Chapitre 8.2: Unis-toi à moi avant qu'on ne disparaisse

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Le gala débuta à 19h30 dans un « Féroce » ayant subi un make-over total. Grégoire avait miraculeusement convaincu le propriétaire du bar de changer sa décoration féline pour quelque chose de plus sobre, distingué. Réticent au début, il avait été soulagé de garder son bureau intact. Du reste, seuls les vieux fauteuils en cuir trônaient encore dans le bar. Blanc, noir et doré, étaient les nouveaux mots d’ordre. Notre chère L. avait aussi subi un relooking, le chef ne laissait rien au hasard. Grégoire nous avait conviés deux heures avant pour la préparation. Amina/ Marie, qui avait filé en catimini de mon appartement le matin même, nous attendait avec sa mallette à miracle. Elle était vêtue d’une robe pâle à franges des années 20 avec de fines bretelles. Ses cheveux étaient coiffés en un chignon complexe, retenue par un bandeau noir. Une fleur en satin noir avait été ajouté à sa coiffure. Son costume était accompagné d’un boa noir. Son maquillage était simple, elle portait un fard à paupière clair avec des paillettes. Ses yeux verts ressortaient avec sa tenue. Je fus charmé au premier regard. Captant mon attention, elle rougit et se détourna. Des images de notre nuit m’assaillirent. Me retenir allait s’avérer plus complexe que prévu.

Heureusement, Julia apparue, Alex à son bras. Mon ami avait retrouvé l’usage de ses jambes et était heureux de pouvoir accompagner sa fiancée. Celle-ci portait la même tenue que Marie mais en noir avec des accessoires blancs. Ses créoles dorés se mariaient avec la décoration du bar. Alex n’était pas encore habillé, nous les hommes passions après. Je discutais avec ces deux-là tout en examinant la décoration. Pendant ce temps Amina coiffait et maquillait les petites amies des mecs de la bande dans un coin du bar. Elles semblaient si nombreuses. Corentin n’avait pas pu choisir entre ses deux amantes, alors ils avaient invité les deux. Val avait enfin amené quelqu’un. Mais je ne l’avais pas encore vu. Lucas était venu avec sa meilleure amie. J’avais beaucoup rit lorsqu’il me l’avait annoncé.

Une jeune femme nous appela depuis le bar, curieux je m’approchai. Une L. nouvelle génération nous toisait d’un regard retouché à l’eyeliner. Je ne pus me retenir, j’éclatai de rire, très vite rejoint par Alex et Julia.

— L. mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? demanda Julia entre deux gloussements.

L. fulminait. D’ordinaire habillée à la garçonne, avec ses dreadlocks, ses gros sweats léopard, elle portait aujourd’hui une robe jaune pâle à franches plus moulante que celle de Julia avec un boa blanc. Je la détaillai, je n’avais jamais remarqué qu’L. avait un corps de mannequin. Fine et élancée, L. dissimulait sa beauté, mais Marie venait de la révéler. Ses cheveux lissés étaient blonds platine, relevés en chignon dont dépassaient ses mèches rebelles. Elle était maquillée simplement, la couleur de son fard à paupière soulignait son regard bleu méditerranée. Julia me donna un coup de coude, trouvant mon regard trop insistant. Je lui lançait un regard noir, elle me rendit un sourire splendide en réponse.

— Sers-nous deux whiskies et un mojito pour la donzelle, s’il te plait beauté, demanda Alex avec un voix de vieux pervers.

Je crus qu’L allait lui jeter la bouteille de whisky au visage. Néanmoins elle nous servit nos verres, son rire se joignant au nôtre. Elle était visiblement ravie de nous revoir. Nous discutâmes du bar, de ses histoires de ménage répétitives, ainsi que de la soirée à venir. Elle nous apprit que de grands noms du crime organisé seraient présents à cette fête, et que Grégoire avait payé une fortune la nouvelle décoration. Il avait même entrepris des travaux dans le sous-sol pour agrandir la boîte.

— Croyez-moi, j’ai entendu le marteau piqueur pendant deux semaines. J’ai bien cru qu’il construisait un tunnel. Mais il faut avouer, il a fait des merveilles. Une fois ce cirque fini, les gens vont se précipiter pour réserver des tables ou venir danser! s'extasia L.

