Chapitre 7.2: Trahis moi une fois...

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Ce soir-là, le repas se déroula sans encombre, le gala à venir était sur toutes les lèvres. Qui était invité ? Quel serait le thème ? Que porterons-nous ? Où se tiendrait l’évènement ? Les commérages allaient bon train. Arrivés au dessert après un copieux poulet rôti, Grégoire se leva et délivra un discours digne d’un candidat à la présidentielle.

 — Mes amis, notre travail a porté ses fruits. Notre réputation n’est plus à refaire, nous sommes craints, nos alliés sont satisfaits. Le bal se tiendra dans une semaine à compter d’aujourd’hui. Ma magnifique compagne vous préparera pour cet évènement. Vous serez habillés et coiffés pour l’occasion. Rien ne doit être laissé de côté. Si vous désirez amener un plus un, adressez-vous à Val, qui fera le nécessaire. Ce soir, nous travaillons, demain nous célébrerons. Maintenant, mangez ce bon moelleux au chocolat, et rentrez. Votre semaine sera chargée.

Sur ce, il s’assit sous les applaudissements et les hourras de la tablée et mangea son gâteau. Les convives suivirent son exemple. Le dessert du chef était excellent. Il nous gâtait. Je n’avais jamais été aussi bien nourris que depuis ces dernières semaines. Encore une chose que je devais à Grégoire, la liste s’arrêterait-elle un jour ?

Je sortis du hangar pour fumer, une habitude. Rien ne valait la clope de fin de repas. J’allumais ma cigarette, lorsqu’Amina me rejoignit, son manteau en fourrure autour de ses épaules. Le mois de février était particulièrement froid cette année. Je regrettai de n’avoir rien pris pour me couvrir. Elle me salua et alluma sa clope.

 — Grégoire a donné un sacré discours, tu ne trouves pas ? débutait-je.

 — Il a toujours eu du talent pour inspirer son auditoire. Il désire enflammer les foules autant qu’il désire être craint.

 — Tu ne m’as jamais dit comment tu l’avais rencontré, continuai-je.

 — Ce ne sera pas ce soir non plus que tu l’apprendras, répliqua-t-elle calmement, la fumée s’échappant de sa bouche.

 — J’ai une question Amina, j’ai besoin que tu sois la plus sincère possible, dis-je mal à l’aise.

Elle braqua ses grands yeux verts émeraudes, peu dissimulés par les mèches rebelles qui s’échappaient de son chignon serré. Je pris mon courage à deux mains, et poursuivis, nous éloignant du hangar.

 — Ecoute, je sais que tu parles à la presse, chuchotai-je. Ce que je veux savoir c’est pourquoi.

Je vis la surprise se dessiner sur son visage, l’inquiétude prit sa place, puis ce fut la terreur et la tristesse qui s’installèrent.

 — Comment.. ? Est-ce qu’il.. ,balbutia-t-elle, les larmes aux yeux.

 — Non, il ne sait pas, la coupai-je. Pas encore. Mais tu vas devoir me convaincre de ne pas le lui dire. Pourquoi nous faire ça ?

 — Je l’ai fait pour nous, pour Lucas, pour toi, pour moi, s’énerva-t-elle. Je le vois clair dans ton petit numéro de mec obéissant. Toi aussi tu veux quitter cette vie. J’ai trouvé une porte de sortie, je l’ai enfoncé sans réfléchir. Tu aurais fait pareille à ma place, justifia-t-elle.

Elle se rapprocha, me prit les mains, posant cartes sur table.

 — Lucie Lim est venue me trouver. Elle m’a expliqué qu’elle pouvait m’aider à changer de vie, à disparaître. Je peux tout recommencer. Elle m’a déjà donné mon nouveau passeport, et autres documents officiels. En échange, j’acceptais de lui donner le scoop de sa vie : un jeune dur à cuir parisien devenu le chef d’un gang influent. La tête de Grégoire pour notre liberté. Dès que l’article sera écrit, elle me paiera un aller simple pour les Caraïbes. Regarde-moi et dis-moi que tu n’en veux pas, dit-elle en m'observant.

Son regard me transperçait. Il sondait la moindre trace de mensonge sur mon visage. Il fallait que je trouve une parade.

