Chapitre 1.2: Paris mon amour

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J’arrivai devant le portail d’une grande maison bourgeoise, dont les pointes semblaient vouloir transpercer le ciel. La demeure possédait une tourelle en briques rouges et un immense jardin illuminé. La musique assourdissante de ce Versailles miniature indiquait que la fête battait son plein. Je garai ma moto avec la dizaine d’autres du même style qui occupaient le parking dont celle de Lucas, d’Alex et de notre chef. Je franchis le grand portail, qui grinça, donnant sur une cour où dansaient une trentaine d’étudiants bien éméchés. Encore une fois, je me demandais avec le sourire comment ils arrivaient à trouver des pigeons aussi facilement. Lucas m’aperçut et courut vers moi. Vu sa démarche légèrement titubante, je devinai qu’il avait bien entamé la bouteille qu’il tenait à la main.

—Hey gros !!!! T’es enfin là ! T’en a mis du temps ! hurla-t-il dans mes oreilles.

— Excuse, j’étais occupé.

— Avoue t’étais avec une petite minette !

— Moi non, mais toi je ne parierai pas, retorquais-je.

Il rougit et évita mon regard. Chez Lucas, l’alcool avait tendance à faire ressortir ses émotions, et le rendait susceptible.

— Bon, on y va ? me dit-il tout content avec son sourire niait et ses grands yeux verts malicieux à moitié cachés par ses boucles noires.

— Il y a une raison à tes effusions de joie ? lui lançais-je en lui ébouriffant les cheveux.

— Aucune ! Je suis juste heureux ! Tu devrais essayer, ria-t-il.

Sa remarque fit mouche, plus profondément que je ne pensais. J’étais connu pour mon mauvais caractère, inutile de s’en cacher. Prenant sur moi, je souris. Lucas avait un an de moins. C’était un jeune homme joyeux, souriant aux fossettes par milliers. L’athlétisme, qu’il avait pratiqué pendant des années avait marqué sa morphologie. Longiligne, il était le mariage singulier entre les pays de l’est et l’Amérique Latine. Ce métis timide aux boucles noires ébènes et aux yeux verts clairs faisait chavirer bien des cœurs. Pourtant, il n’en jouait pas. Au contraire, les femmes le désarçonnaient. Incapable de prononcer une parole en leur présence, il fuyait, souvent. Il était le genre de personne auquel on s’attache rapidement. Son âme charitable, innocente et son attitude d’enfant inspiraient aisément confiance. Dès notre rencontre, j’aurai tout donné pour le protéger. Je me demanderai toujours pourquoi une âme aussi douce avait accepté cette vie de délinquant. Il aurait pu faire partie de ces étudiants éméchés, trop ivres pour voir le danger qui les guettait. Le dilemme de notre vie : connaître l’envers du décor et continuer d’avancer.

— Victor ! cria cette voix autoritaire que je ne connaissais que trop bien, et qui signait la fin de ma tranquillité.

— Grégoire, saluai-je, sec.

— Quel sérieux tu fais. Détends-toi, c’est une fête après tout, ricana mon chef.

— Toi et moi, nous savons que nous ne sommes pas là pour faire la fête, continuai-je sur le même ton.

— Tu as raison, arrêtons les courtoisies habituelles. On a du pain sur la planche.

— Donne-moi ce qu’il faut, je connais mon travail.

— Ce soir, j’ai décidé de changer un peu les habitudes, expliqua-t-il. Alex et Ahmed m’ont dit que tu avais doublé ta dose de sport ces derniers temps. Je leur fais confiance. As-tu ton maillot de bain ?

— Non, répondis-je, retissant.

— Raison de plus. Direction la piscine. Tu feras le divertissement, pendant que les autres s’occuperont de la vente. Et s’il te plait passe voir Amina, tes bleus ne sont pas très vendeurs.

— Est-ce que j’ai le choix ?

Il ne répondit pas, un sourire arrogant sur le visage. Pour toute réponse, je suivis Lucas en direction de la piscine, ruminant ma rage contre Grégoire. Il était notre leader, notre président et l’unique personne qui pouvait faire de moi un membre officiel du club. Pour l’instant, j’avais l’étiquette de prospect, autrement dit de larbin. Je devais encore faire mes preuves, lui montrer ma loyauté, lui prouver que j’étais digne d’être l’un des leurs. Alex et Ahmed étaient devenus des membres peu après que Lucas et moi aillons été recrutés. Grégoire avait plusieurs années de plus que nous, et s’en donnait à cœur joie pour nous le rappeler. Fondateur du club, ce grand brun aux yeux noirs et à la mâchoire carrée menait un règne de terreur. Ce français d’origine inconnue n’arborait qu’un tatouage, un couteau entouré d’une liane. La légende qui circulait dans le gang racontait qu’il l’avait fait à la suite de son premier meurtre. Cette histoire participait activement au culte que les recrues vouaient à Grégoire. Pour moi, ce n’était qu’un stratagème de plus, destiné à nous faire obéir.

