Celui qui cesse de croire au paradis céleste veut croire au paradis sur Terre
Cette histoire prend place dans un monde pareil au nôtre.
Ils sont si semblables qu’on pourrait les confondre, pourtant, ils sont bien distincts.
Dans notre monde, tout est gris. Il n’y a pas de Bien, il n’y a pas de Mal, tout n’est que nuances. Tout est explicable, tout est excusable, tout est humain.
L’Homme est au centre de tout, son droit de liberté est total, il doit l’être pour profiter de toutes ces nuances.
Dans cet autre monde, il existe un homme qui sait que le Bien existe.
C’est parce qu’il sait qu’il existe qu’il est persuadé d’être le Mal.
Il est un être abject, infâme, refusant toute nuance.
Il souhaite une mort atroce à son pire ennemi et il sait que son monde est rempli de personnes malveillantes pensant la même chose, c’est pour cela qu’il s’y sent si Bien.
Un jour, un homme de notre monde pénétra dans cet autre monde sans nuances.
Il était si semblable qu’au début, il ne vit aucune différence.
Puis, il croisa cet autre homme, le Mal, qui le dévisagea avec mépris. Il était tout de noir vêtu et son visage aussi blanc que la craie. Cet autre homme s’était départi de toute nuance, il le sut au premier coup d’œil.
Comment pouvait-il le dévisager ainsi, lui qui était paré de toutes les couleurs que permettaient ses nuances ?
Cet homme s’approcha et se présenta :
”Je suis le Mal.” Dit-il. Tu es ici dans un monde sans nuances. “Toi, qui es-tu ?”
”Je suis tout.” Répondit-il avec aplomb. “Tout ce que je veux être, je le suis.”
“Alors, tu n’es rien.” Répondit l’autre.
”Qu’est-ce que le Mal ?” Demanda cet homme venu d’un monde de nuances.
”C’est tout ce que condamne la Morale.”
”Qu’est-ce que la Morale ?”
”Ce qui nous pousse à faire le Bien. C’est la Loi des Hommes. Celle qui prévaut sur n’importe quel texte, celle qui s’est imposée à nos ancêtres et qui leur a permis de survivre jusqu’ici.”
“Votre Morale est arbitraire.”
”Il n’y a qu’une Morale dans mon monde sans nuances.”
”Votre monde a fait de vous le Mal.”
”J’ai fait de moi le Mal, la Morale n’a rien fait. Elle m’a jugée, mais n’a pas prononcé de sentence. Je suis responsable de mon mal.”
”Pourquoi ne pas avoir fait de vous le Bien ?”
”Car il était plus aisé de faire de moi le Mal.”
”D’où je viens, il est facile d’être tout ce que vous voulez. Nous n’avons pas besoin de faire d’efforts. Tout nous est dû, nous sommes des hommes libres. Nous sommes des hommes pleins de nuances.”
”Vous êtes un homme plein de nuances avec un discours sans nuances.”
”Ma volonté s’impose sur la Morale arbitraire. Si elle ne peut pas délivrer de sentence, alors elle ne peut me juger. Dans toutes ces nuances que je suis, je peux choisir d’être le Bien dans ton monde sans nuances.”
“Le Bien n’a pas de nuances.”
“Le Bien est ce que je décide qu’il est, la Morale arbitraire ne s’applique pas à un homme fait de nuances.”
”Alors, vous avez décidé de devenir Dieu.”
”Je ne connais pas de Dieu, dans mon monde, il est mort depuis longtemps. Mais je suis fait de nuances, et l’une de ces nuances peut être Dieu.”
”Vous êtes Dieu. Vous êtes le Bien. Vous êtes exempté de la Morale des Hommes. Votre monde de nuances n’accepte pas le Mal que je suis, parce qu'il n’a pas de nuances parmi vos nuances. Mon monde sans nuances accepte un homme plein de nuances, car il sait qu’il est le Mal. Celui qui ne croit plus ni au Bien, ni au mal, ni à la Morale ordonne sa propre morale aux hommes qui imposeront aussi leur prore morale et plus personne ne sera là pour les juger.
Un homme plein de nuances est le Mal.
Mon monde était plein de nuances et je suis devenu le Mal.
Dieu est revenu. Le Bien est revenu. La Morale est revenue et les nuances ont disparu.
Je suis le Mal. Et grâce à moi, le Bien est revenu.”

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