Chapitre 10: La hyène

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" I have too great a soul to die like a criminal ". John Wilkes Booth (1)

Alors que je me dirigeai vers l’hopital où Grégoire était soigné, mes pas se faisaient de plus en plus lourds. Les soldats que je venais d'abattre tombaient en boucle devant mes yeux. Malgré l'effroi de tout ce sang versé, une bête bien pire s'était installée en moi. Ce n'était pas ni la peur ni la colère, ni même la tristesse. L'animal, au pelage noir, me souriait, telle une vielle amie, ravit que j'ai laché la bride. La hyène passa sa langue sur ses canines ensanglantées. Je sentais sa soif de sang comme si c'était la mienne. Ce besoin de tuer me hantait. Je m'arrêtais, pour reprendre ma respiration et enfonçai mes mains moites dans mon jean. Inutile de se mentir, j'aimais me battre. Sentir que je prenais l'ascendant sur mon adversaire était revigorant. Je ne m'étais jamais senti aussi vivant qu'au moment où ces corps s'éteignaient. Le poid de l'arme contre mon dos était devenu naturel, mon corps, en manque, réclamait son dose d'adrénaline. Je plongeai mon regard dans celui enflammé de l'animal, me demandant qui de Nicolas ou de Victor était le monstre. Je pénétrai dans l'établissement et rabattis la capuche de mon sweat sur ma tête. Je suivis les panneaux qui indiquaient "visiteurs". Dans chaque couloir, j'étais espionné par les patients, qui ne cachaient pas leur méfiance. Je leur jetais un regard mauvais qui les fit bondir en arrière. J'avais juste eu le temps de me changer et de nettoyer le sang qui tâchait mon corps. Machinalement, je grattais mes mains. Au bout du labyrinthe de murs gris monotone, je trouvai le bureau de la secrétaire:

— Pourriez-vous m'indiquer la chambre de Grégoire, s'il vous plait, Miranda? dis en décriptant l'étiquette sur sa blouse.

La blondasse me sourit puis se tourna vers le pompier qui venait d'arriver. Je pus écouter avec un grand plaisir l'échec cuisant de son dernier date Tinder. Ce genre de gossip avait tendance à me rendre malade. Je me permis d'insister en posant un peu trop fort le poing sur le comptoir. Après d'interminables piaillements, elle m'indiqua la marche à suivre. Je ne la remerciais pas et partis d'un pas pressé vers l'ascenseur. J'appuyais sur le bouton puis entrais dans l'élévateur lorsqu'un brancardier glissa son patient à mes côtes. Le vieil homme aux cheveux blancs allongé dans le lit me fixa, amusé. Il me désigna discrètement mon oreille. Je portais la main et m'aperçus que j'avais encore du sang. Je levai les yeux au ciel, pendant que l'homme m'adressait un clin d'oeil. Avant que je n'ai pu demandé son nom, la porte s'ouvrit, emportant cette étrange connaissance.

Un grincement plus tard, mes pieds franchissaient le pallier du dernier étage gardé par deux nouvelles armoires à glace, polonais à tous les coups. Dommage, Luca n'était pas là pour que je lui fasse les poches. Il perdait toujours aux paris. A la vue des costumes des deux nouvelles recrus, le patron ne souffrait pas de la crise. L’argent n’était plus un problème. J’arrivai devant la porte de sa chambre, apercevant Tatia à l’intérieur. Elle devait savourer sa promotion. Elle prit congé en me voyant dehors. En la croisant, je la bousculais volontairement.

— Victor, s’exclama Grégoire d’une voix chaleureuse. Toujours aussi gentleman, à ce que je vois. Tu as une mine affreuse.

Je ne répondis pas. Il était pas beau à voir non plus. Des tuyaux étaient fixés à ses narines et à son bras. Il était sous intraveineuse. Il portait un plâtre immobilisant sa jambe droite, une minerve qui ne l’empêchait pas de jacter. Une profonde fatigue marquait ses traits, presqu’une lassitude. Même ainsi, je sentais la haine bouillir en moi, « assassin » criait mon cœur. Je scrutais la pièce, pour trouver le moyen le plus rapide de mettre fin à ses jours. Couper son oxygène trop long.

— Assieds-toi donc, dit-il en désignant la chaise vide de Tatia.

Je m’exécutai retissant. Le balancer par la fenêtre, tentant mais il était trop lourd.

— Tula m’as dit que tu avais sauvé nos gars aujourd’hui. Je te félicite, je suis fier de toi.

