona seule sait ce qu’ils seront capables de faire, soit la proposition est suffisamment alléchante pour calmer leur colère. Bastus voit le sang pulsé sur les tempes de Gerdon, ses yeux faisant de discrets aller-retours vers son père. Il doit être le reflet du combat intérieur de son paternel, cet homme montre un tel sang-froid qu’il est impossible de déchiffrer la moindre émotion.

— Suprême, pour mon cousin, Sire Bernault ? questionne Gerdon obstiné, les bras croisés.

— Assez, assène d’un ton glacial Sire Rataz. Gerdon, attends-moi dans mes appartements.

Il va pour répliquer mais devant le ton sans appel de son père et les yeux de l’assemblée rivés sur lui, le jeune homme sort, la tête basse.

— Veuillez excuser ses manières, il était très proche de son cousin enfant.

— Il est tout excuser, s’empresse d’ajouter Bastus sur un ton de fausse sympathie.

Peu après la levée de séance, les seigneurs ont déjà pris rendez-vous avec Sire Pardalis. Bastus dispose d’une après-midi de répit. Il ne peut s’empêcher de cogiter sur la suite des évènements. Ses échecs successifs pour rendre fier sa propre mère lui reviennent en mémoire. Est-il à la hauteur de la tâche ? Sekhma dirait sans aucun doute « Non ». Il tente de mettre sa voix de côté, en vain.

Depuis le décès d’Héphiane il n’arrive plus à supporter la compagnie d’une autre femme. Après s’être changé, il part donc pour la volière retrouvé son pygargue. L’animal est heureux de le retrouver, d’autant qu’il n’a pas pour habitude d’être seul. Impatient il se place sur son épaule, balance son poids d’une patte à l’autre frénétiquement. Son envie de chasser se transmet à Bastus. Il part à pieds dans la forêt du domaine. Son rapace décolle, impatient ; à mesure qu’il prend de l’altitude, les soucis de Bastus rapetissent. Il finit par se concentrer exclusivement sur la chasse. L’œil alerte, repérer le moindre mouvement. Prendre le courant ascendant. Gagner en hauteur pour élargir son champ de vision. Survoler une rivière. S’approcher sans bruit. Repérer enfin sa proie, un poisson frétillant. Observer. Calculer sa trajectoire. Fondre sur l’animal. Raser l’eau et planter ses serres dans la chair tendre. Et enfin, l’euphorie du repas ! Alors que le volatile se remplit la panse, Bastus se sent plus léger.

Il revient vers le palais et, après avoir déposé son pygargue à la volière, décide de passer remercier Yorine. Il tourne dans l’aile menant à ses appartements quand il cogne de plein fouet une personne.

— Suprême ! lâche Yorine surprise, les fesses sur le sol et les jupes emmêlées.

Bastus lui tend la main pour l’aider à se relever :

— Veuillez m’excuser.

— C’est plutôt à moi de m’excuser, j’aurai dû faire attention, rétorque-t-elle en époussetant sa robe.

— Je venais vous remercier.

La jeune femme le regarde, incertaine.

— Pour votre décoction. Très efficace. Vous nous avez offert un véritable atout à votre père et moi.

— Si je peux être utile au royaume.

Bastus ne peut s’empêcher de demander, face à l’attitude conciliante de la jeune femme :

—N’avez-vous pas de rancœur vis-à-vis de ma famille ?

Yorine se tait quelques instants avant de répondre :

— Si, il ne peut en être autrement. Sekhma a condamné ma famille à vivre recluse. Mais vous n’êtes pas votre mère, et je sais faire la part des choses. Mon père vous estime, ce qui est un élément important à mes yeux. Cela ne signifie pas que je vous fasse confiance mais je vous laisse le bénéfice du doute.

Bastus sourit malgré lui.

— Toujours aussi directe.

La jeune femme est un peu mal à l’aise, elle balance d’un pied sur l’autre, fuyant le souverain du regard.

— Je suis navrée, mes parents ont tenté d’y remédier mais il semble que cela soit plus fort que moi. J’ai de grandes difficultés à filtrer mes pensées.

Bastus se met à rire. Moment de détente bienvenu au milieu de ces solaris de travail éreintant. Cette fois, Yorine rosit. Ses doigts tricotent dans le vide, ses yeux fixent le sol.

— Merci mademoiselle, les occasions de rire sont plutôt rares en ce moment. Cela fait un bien fou ! s’exclament-il, ses épaules s’affaissant d’une partie du poids de la couronne. Ce qui, pour la cour s’apparente à un défaut, représente à mes yeux une qualité précieuse. Je vous prie de garder toujours cette honnêteté à mon égard et je m’engage à en faire de même.

— Suprême…

Elle semble hésiter mais reprend :

— Vous moquez-vous de moi ?

Bastus reprend contenance, le visage soudain sérieux :

— Je suis très sérieux. J’ai toujours méprisé les faux-semblants de la cour tout comme la cruauté de ma famille. Si nous voulons retrouver des bases saines pour notre pays, nous devons en être les exemples, vous, comme moi.

— Merci Suprême, vous m’ôtez un poids des épaules.

Elle plonge son regard dans le sien et ajoute :

— Je ne pouvais espérer meilleur époux.

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