Je passai sous un grand porche avant de découvrir le bassin, où trempaient de nombreux adolescents.

— En rogne contre le patron ? me lança Alex depuis le balcon qui donnait sur la piscine.

Il était entouré d’une dizaine de filles en bikini, chacune attendant sa dose. Alex avait un certain succès auprès de celles-ci, beau jeune homme mystérieux aux yeux sombres comme ses cheveux et à la peau halée où dansaient de nombreux tatouages. Le badboy dont rêvent toutes ces demoiselles. Il savait tirer parti de ses charmes, les utilisant pour faire tomber les femmes dans ses filets. Je l’enviais, cela était si naturel pour lui. Pas de doute, le chiffre d’affaires sera au rendez-vous ce soir. Je me contentai de lui lancer un regard qui en disait long. Il sourit de plus belle, retournant à ses petites affaires. Apparaissant derrière Alex, Amina se descendit les marches, se dirigeant vers moi avec sa démarche de chat. Elle semblait marcher sur des nuages. Ses longs cheveux roux éclatants se balançaient jusqu’à ses larges hanches. Elle m’étudiait avec ses grands yeux verts, me mettant mal à l’aise. Son visage fin afficha un sourire coquin, s’ajoutant à sa beauté. Elle était la perle de Grégoire, sa carte maitresse, sa propriété depuis qu’elle avait accepté de nous rejoindre. Elle était la plus libre d’entre nous allant et venant à sa guise, son seul rôle étant de nous rendre désirable. Et moi comme un idiot je la désirais.

— Grégoire n’avait pas menti, t’es vraiment pas beau.

— Merci, ça me fait plaisir, répliquai-je, espiègle.

— Assied-toi là, dit-elle en me désignant un transat libre. Je vais te refaire une beauté.

Elle ouvrit sa mallette en cuir noir, révélant une armée de pinceaux et de couleurs qui faisait pâlir le monde autour. Avant de nous connaitre, elle avait effectué un BTS beauté, puis le gang lui avait financé une grande école de maquillage parisienne, personne ne savait pourquoi. Maintenant, peu rivalisaient avec son talent. Je fermai les yeux, laissant l’experte à sa magie. Je sentais les poils du pinceau déposer de la poudre sur mes bleus, rendant à ma peau sa couleur naturelle. Désireux de calmer le désir crée par cette proximité, j’engageai la conversation.

— T’en as jamais marre de devoir nous réparer ?

— Je n’aurai rien à faire de ma vie sinon. Vous « fixer », n’est qu’une partie de mon travail. Tu découvriras surement le reste plus tard.

De longues minutes passèrent avant qu’elle ne s’écrie :

— Et voilà, la misère est cachée ! Même ta mâchoire passe inaperçue. Alex, cria-t-elle, tu peux y aller !

— Mesdemoiselles ! Qui désire que Victor enlève son tee-shirt ? enchaînant Alex du tac au tac depuis son perchoir.

— Il n’avait pas mieux à faire ?, pensais-je à voix haute pendant qu’Amina m’adressait un regard compatissant.

— La mise commence à 20 euros pour la veste, enchaina Lucas en sautant dans l’eau, une bouteille pleine à la main.

— Tu ne vas pas réellement faire ça ? lui lançai-je avec un regard noir.

— Oh que si ! Mesdemoiselles, on se dépêche sinon notre grand blond ténébreux devra s’en aller !

— Oh non, crièrent les étudiantes.

— Comment je cache les bleus sur mon torse ? interrogeai-je ma maquilleuse.

— Elles sont trop ivres pour s’en apercevoir, répondit-elle.

Elle se leva, partant rejoindre son amant pendant qu’une première étudiante sortait de la piscine, vêtue d’un bikini minuscule et s’approcha de moi. Elle me laissa sortir les bouteilles de mon sac avant de glisser un billet de 50 dans ma veste avant de me l’enlever, me susurrant qu’on allait souvent se croiser ce soir.

— A qui le tour ? ria Lucas.

Et malgré moi je souriais.

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