Ces mots, si simples qui auparavant m’emplissaient de joie, restaient vides de sens. L'étouffer avec un oreiller trop long.

— Néanmoins, je ne t’ai pas convoqué pour parler banalités, nous avons deux sujets à aborder.

— Hum.

Grégoire montrait enfin ses cartes.

— Parlons d’Amina, Marie si tu préfères, dit-il avec un sourire en coin.

La hyène gronda. Une balle entre les deux yeux, voilà ce qu'il lui fallait. Allongé et affaiblit, il ne pourrait rien faire, et ce cauchemar prendrait fin. « La guerre continuera encore pire et tous tes amies mourront » réplica ma conscience. La main sur la crosse de l'arme, je soufflais. Je relachai ma main et remis la muselière à la bête. Elle me fixait, intriguée. Le gang avait besoin d’une figure forte pour faire front. Grégoire était connu, dangereux, et rancunier. Il fallait l’avouer, il était taillé pour le job. « Tu pourrais le remplacer », chuchota la voix d’Amina dans ma tête. Nous en avions discuté, je n'avais ni les épaules ni la volonté. S'il fallait absolument un ordre alors autant que quelqu’un d’autre assume la fonction.

—Tu vas me tuer ? demanda Grégoire, un air faussement offusqué.

-— Quoi ? répondis-je, perdu.

— Je connais ce regard Victor, celui que tu as lorsque tes yeux se posent sur moi. Tu veux me tuer.

— Non, mais j'espère que quelqu'un le fera, avouais-je. Ta mort ne m'apportera rien pour l'instant.

— Nous sommes d’accord sur un point, sourit-il. Bien, Amina maintenant. Parlons franchement, mon petit, j’étais au courant pour vous deux, depuis le début. Intéressant comme vous vous êtes battus, des insectes coincés dans ma toiles. Ne fais pas cette tête surprise, en dépit des apparences, Amina et moi avons été amis pendant des années, je connaissais la nature de ses sentiments envers toi. Tu as bien résisté, mais comme n'importe quel idiot tu as cédé. Tu m’as trahi Victor, et ça c’est un problème.

Il marqua une pause. Je déglutis, je n’aimais pas son ton.

— Cependant, Amina est partie, paix à son âme. Donc je suppose qu'il ne devrait plus y avoir de problème. N’est-ce pas ?

J’étais dans l’incapacité de répondre. Il poursuivit :

— Vu ton héroïsme de ce soir, je suis prêt à te pardonner. Voir même, à t’offrir une promotion.

— Rien n'est jamais gratuit avec toi. Qu'est-ce que tu veux ?

— Effectivement tout a un prix, dit-il en passant sa langue sur ses lèvres sèches. Vois-tu mon petit, j'aime lorsque mes soldats sont loyaux, et obéissants. La rebellion ça s'écrase. Je veux que tu te rappelles à qui revient ta loyauté. N’oublie pas ce que j’ai fait pour toi, Nicolas, me menaça-t-il.

Il passait à l’attaque.

— Il y a deux ans, maintenant, je t’ai trouvé dans la rue. Tu étais un sale gamin, avec une mère alcoolique, et un père absent. Tu étais habité par le même feu qui brûlait en moi à ton âge. Tu te souviens de pourquoi tu te battais? Il fallait que tu sois fort, que tu payes les factures pour éviter que vous vous fassiez expulsés ta mère et toi. Lorsque je t'ai vu combattre pour la première fois, j'ai su qu'on ferait de grandes choses. Ce jour-là, tu as perdu le seul combat de ta carrière. Je t'ai appris à concentrer ta rage dans chaque coup que tu donnais. Tu n'as rien perdu depuis. Maintenant que tu as largement assez d'argent pour subvenir aux besoins de ta famille, dis moi Victor, pourquoi continues-tu à te battre?

Je me souvenais du jour où il m'avait recruté comme si c'était hier.

Il s'assit devant moi et sortit du désinfectant. Il m'aspergea le liquide puis nettoya ma plaie avec un coton. Je me mis à pleurer, je venais de perdre. Il me tendit un mouchoir.

Tu as survécut à ton premier combat petit, me lança cet inconnu en me secouant les cheveux.

Oui monsieur ! répondis-je en redressant les épaules.

Ne m’appelle pas monsieur, je suis Grégoire. Et toi ?

Nicolas !

Nicolas, tu te bats bien pour un débutant. Je recrute des survivants comme toi pour former un groupe, dit-il en me tendant un sandwitch.

Un groupe ? demandai-je en croquant à pleines dents dans ce met délicieux.

