Brûle pour point

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C'est joli ce qu'elle a dit :

"Au vu de votre stylo, vous composez plus que vous ne vous étalez."

Le monsieur n'a pas relevé alors qu'il essayait maladroitement de rassembler toutes ses affaires pour me libérer la chaise.

J’ai trouvé ça joliment dit.

Je me demande si elle manie les mots dans la vie de tous les jours. Grâce à son travail peut-être. Ou alors une association, dans un club d'écriture. Ou alors dans le confort de chez elle sur du papier libre.

J'ai envie de la regarder pour me faire une idée plus précise mais je n'ose pas relever la tête. En même temps, on est dans une salle d'attente, on a beau être sur la même rangée, il y a moyen que je simule un regard nonchalamment lancé en balayant la pièce. Genre quelqu'un vient de pénétrer dans la salle, la congratulant d'un poli bonjour de circonstances et je pourrais feindre de lui retourner sa salutation en levant la tête, un peu mais pas trop, me permettant par la même occasion de glisser un regard de côté.

Plan parfait.

De ce que j'en ai rapidement entraperçu, c'était une femme, fin cinquantaine, blanche, cheveux gris bouclés... permanentés et je ne sais pas exactement pourquoi mais mon cerveau l'a classée comme une excentrique. Peut-être qu'elle a des vêtements ultra colorés ou une attitude un peu hors norme. C'est fou comme on se souvient de petits détails et de grandes impressions. Je n'avais pas particulièrement fait attention à elle mais maintenant que je force mon esprit à se rappeler, j'ai plus d'informations... Après, si ça se trouve, mon cerveau les donne uniquement parce qu'il n'aime pas ne pas savoir et qu'il est conscient que relever la tête pour regarder quelqu'un, a fortiori qui n'a rien dit depuis plusieurs minutes, ça serait mal vu. Ça se trouve elle n'est pas si vieille… Par exemple, le monsieur qui vient de s'asseoir à côté de moi et bien au bruit qu'il faisait dans le couloir, on aurait pu penser qu'il utilise des béquilles alors qu'en vrai… Mince, du coup j'ai raté l'occasion de dire bonjour et de la regarder. Il a dû penser que j'étais impolie à fixer ma page de magazine comme une forcenée. Peut-être qu'il pense que je suis analphabète ou dyslexique et que les mots me posent problème, ou pire, qu'ils m'effraient, alors qu'au contraire, j'ai aimé et souligné d'un sourire le trait d'esprit de la dame sur l'histoire du stylo. J'aurais voulu dire plus, l'encourager. C'est agréable des petits échanges entre inconnus, surtout quand ils sont plutôt innocents voir bienveillants même si je trouve que l'on utilise trop ce mot et que du coup, il s’est un peu vidé de sa substance. Et puis, certains l'utilisent pour se qualifier. Je trouve ça pompeux. Pourquoi devoir le souligner ? C'est comme si on disait : « Je suis gentil. ». Non, 'on me dit gentil', car si je dois m'autoqualifier de gentil, c'est que ça se voit pas ou parce que mes actions ne parlent pas d’elles-mêmes. En même temps, quand on dit de quelqu'un qu'il est gentil, ça sonne limite comme un défaut, comme une roue de secours. « C'est vrai qu’il est pas fufute mais il est gentil. » Ha ha ha, on dirait que l'on rappelle le minimum syndical.

Bref, tournons la page, histoire de faire semblant d'avancer dans ce passionnant article sur... La mort du pape… Qu'est-ce que j'ai attrapé comme magazine encore... Paris Match... Ils ont l'horoscope dans Paris Match ? Autant que ça serve à quelque chose de l'avoir dans les mains... Ah, j'entends quelqu'un qui approche !... Et qui n'a pas dit bonjour... et comme je ne voulais pas de nouveau rater une opportunité de... de... Ah oui ! de regarder la dame, j'ai fixé le nouvel arrivant comme s’il était le Messie… C'est peut-être pour cela qu'il n'a pas dit bonjour, je l'ai perturbé. Il a dû se demander pourquoi je le fixais et si on se connaissait... Oh là là, la honte ! Je me sens rougir… cramoisi à ce niveau. Tout cela pour ne pas rater l’occasion de... de la regarder, mais pourquoi déjà... Je sens son regard sur moi, la honte, la honte, la honte.

Ouf, le docteur m'appelle !

Courage, fuyons !

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