 — Tu as décidé pour nous tous! l’accusai-je sur la défensive. Grégoire en a aidé plus d’un! Il nous a offert un cadre de vie, une cause pour se battre, une famille. Il nous a tendu la main quand le monde nous tournait le dos. Je n’étais rien et maintenant je tiens Paris dans mes mains. Je n’ai jamais trouvé ma place, mais auprès d’eux, je l’ai. Ils sont mes frères, réalisai-je. Et je mourrai pour eux.

 — Où est passé le mec indomptable qui m’a séduit ? L’homme qui s’opposait au patron, celui qui levait le menton quand tous rentraient la queue, cria-t-elle, son doigt sur ma poitrine. Je ne veux pas d’un larbin, j’en côtoie déjà trop.

 — Un larbin ? m’emportai-je. Peut-être que je lui obéis, peut-être que j’ai même fini par l’apprécier. Mais contrairement à toi, je ne dénonce pas ceux qui m’ont nourri, qui me traite d’égal à égal.

 — Tu ne seras jamais son égal, dit-elle avec dédain.

 — Le tien non plus, il semblerait. Il ne nous aurait jamais donné en pâture aux loups. Comment tu as pu ?

 — Je te l'ai dit, hurla-t-elle, les joues humides. Je l’ai fait pour nous. Pour qu’on ait une chance. Ici, notre histoire est impossible, Paris est sa ville. Pars avec moi, Victor. On repartira de zéro. On prendra le premier vol pour Nassau, ta mère viendra avec nous. On vivra une nouvelle histoire dans une cabane de pêcheur sur une plage de sable blanc, murmura-t-elle, des étoiles dans les yeux.

Elle mit ses mains sur mon visage, je pleurai aussi. J'aurais voulu y croire, si elle savait.

 — Pars avec moi. On pourrait être juste toi et moi, on découvrira le monde, loin de notre passé, me supplia-t-elle.

Pour la deuxième fois, je l’allais la repousser, elle que j’aimais plus que tout et ce depuis des années. La seule femme que j’avais jamais aimé me suppliait de m’enfuir avec moi, et moi j’allais l’abandonner. Décidément, j’étais maudit, et non Lucas. Ma loyauté avait gagné du terrain dans mon cœur. J’avais appris à me complaire dans cette vie. J’aimais la liberté, les opportunités, le sentiment d’invincibilité. Je désirais l’adrénaline de la moto lors d’une course avec les membres du gang plus que je ne la désirais elle. J’étais addict au danger de ma vie.

Les autres membres avaient pris une place irremplaçable dans ma vie, je ne pouvais pas les abandonner. Petit à petit, mes souvenirs affluèrent alors que je regardai Amina se décomposer. J’entendis le rire enfantin de Lucas, le discours de fierté de Grégoire quand il m’avait nommé membre, leurs cris lorsque que j’avais cousu mon écusson. Je revis les entraînements de karaté avec Val, le stand de tirs avec Alex, les soirées dingues auxquelles nous avions assisté. Je revivai les fiançailles d’Alex et Julia, un soir où nous étions tous réunis. Alex m’avait demandé d’être son témoin, Val et Lucas ses garçons d’honneur. Grégoire avait rempli un certificat en ligne, lui donnant l’autorisation légale de les marier. Je ressentis à nouveau l’euphorie de ma première paye, et des suivantes. Je me rappelai de la voix heureuse de ma mère en réhabilitation, convaincue que j’avais trouvé un travail bien rémunéré. Enfin, je repensai au baiser d’Amina à cette fête chez L. Est-ce qu’elle en valait le coup ? Est-ce que j’étais prêt à tout quitter pour elle ? Julia et Alex avaient bien réussi ainsi après de nombreuses péripéties. Alors pourquoi pas nous ?

 — Je… Je ne peux pas, répondis-je. Je suis désolé, Amina, mais j’aime cette vie, je l’ai choisie.

Elle recula, ses joues rouges fouettées par le vent de la nuit. Ses yeux émeraudes étaient noyés de larmes, pourtant elle était magnifique. Dans ses yeux, je voyais l’espoir disparaître, se briser à cause de mon refus. Encore une fois, ses larmes étaient de ma faute. Pendant de longues minutes, je me retins tant que je pus, luttant contre l’envie de la prendre dans mes bras, de goûter ses lèvres salées, de sentir leur douceur.

 — Et merde.