Amina termina les jeunes femmes puis nous conduisit dans la réserve du bar où étaient entreposés des costumes de pingouins d’époque. Alex eut une moue dubitative devant nos accoutrements. En effet, deux vestes noires à queue avec un pantalon assorti nous attendaient, avec une chemise blanche, simple heureusement. Je retirai ma veste, gardant mon tee-shirt blanc. Marie avait laissé des traces explicites sur mon torse. J’enfilai la chemise, loin d’ignorer le regard dévorant de ma dulcinée. Alex me regarda soudain de travers.

— Quoi ? demandai-je, avec une voix agressive qui le fit rire.

— Tu as un suçon, ah non trois suçons bien rouges qui dépassent de ton col. Tu t’es amusé hier soir, ria mon ami.

Alex me vit rougir et Amina gloussa. Sa tête fit des allers retours entre elle et moi.

— Non… me dîtes pas que vous avez osé, dit-il sur un ton faussement surpris. Ce manège dure depuis combien de temps ?

— Quelques jours, vo plus, chuchota Marie, amusée par la scène.

Alex leva les yeux au ciel puis éclata de rire.

— Il était temps ! Il fantasme sur toi depuis son arrivée, j’en avais marre de le voir baver, me taquina-t-il.

— C’est parti, lançai-je avec ironie. Merci Amina, maintenant il ne va plus s’arrêter de me charrier.

Marie me sourit, visiblement fière d’elle. Alex continua de jacasser sur mes yeux de merlan fris avant de nous mettre en garde.

— J’ai beau être très heureux pour vous mes amis. Il n’y a pas de place pour l’erreur. Grégoire, énervé, est imprévisible, dangereux, et sans limite. S’il découvre votre histoire, il te tuera Victor devant ta chérie pour qu’elle retienne la leçon. Et Amina, il te laissera vivre avec ta culpabilité pour que tu n'oublies jamais que tu lui appartiens.

Amina et moi nous regardâmes, conscients du risque que nous prenions. Dans ses yeux, je lisais sa peur mais aussi son courage. Elle était prête.

Habillés et coiffés par ma ravissante compagne, à laquelle je réussis à voler un baiser fugace, nous rejoignîmes les autres dans la boîte de nuit au sous-sol. Avec Val et Alex, nous installâmes les tables, les décorations. L’établissement ressemblait à un Speakeasy de la prohibition. Une chanteuse avait été réservée par Grégoire pour la soirée. Notre chef désirait recréer cette ambiance d’interdit, de secret. Il y était arrivé avec brio. Un vigile avait été installé à l’entrée de la boîte de nuit pour vérifier que chaque invité connaissait le mot de passe. Une fois notre travail terminé, nous nous asseyâmes au bar, regardant L. jongler avec les bouteilles. Elle nous concocta un cocktail au whisky, très original. Alors qu’Alex sirotait son verre, Lucas nous rejoignit. Sa tenue lui donnait quelques années de plus. Une jeune femme brune avec de longues boucles et des yeux en amande se tenait à ses côtés. Vêtue d’une simple robe noire avec un énorme décolleté, la meilleure amie de Lucas était très attirante. Et malheureusement, elle me paraissait très familière. Elle croisa mon regard, et rougit. Je détournai le regard. Val m'aperçut et me balança discrètement:

— Laisse-moi deviner. Tu te l’ais tapé. T’as baisé tout Paris mec ou quoi?

J’hochai la tête et avalai mon verre d’une traite. Alex et Val, rirent dans leurs barbes et conversèrent pour détendre l’atmosphère, taquinant Lucas sur son accoutrement. Nous parlâmes jusqu’à ce que Grégoire annonce le début des festivittés.

Les invités arrivèrent dans un défilé de berlines blindées. Malfrats, mafieux et autres criminels s’alignaient devant la Tour Montparnasse. Pour ne pas être dérangé, Grégoire avait passé un marché avec la police nationale. Il avait obtenu une trêve d’une nuit dont nous ne voulions pas connaître les détails. Les policiers s’étaient engagés à ne pas réaliser d’arrestations de la nuit.