Conquérir le monde mon ami.

Impressionné, j'avais accepté. Il m’avait personnellement entraîné, surveillant chacun de mes mouvements jusqu’à ce qu’ils soient parfaits. A l'époque, j'aurai tout fait pour le rendre fier. Je me levais la nuit pour tapper dans mon sac de boxe jusqu'à ce que mes poings saignent. Ma mère buvait toujours trop pour que je la réveille.

— Pas besoin de ressasser vieil homme. Tu sais que je te suis reconnaissant de la vie que tu m’as offert, je l’ai toujours été. Viens en au fait.

— Comme tu voudras. Je ne veux savoir qu'une chose : pourquoi me trahir ?

— Je suis tombé amoureux, répondis-je sincèrement.

— L’amour, quel plait soupira Grégoire. Il vous fait faire toutes sortes de choses. Regarde Val.

J'observai son visage déformé par un sourire mauvais et demandai :

— Si on compte autant pour toi, pourquoi Tatia ?

— Simple. 2 Raisons. Tatia, est une croqueuse de diamant, elle aime les hommes de pouvoir. Elle ne serait pas restée avec un second, elle aurait trouvé un autre moyen de gravir les échelons. A mon bras, elle exprime son vrai potentiel. Ensuite pour t’apprendre une leçon, jeune homme. La même que j’ai enseigné à Alex, vous m'appartenez. Le seul amour que vous devriez avoir c'est envers moi.

Grégoire avait devenu mégalomane.

— C’est pour une de tes leçons que tu l’as tué ? grondai-je.

— L'animal sort de sa cage! Malheureusement non, c’était un accident.

Une ombre voila son visage. L'espace de quelques secondes, j’y crus. Je ne savais pas à qul point, j'aurai aimé y croire. Mais je refusais de me laisser berner encore une fois. La hyène tira sur sa corde.

— Alors pourquoi faire disparaitre le rapport de police ?

— Voyons tu connais la réponse. Les flics c'est mauvais pour le business. Tu vas me blâmer pour avoir protéger nos intérêts ?

— Les tiens plutôt, soufflai-je.

— Ceux de nous tous, Victor. Moi aussi je l’ai perdu, deux fois. La première lorsque vous vous êtes embrassé dans l’ombre du hangar. Ne fais pas cette tête, j’ai des caméras dans tout le secteur. Je les ai installé pour notre protection. Résultat, j'en ai appris beaucoup sur vos petits secrets.

Je commençai à sentir l’étau du piège se renfermer. S'il avait des caméras autour du secteur de la fusillage de cette après-midi...

— Eh oui, tu commences à comprendre. La petite gueguerre de cette après-midi, ouch quel spectacle! Heureusement, que j'ai tout gardé en vidéo. Ecoute-moi bien, Nicolas, un pas de travers et tu plonges. Et si tu comptes sur ta journaliste, Mlle Lim, le problème est réglé.

Un frisson remonta le long de la colonne vertébrale.

— Ne fais pas cette tête-là, elle est en vie, pour l'instant. Après une généreuse donation, elle a décidé qu'un tour du monde était ce qu'il lui fallait. Le journalisme de nos jours, quel boulot stressant!

La bête grattait le sol, cherchant le meilleur point d'attaque. Elle bouillonais de frustration. Grégoire avait réponse à tout. Néanmoins, je passai à l'attaque.

— Comment est morte Amina ? murmurai-je entre mes dents serrés.

— Nous roulions vers chez elle, lorsqu’une voiture a surgi, grillant le feu. J’ai tenté de piler, mais rien n’y a fait. L’impact m’a projeté sur la voiture, j’ai atterri sur le toit, pendant qu’elle…s’encastrait dans le véhicule avec ma moto, deglupit-il, les yeux en larme. J'ai perdu connaissance. Elle est morte sur le coup, elle n’a pas souffert m'ont dit les médecins.

Sa voix s’était brisée, et pourtant je n’arrivai pas à contenir ma colère. Il avait survécu, et pas elle. Il allait continué son règne de terreur, avec Tatia comme nouveau jouet. Ma main regagna à nouveau mon arme, la bête souriait de toutes ses dents. Avant que je ne puisse parler, Grégoire opéra un changement d'attitude à 180°.

— Assez parlé de sujets sensibles, tu sembles tendu. Maintenant, parlons de ta promotion. Je t’offre la même place qu’occupe Tula. Deviens mon bras droit, enfin mon bras gauche. Tu comprends l'idée.

— Ton chien tu veux dire.