Je parcourus la distance qui nous séparait, l'attirai vers moi et l’embrassai. Après un bref moment d’hésitation, elle me rendit mon baiser. Nos corps se fondaient à travers cet échange, je la voulais. Je m’offrai à elle et elle fit de même. Ses lèvres chaudes souffraient de mes assauts brûlants. Nous sommes restés ainsi un long moment, dans l’ombre d’un immeuble. J’ai bien cru que mon cœur allait sortir de ma poitrine, tout en moi s’enflammait. Je la plaquai contre le mur, appuyant plus fort mon corps contre le sien. Elle m’attirait, ses mains s’agrippant à mes cheveux. Elle respirait fort, excitée par cette proximité. J’en avais tellement envie, mais pas ici.

 — Reste, lui murmurai-je entre deux baisers. Reste avec moi. Quitte-le, reste.

 — Victor…

 — Reste. On trouvera une solution, je te le promets, affirmai-je en la prenant dans mes bras.

 — Jusqu’au gala alors, pas plus.

Ce n’était pas grand-chose, mais c’était déjà ça. Nous continuâmes à nous enlacer, profitant de la chaleur que nous dégagions. Elle était tout. J’aurai dû le réaliser plus tôt. Lors du gala, je devrai faire mon choix. Plus de retour en arrière. La nuit noire fut la seule témoin de mon serment silencieux.

***

La veille du gala, je reçus un message étrange de Tula alors que je sortais de cours. Une livraison spéciale pour la fête arrivait ce soir, nous devions la superviser. Je quittai François rapidement, il fallait que je passe voir ma mère à la clinique avant de rejoindre mes amis. Depuis que ses médecins avaient autorisé les visites, j’avais pris l’habitude de m’y rendre une fois par semaine. Elle se portait à merveille, l’infirmier affirmait qu’elle sortirait d’ici deux semaines si rien ne changeait. Elle serait ensuite supervisée et de régulières visites seraient à effectuer pour contrôler son retour à la vie “normale”. La clinique était située dans un château beige avec des tourelles du XIXème siècle dans un domaine à Fontainebleau. Sur leur site, on pouvait lire que les ducs venaient se réfugier dans ce lieu pour échapper à la folie de Paris. L’immense jardin à la française permettait aux résidents de se balader et de pratiquer des activités en extérieur. Ma mère y avait même essayé l’équitation. Ce jour-là, elle m’attendait dans le salon principal, lisant le magazine Elle. Elle portait un jean foncé avec un petit pull vert. Elle semblait apaisée. Lorsqu’elle m’aperçut, un sourire se dessina sur ses lèvres. Ses yeux aussi bleus que les siens avaient retrouvé leur lumière et leur chaleur.

 — Nicolas ! Je commençais à croire que tu avais oublié ta propre mère! me réprimanda-t-elle avec le sourire.

 — Coucou maman, je me faisais désirer. Comment tu vas ?

 — Je vais bien, j’ai fait de la peinture aujourd’hui, je crains cependant ne pas avoir de talent dans ce domaine. Tu aurais dû voir la tête de l’infirmière devant ma toile ! ria-t-elle.

 — Ce n’est pas grave maman, je comprends mieux pourquoi je ne serai jamais un grand peintre, la taquinai-je.

Ma remarque l’a fit rire de plus belle. Nos échanges avaient évolué récemment, j’en étais plus qu’heureux. Ma mère avait réalisé le temps qu’elle avait perdu avec sa maladie, et cherchait à le rattraper. Pour cela, elle me posait des tonnes de questions.

 — Alors, Nicolas, parle de moi de toi ! Tu as rencontré une fille ? s’écrira-t-elle.

 — Maman…

Je devais être très gêné, car elle explosa de rire.

 — Oui maman, j’ai rencontré une fille. Mais ne nous avançons pas, c’est très récent.

 — Comment s’appelle-t-elle ?

 — Pour être honnête, je ne sais pas.

Son regard interrogatoire me fit rire.

 — A quoi ressemble-t-elle ?

 — Elle est rousse aux yeux verts. Elle a de grosses joues roses, qui se marient avec son visage en forme de cœur. Elle a du caractère. Elle est intelligente et talentueuse. Elle fréquente une école de maquillage parisienne.

Ma mère m’écouta parler d’Amina, de mon travail imaginaire, et des cours pendant que les minutes défilaient. Elle souriait, hochait la tête et gloussait fréquement.

 — Il faut que j’y aille maman, je t’aime. A la semaine prochaine.