Tous les convives étaient costumés, certains portaient même des masques. De toutes couleurs, et de toutes origines, nos partenaires venaient célébrer notre succès et le leur. Ils nous félicitaient, choqués par notre âge. Certains personnages étaient accompagnés de leur famille, portrait classique si on négligeait le garde du garde et le pistolet dissimulé dans le veston du père. Les hommes aimaient parler business et se vanter de leur succès. Leurs fils nous demandaient comment une bande de gamins avaient réussi à se hisser dans les plus hautes sphères de Paris. Mes amis, trop heureux d’être sous les projecteurs, inventèrent des histoires tirées par les cheveux. Leur auditoire gobait leurs paroles. Alex raconta comment un jour Grégoire l’avait enlevé et enfermé dans un cercueil pendant trois nuits et trois jours pour le mettre à l’épreuve. En entendant cette histoire, je levai les yeux au ciel.

Les serveuses, ainsi les danseuses se promenaient dans la boîte. Elles offraient aux invités les boissons préparés par L. , ou alors elles s’installaient avec les VIP. Ceux-ci ne cachaient pas leeur plaisir et baladaient leurs grosses pâtes sur ces pauvres demoiselles. En étudiant leurs silhouettes, je les reconnus immédiatement. Ces corps frêles, hésitants étaient les kidnappées de la veille, et il en manquait. Seules quinze filles étaient ici, où étaient les autres? Mon cœur se serra. Je les imaginais dans une pièce, livrées à elles-mêmes à la merci de ces ordures. Mes poings se crispèrent. Je sentis une main se poser la main.

— Détends-toi, c’est une fête, me glissa Julia. Si quelqu’un aperçoit ta colère, on pourrait finir avec un bain de sang.

— Tu…

— Oui, je sais pour les filles, Alex m’a dit. Il n’y a rien que tu puisses faire, alors reste calme. Ne va pas me forcer à appeler Amina pour te cadrer.

Avant que je puisse lui demander comment elle était au courant, un homme s’approcha de moi. Il était grand et élancé, et respirait la puissance. Vêtue d’un costume trois pièces gris, il était un symbole de sobriété dans cet univers de paillettes. Son visage était fin, avec des yeux de chats amandes et un nez aquilin.

— Tu dois être Victor. Grégoire m’avait parlé de son soldat le plus bagarreur. Tu es sa bête de compétition pour les combats, me dit-il avec un fort accent italien.

— Et vous êtes?

— Agressif, j’adore. Appelle-moi Pietro. J’ai une offre pour toi gamin. J’ai besoin d’un combattant, d’un garçon dont la rage intérieure écraserait tout sur son passage. Je suis prêt à payer très cher pour tes services.

— Je crains que vous ne vous soyez trompé. Je ne suis pas à vendre.

— Pour l’instant, répondit-il.

Grégoire arriva à ce moment-là, me sauvant de cet affreux personnage. Un peu éméché, il me servit son grand discours sur la fierté, la famille, ses nouveaux amis. J’écoutais d’une oreille, surveillant du coin de l'œil le Pietro. Quelque chose chez cet homme ne tournait pas rond.

— Victor!

— Euh oui désolé, boss. Qu’est-ce qu’il y a ?demandai-je confus.

— Amina, as-tu des informations pour moi?

— Non patron, elle est clean. Lucas et moi n’avons rien trouvé, mentis-je.

Il hocha la tête, sombre puis répartit entretenir ses convives. Mon regard croisa celui de Pietro, il souriait.

La soirée eut un franc succès, j’avais rencontré toutes sortes de personnalités, du petit dealer au gros producteur, en passant par les importateurs. J’en appris beaucoup sur les projets génétiques visant l’augmentation des effets des drogues sur le système nerveux pour rendre les consommateurs accros.

— Il s’agit d’un programme de recherche de la mafia, visant à modifier génétiquement le THC du Cannabis pour le rendre plus actif, m’expliqua le seul scientifique de l’assemblée. Le THC a un effet d'inhibition des informations et lorsqu’il entre dans le corps, il déclenche la création de dopamine. C’est l’hormone du bonheur. Notre but est de trouver comment on pourrait augmenter cette création de dopamine. Si tu augmentes le plaisir, les gens en voudront encore plus.

—Ce n’est pas dangereux?

—On s’en fout! me répondit-il. La morale c’est pas bon pour le business, conclut-il.

