Prologue - La bataille d'Edidris
9 mars 3212 après JC.
Les tirs de plasma fusaient de toutes parts en ricochant sur les exoarmures des malheureux Gingers. Partout l’air était saturé de poussière et de fumée, irrespirable. Des centaines de corps jonchaient les plaines lunaires au milieu des débris de matériel abandonnés par les survivants dans leur débandade. Ils étaient tombés dans une embuscade. La bataille d’Edidris, qui promettait d’être la clé de leur victoire, avait viré au cauchemar.
« Retraite ! » hurla le général Maz.
Tout près de lui, une salve de mortier explosa contre un D32. L’immense robot de combat fut pulvérisé avec ses deux pilotes. Des éclats de métal volèrent dans toutes les directions, ajoutant à la panique. Un morceau du fuselage de la taille d’une porte vint rebondir contre les restes d’une pièce d’artillerie dans un bruit de tonnerre. Dévié de sa trajectoire initiale, il poursuivit sa course et tua deux combattants un peu plus loin.
« Repliez-vous ! Il faut atteindre les corvettes ! »
L’Ultima Solaris était leur dernière chance de survie. Seul l’immense destroyer réussirait à franchir les lignes de la flotte ennemie pour les ramener au bercail. Les vaisseaux pouvant le rallier n’étaient plus très loin, six-cents mètres tout au plus, mais en terrain découvert. Et pendant que les soldats irotiens se repliaient, les polarians continuaient à faire feu, impitoyables.
Malgré ses crampes et son épuisement, Maz se mit à courir. La batterie de son armure était presque vide, bientôt les propulseurs céderaient ce qui l'immobiliserait sur place dans sa coquille de trois-cents kilos. Pour économiser de l’énergie, il désactiva l’interface de combat qui clignotait devant ses yeux. De toute façon, il n'en avait plus besoin. Sa seule priorité était de réussir à sauver sa peau.
Soudain, un tir le frappa au milieu du dos. Son armure encaissa le choc mais la puissance de l’impact le projeta violemment à terre. Maz s’écrasa dans la poussière. Il essaya de se relever mais le poids de son équipement le clouait au sol. Au-dessus de sa tête, un chasseur ennemi passa en rase-motte et ouvrit le feu à l’aide de ses lance-torpilles. Les projectiles fusèrent en direction des corvettes et l’une d’elles explosa.
« Boucliers ! »
Dans un réflexe simultané, les Gingers activèrent la protection de leurs exoarmures. Mais le général n’eut pas le temps de réagir. Le souffle de la détonation le souleva comme un fétu de paille et il roula plusieurs fois sur lui-même avant de percuter un rocher dans un crac retentissant. Une douleur sourde lui déchira les côtes, la vitre de son casque se fendit et l’afflux d’oxygène de son exosquelette s’arrêta.
« Merde, merde, merde ! » jura-t-il.
Pris de panique, il inspira une dernière goulée d’air et retint sa respiration pendant que son armure réparait les dégâts. Sa hanche le faisait atrocement souffrir et lorsqu’il y posa la main, il la retira tachée de sang. Son cœur battait la chamade, cognant douloureusement dans sa poitrine. Des tâches lumineuses et des points noirs apparurent dans son champ de vision. Sur l’écran de contrôle de son appareil, ses constantes vitales s’affolèrent.
« Général ! »
Un soldat fit demi-tour pour le rejoindre mais un tir de plasma le cueillit au niveau du front. L’homme s’écroula comme une masse, tué sur le coup. Heureusement, une deuxième silhouette s’approcha de Maz et l’aida à activer sa bonbonne de secours. L’oxygène circula de nouveau dans son exoarmure et il respira avec soulagement.
« Ça va aller, mon général ? »
Il voulut répondre mais aucun son ne parvint à franchir ses lèvres. Un tir s’écrasa sur le bouclier de son ange-gardien qui riposta à l’aveugle. L’homme vida son chargeur vers les rangs polarians avant de jeter son arme pour concentrer toute la puissance de son exosquelette dans ses propulseurs.
« Attention, prévint-il, ça risque de secouer un peu. »
Il prit appui sur le rocher et tenta de remettre le général debout. Maz hurla tandis qu’une nouvelle onde de souffrance irradiait dans son flanc. Il avait chaud, terriblement chaud. Son champ de vision commençait à s’obscurcir et une vague de nausées le submergea. Il sentit que quelqu’un ouvrait le plastron de son armure, on lui plaqua un masque à oxygène sur le visage. Tout n’était plus que chaos, le vacarme de la bataille lui donnait l’impression que son crâne allait exploser. Puis quelqu’un le souleva brusquement du sol et le paysage se mit à défiler sous ses yeux.
On le traîna pendant un temps interminable, ponctué d’explosions et des cris des mourants, des blessés que l’on abandonnait sur place. Enfin il reconnut l’obscurité et la fraîcheur familière d’un vaisseau. Les bruits de la bataille s’atténuèrent. Il fut conduit dans une petite pièce qu’il identifia comme l’infirmerie de bord et on l’allongea sans ménagement sur un lit. De grandes sangles noires se déployèrent aux extrémités et lui enserrèrent la taille et les jambes pour l’empêcher de flotter dans la pesanteur réduite. Aussitôt, les draps et la couverture se tachèrent d’une abondante quantité de sang. Il ne distinguait plus que des contours flous et les lumières de la pièce l’aveuglaient. Il devina que quelqu’un s’affairait sur sa hanche, sans doute pour lui poser une prothèse d’urgence qui stopperait l’hémorragie et aiderait la cicatrisation des tissus. Quelques instants plus tard, un homme déboula dans l'infirmerie en courant.
« Général ! s'exclama-t-il. Une centaine d’hommes sont parvenus à monter à bord. Mais les polarians approchent, nous ne pouvons plus attendre les autres.
L'homme qui avait sauvé Maz s'avança alors et ôta le casque de son armure. Il dominait de la tête et des épaules tous les autres Gingers présents dans la pièce. Avant même qu'il ne prenne la parole, Maz avait reconnu son ange gardien. Il s'agissait de Feris Park, amiral de la flotte irotienne.
- Le général est blessé, soldat. Il n'est pas en état de vous répondre. Jusqu'à son rétablissement, je prends le commandement des opérations. À quelle distance estimez-vous l’Ultima Solaris ?
- Pas plus de quatre ou cinq heures de vol, amiral. Si on met les gaz à fond et en priant pour ne pas tomber sur un bataillon de chasseurs ennemis.
- Êtes-vous parvenus à localiser le Gardien ? Nous aurions bien besoin d’un appui supplémentaire pour couvrir notre repli.
- Non, amiral. Aucune nouvelle du destroyer de l’amiral Tyu. Je crains qu’il ne soit tombé aux mains de nos ennemis ou qu’il n’ait dû battre en retraite.
- Très bien, alors on décolle. Retour au bercail, et tant pis pour ceux qui sont restés en bas. »
La porte de la pièce claqua et celle du sas fit de même, laissant Feris Park seul à côté de Maz. Un instant plus tard, le grondement des moteurs retentit et la corvette s'éleva dans les airs. Une dernière série d’explosions marqua le décollage, mais aucune ne l’endommagea sérieusement. Les propulseurs s’activèrent dans un chuintement et le vaisseau s’élança en direction de l’immense destroyer irotien qui stationnait en orbite. Sur le lit médical, le général blessé était à présent secoué par des délires fiévreux.
« Tiens bon, Maz ! grogna Feris en saisissant la main de son supérieur. Par pitié, ne me lâche pas maintenant ! »
Annotations