À lire attentivement
Je vais vous raconter une histoire, et quelle histoire ! Bon, en fait, vous vous en doutez, je vais vous parler de moi. Habituellement, pourtant, je suis loin de me vanter ou de me montrer. Solitaire, j’aime observer le ciel seule, jouer de la harpe celtique dans mon coin ou m’amuser avec mon chat noir, que j’ai surnommé « Riri ». J’ai toujours préféré les endroits sombres, les forêts à peine éclairées par les doux rayons lunaires, ou les monts venteux.
En Bretagne, j’ai de la chance, je suis gâtée ! Brocéliande m’appelle, sa magie me parle et m’ensorcèle. Merlin y avait élu demeure, je suis sûre que son âme y repose encore. L’héritage des Celtes vibre en moi. La mer houleuse m’envoie ses embruns soyeux. Le vent me chuchote ses manigances à l’oreille. Vous l’aurez compris, j’adore cet endroit !
Ma maison près de la mer, à Carnac, ressemble à toutes les autres et en même temps à aucune autre. Chaque génération de ma famille y a laissé son empreinte. Les murs de pierre côtoient le bois, le lierre entortillé s’entremêle aux barreaux des fenêtres et les volets rouillés pendent au côté des rideaux électriques. Une drôle d’aura s’échappe de la demeure de manière diffuse. Une aura bleutée scintillante ; un voile à peine perceptible. Cependant, je la remarque à présent. Et ce n’est pas tout ! Dès que je mets le pied dehors, d’autres choses terrifiantes me sautent maintenant aux yeux : des griffes, des dents crochues, des poils, des ailes… Mon quotidien s’est assombri ; mes pouvoirs ne me laissent aucun répit et j’y ai même perdu des amis.
Tout allait bien jusqu’aux fêtes d’Halloween de l’an passé. Quand je suis devenue une… sorcière ! Eh oui, ça existe, désolée pour le spoil ! Tout comme les vampires d’ailleurs, ou les loups-garous et les zombies. Petite astuce : n’essayez pas de parler avec les zombies, ils ne comprennent rien. Fuyez lorsque vous en voyez un, sans vous embêter à courir. Ils n’ont aucune coordination et trébuchent sans cesse. Haha ! Bon, d’accord, je me moque d’eux alors qu’ils sont morts, ce n’est pas très sympa, j’admets. Enfin ! Passons aux choses sérieuses sans plus attendre : mon premier jour en tant que sorcière…
***
Il faisait chaud en ce jour d’Halloween. Hein ? Mais non ! Je vis en Bretagne, je vous rappelle. On se les pelait grave, ouais ! Je m’étais recouverte de plusieurs plaids pour mieux dormir, Riri à mes côtés pour me réchauffer. Je sommeillais bien. Je me souviens d’un rêve duveteux, dans lequel je m’imaginais jouer de la harpe devant des centaines de petits hommes. Des lutins, je crois. Ou des korrigans. J’ai tendance à lire un peu trop de contes bretons. Bref. Je dormais bien quand on me réveilla en sursaut. Ma mère et sa sœur s’étaient infiltrées discrètement dans ma chambre, sans que je les entende. Elles s’étaient approchées de mon lit, leurs têtes juste au-dessus de la seule partie de mon visage qui restait visible à travers les couvertures.
Elles commencèrent par me secouer comme un prunier, puis me hurlèrent dessus comme des dingues.
— Bouuuh !
— Aaaaaaaah ! criai-je, affolée.
À la vue des visages horribles aux nez crochus repoussants, j’armai mon poing et en frappai un au hasard. Riri, que j’avais oublié, me griffa sous l’effet de la peur et sauta sur la tête du monstre encore debout. L’adrénaline faisait palpiter mon cœur à toute vitesse. Je me positionnai sur le lit de sorte à me préparer à d’autres attaques sournoises. Les deux bestioles se trouvaient à terre, l’une à se battre contre un chat hystérique et l’autre en train de gémir en se tenant le menton. Oh ! ça va, faut pas m’en vouloir comme ça ! Je ne les avais pas reconnues sous ces vêtements grotesques et ces maquillages hideux.
Quand je compris à qui j’avais affaire, ma peur se transforma en rage. Je balançai sur elles mes coussins, ma couette, mes plaids, tout ce qui me passait sous la main. Riri apprécia peu de se laisser ensevelir sous les couvertures et déguerpit en chouinant. Les deux monstres parvinrent à se relever, l’un les cheveux ébouriffés et l’autre le visage rougi par la douleur. Je remarquai leurs tuniques noires, ainsi que d’étranges chapeaux informes sur leurs têtes. Quels costumes ridicules ! J’avais vu mieux.
— Néina, mais t’es dingue ou quoi ? s’exclama ma mère.
— C’est Halloween, on voulait juste rigoler un peu, bafouilla ma tante d’un air penaud.
Je les fixai avec haine.
— Ah ouais ? Vous transformer en bêtes dégueulasses, c’était censé me faire rire peut-être ? C’est vous qui êtes timbrées !
Ma mère et sa sœur se regardèrent, confuses. Puis, un sourire illumina leurs visages affreux. Comme deux ados, elles sautillèrent sur place et joignirent les mains. Elles se mirent à chantonner, à tourner, à rigoler. Putain, mais c’était quoi ce délire ?
— Quand vous aurez fini votre rituel sataniste, j’aimerais m’habiller. J’ai cours, moi ! leur lançai-je tout en me dirigeant vers mon armoire.
À suivre...
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