Les informations pleuvaient, les bouches alcoolisées se démêlaient. Nous récoltâmes tout ce que nous pouvions. Demain, il nous faudrait faire un compte-rendu détaillé à Grégoire sur nos trouvailles. Les invités mangèrent avec appétit le buffet préparé par notre chef, buvèrent beaucoup. Les caisses de vins français furent descendues à une vitesse vertigineuse. Les enfants des mafieux s’amusaient. Lucas leur faisait des tours de magie. Bref, tout roulait. La chanteuse joua des slows, et j’étais le seul idiot accoudé au bar en train de regarder ma copine dans les bras d’un autre. L. me tendit un verre.

— T’en as bien besoin.

— Cul sec?

Elle sourit, se versa un verre et avala d’une gorgée le contenu. Je fis de même. L’alcool me brûla le gosier. Tant pis. Je remarquai que Val dansait avec un homme, un grand brun à la mâchoire carré. Je crus les voir s’embrasser. L. me les montra du doigt en gloussa.

— Il était grand temps! lui répondis-je.

Les derniers partirent vers 6h du matin, satisfaits de cette soirée où toutes substances avaient coulé à flot. Marie et moi, nous étions retrouvés un bref moment vers 4h et j’en avais profité pour lui avouer mes sentiments, incapables d’attendre.

— Je t’aime aussi, m’avait-elle répondu.

Elle m’avait ensuite donné les clés de son appartement pour notre after privé. Elle était ensuite allé rejoindre Grégoire après un baiser. En partant, elle lui dirait que tout était fini, puis nous disparaîtrions. D’ici son départ, elle ferait bonne figure, pour ne pas l’énerver.

Lorsque j’ai quitté la boîte, je lui ai envoyé un message. Elle me demanda de l’attendre chez elle, elle arriverait après sa discussion avec Grégoire. M’auto-jugeant peu alcoolisé, je pris ma moto, arrivant en quarante minutes chez elle. J’entrai, m’installais dans son canapé pour l’attendre, un verre de Whisky à la main.

Une heure passa, puis deux. Après dix appels sans réponse et le double de messages, je pris ma moto, inquiet et filai dans la nuit. Après vingt minutes de route, avec un cœur qui battait à 100 à l’heure, j'entendis au loin le bruit des sirènes. Il m’attirait vers lui. Je le suivis, tremblant sous mon blouson. J'arrivai sur les lieux. Il avait eu lieu un accident. Les lumières de l’ambulance, et celle des camions de police m’aveuglaient. Les ambulanciers étaient en train de transporter un automobiliste blessé. Une moto, dont la vue me glaça le sang, s’était encastrée dans une voiture. Le pare-brise de celle-ci avait éclaté. La moto était en lambeaux. Je m’approchai, réticent. Une boule se forma dans mon ventre m’empêchant de respirer. J’haletai, cherchant de l’air. Je vis la police soulever un corps dans un plastique noire. Impossible de savoir qui c’était. Il y avait du sang partout. Un pompier cria :

— Celui-ci est vivant ! Amenez un brancard !

Les ambulanciers accoururent vers cet inconnu couvert de blessures. Je vis qui il soulevait, qui ils venaient de sauver, qui était en vie. Soudain, la réalité me frappa en plein fouet, je m’effondrai sur ma moto, incapable de réfléchir, mon monde s’écroulant autour de moi. Mes jambes se dérobaient sous mon corps. Je serrai si fort mon véhicule pour ne pas m’écrouler que mes jointures devinrent blanches. J’eus un haut-le-cœur, l’horreur secouant chaque cellule de mon corps. “C’est impossible. C’est un cauchemar, je vais me réveiller”, pensai-je. Je me frappai, tentant de me réveiller. La scène ne changea pas, seule la douleur se faisait plus persistante. J’hurlais, m’époumonais. Un pompier se précipita vers moi, et remarqua le sang qui perlait de mes mains.

— Monsieur, est-ce que vous allez bien?

Je le repoussais. Rien n’allait. Ma vie n’avait plus de sens. Le pompier me soutenait, mon corps ne répondait plus. Je levais les yeux et alors que le monde disparaissait derrière une cascade d’eau et de rage, j’aperçus les portes de l’ambulance se fermer, emmenant un Grégoire, inerte à l’hôpital. La morgue quitta le lieu, emportant le corps de mon Amina, me laissant seul avec mon désespoir.

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