— Je n’aime pas ton sarcasme, change de ton gamin, siffla-t-il. Dans ma condition actuelle, d’autres bandes essayeront de prendre notre place. Il y aura d’autres combats, d’autres morts sans nom. Pendant ma convalescence, Tula et toi devraient faire front, ensemble, montrer la paix qui règne chez nous. Puis je reviendrai et tout sera comme avant.

D’autres morts… A côté de la hyène, des corps sans vie s'entassaient. Ses crocs étaient ensanglantés. Amina gisait à ses pieds, des menottes en fer entouraient ses chevilles et ses mains. L'animal leva ses yeux sans expression vers moi. Je repensais à Luca, à Val, Alex, je n’en voulais plus. Les bains de sang c'était fini pour moi. J’avais pris ma décision, je m’en allais.

— Non, répliquai-je.

— Tu penses avoir le choix ? ricana-t-il, la menace à peine voilée.

— C’est non. Je m’en vais Grégoire, c’est fini, déclarai-je, prenant mon courage pour affronter celui qui m’avait tant donné. Tu as dépassé les limites, tu fais du trafic d’êtres humains, tu obéis aux mafieux, tu nous manipules. J’arrête. J’ai assez donné. Je m’en vais.

— Personne ne part vivant, me menaça-t-il ouvertement.

Instinctivement, je saisis l'arme et la pointai vers le front de Victor.

— Va-y, fils.

Les deux armoires à glace débarquèrent en trompe dans la pièce. Grégoire les arrêta d'un geste.

— Fais-le. Montre moi ce que je t'ai appris. Tue-moi. C'est moi qui l'ai tué, j'ai tué ta raison de vivre, va-y, cria-t-il.

Il tremblait, les yeux fous. IMême si je le haissais, il l'avait perdu. Il n'était qu'un gamin blessé qui se prenait pour un roi. Je baissai l'arme, je ne serai pas un régicide, pas ce soir.

— Grégoire, c'est fini. Je ne te crains plus. Si tu aimais Amina, laisse-moi partir, ou tues-moi, je m'en fiche.

Il réfléchit, soupira puis déclara :

- Tu reviendras, tu verras. Ils reviennent tous.

Je partis en courant sans me retourner, j'avais trop peur qu'il change d'avis. Je sortis du bâtiment, enfourchai ma moto et filai vers mon appartement. Il fallait quitter la ville, dès ce soir. Le long du trajet, je fis la liste des choses à emmener. Le reste, je le brûlerai. La hyène rugissait. Ce sentiment de liberté, était presque trop beau.

En arrivant devant ma porte, je la trouvai entrouverte. Prudent, je sortis mon arme et poussai la porte avec le canon. Elle s'ouvrit en grinçant. A peine avais-je pénétrer mon appartement que des mains me saisirent pour me plaquer contre le mur. La liberté avait été de courte durée. Deux brutes à la peau aussi noir que l'obsidienne me soutenaient. Ils me conduirent dans le salon où un troisième observait ce qui restait des plantes de ma mère. Il se retourna, pour me dévoiler son identité que je ne connaissais que trop bien.

— Mais qu'est-ce que vous foutez chez moi?

(1) John Wilkes Booth, né en 1838, fait ses débuts comme acteur, suivant les pas de son père avant lui. Talentueux, il devient très vite populaire, et est même élu "le plus bel homme de l'Amérique" par certains critiques de théâtre. Pendant ce temps, la guerre entre le Nord abolitionnisme et le sud esclavagiste déchire les Etats-Unis. Booth prend part et s'engage aux côtés des confédérés, tout en continuant de jouer aux quatre coins des Etats-Unis. En 1864, la guerre tourne à la faveur du nord, bloquant les échanges de prisionniers. Booth échafaude alors un plan pour kidnapper Abraham Lincoln dans sa résidence d'été, élu le 6 novembre 1860 à la tête du pays. Booth multiplie ses actions pour les confédérés, ralliant des sympathisants à sa cause. Il s'affirme fermement contre les volontés du président américain. Lors du discours de Lincoln sur le droit de vote des anciens esclaves, Booth se fait la promesse que le tuer. Lors de la répresentation de la pièce Notre cousin américain le 14 avril 1865, Booth s'introduit dans le box de Lincoln et lui tira une balle de Derringer calibre 44. Arrêté le 26 avril 1865, il est tué âr le sergent Boston Corbett. Son corps fut enterré à l'abri des regards dans la zone destockage d'un vieux pénitencier avant d'être rendu à la famille quatre ans plus tard.

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