 — Amènes cette jeune femme avec toi la prochaine fois, me demanda-t-elle.

 — Je vais essayer.

Je repartis de la clinique le cœur léger. Sur le retour, je repensais à ma conversation avec ma mère. Cette semaine, avec Amina, nous nous étions vu en cachette, nous embrassant passionnément. Et dans quelques heures, elle dormirait dans mon appartement, j’étais impatient. Je trépignais comme un enfant le soir de Noël, j’avais honte. J’enfourchai ma moto, traversant Fontainebleau, la ville aux multiples pistes de concours de chevaux. Vu d’ici la Cité du poney me paraissait si chaleureuse. Les passants emmitouflés dans leurs doudounes semblaient heureux. Le monde souriait ce soir.

Je me garai devant le hangar et endossai le rôle de Victor, abandonnant Nicolas sur la moto. Je pris un air assuré, et franchis le seuil. Val, Alex, et deux autres membres du gang Younes, et Corentin, discutaient activement. Agités à première vue, ils s’arrêtèrent de parler lorsqu’ils m’aperçurent. Je me raidis, continuant d’avancer vers eux.

 — Pourquoi tant de secrets les gars ? leur lançai-je.

 — Baisse d’un ton, réplica Younes.

 — Nous ne pouvons pas t’expliquer, il faut que tu le voies de tes propres yeux, m’expliqua Val.

 — N’empêche, je n’en reviens pas qu’il ait osé, déclara Alex visiblement abasourdi.

 — Vous m’inquiétez.

 — Même Tula est tombé des nues, renchérit Corentin.

 — Va au fond, derrière la serre, et regarde par le trou dans le mur, m’indiqua discrètement Val.

Avant que je ne puisse aller observer ce qui désarçonnait mes amis, Grégoire apparu, visiblement aux anges, vêtue non pas de sa veste en cuir mais d’un costume trois pièces noires qui lui donnait 5 années de plus.

 — Venez ! La livraison est arrivée ! s’extasia-t-il.

Mes compagnons se regardèrent inquiets mais obéirent Je les suivis à l’extérieur, contournant l’entrepôt pour arriver devant un bateau de marchandises, qui avait jeté l’ancre dans ce port abandonné. Inhabituel.

 — Cette semaine a été fructueuse, j’ai conclu un marché avec un gros fournisseur de plants de marijuana au Mexique, expliqua-t-il. Il sera demain à la fête en compagnie de ses fils. Son jet privé atterrira à l’aéroport Charles de Gaulle demain matin, un prospect ira le chercher. Ce soir, il nous a envoyé une cargaison spéciale pour l’amusement des convives. Il a pensé qu’amener certaines spécialités détendraient les négociations. Je compte sur votre totale discrétion, bien évidemment.

Intrigué, je m’attendais à de la drogue de toutes sortes, cocaïne, ecstasy, opium, ou même à une nouvelle ganja génétiquement modifiée. Rien n’aurait pu me préparer à ce que je vis. Des hommes armés descendirent du bateau la livraison spéciale sous nos yeux, ébahis voir horrifiés. Ils tenaient une corde où étaient attachées des jeunes femmes, à peine plus âgées que nous. Leurs yeux étaient bandés, mais leurs démarches trahissaient leur peur. Elles étaient une vingtaine, frêles créatures offertes en cadeau à des tyrans. Elles étaient toutes différentes et venaient surement des quatre coins du monde. J’eus un haut-le-cœur, les larmes aux yeux devant cette atrocité. Alex, Val et les autres étaient dans le même état que moi. Grégoire rayonnait, insensible à la cruauté qu’il cautionnait. J’aurai voulu les aider, me précipiter sur ses hommes, arrêter cette mascarade insensée. Ces femmes étaient des êtres humains, pas des marchandises que nous pouvions vendre. A ce moment, quelque chose se brisa en moi. La loyauté, l’obéissance dont j’avais fait preuve ces derniers mois devinrent obsolètes. L’amour fraternel que je ressentais pour Grégoire se muait en haine au rythme des jambes de ses étrangères. Le chef que j’avais considéré comme mon père, mon modèle, celui qui m’avait pris sous son aile, offert un monde de possibilités, s’était effacé. Un monstre était né, ou alors il avait toujours été là. Il avait dépassé les limites, et nous aussi. Amina avait raison, nous dévions le faire tomber pour ses crimes et ensuite, nous devions nous enfuir.

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