Chapitre 3 - Oni Keltien

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Lorsque Feris accepta le contrat, le général éclata de rire et vida son verre d’un trait. Le soulagement se lisait sur son visage.

« T’es quand même un sacré barjo, tu sais. Tu étais amiral de la flotte la plus puissante de l’Empire mais tu as décidé de quitter l’armée. Tes parents t’ont légué une entreprise de nanotechnologies qui génère des milliards de bénéfice chaque année, mais tu as renoncé à leur héritage. Et tout ça pour quoi ? Traquer des psychopathes avec ta bande de baltringues et lutter contre le crime organisé. Ma parole, t’es complètement ravagé.

Le mercenaire laissa échapper un sourire amusé.

  • Je sais, on me le dit souvent. Mais que voulais-tu que je fasse d’autre ? Tu m’imagines en train de cirer les pompes des ambassadeurs à la cour impériale ? Collectionner des vaisseaux de course, participer aux soirées mondaines et fonder des refuges pour la biodiversité ?

Le général s’esclaffa bruyamment.

  • Tu vois, même toi tu trouves ça ridicule. Tu l’as dit toi-même, Maz, je suis un homme de terrain. J’ai besoin d’action et d’adrénaline, de me sentir vivant. Au moins quand je risque ma peau contre la mafia, je fais quelque chose d’utile et je m’éclate comme un fou !

Park s’était redressé et faisait les cent pas dans la salle. Lorsqu’il parlait de sa nouvelle vie et de sa troupe de baltringues, son regard s’illuminait comme celui d’un gosse le jour de son anniversaire.

  • J’apprécie ton enthousiasme, le tempéra Maz, mais cette affaire ne sera pas une partie de plaisir. La Mort Rouge est une tueuse redoutable et Willys ne se laissera pas piéger facilement. J’ai fait appel à toi car tu es le meilleur dans ton domaine, mais je te préviens Feris : hors de question que les choses dérapent. Je ne veux surtout pas qu’une guerre des gangs éclate sur Irotia dans le contexte actuel.
  • Ne t’en fais pas pour ça, j’ai compris le topo. Mon groupe s’appelle les baltringues mais nous sommes des professionnels. On sait se tenir à carreau.
  • Je l’espère pour toi. Si jamais ça tourne au vinaigre, toi et ta bande de guignols irez purger une peine de travaux forcés dans les mines de Dortamund. Je me suis bien fait comprendre ?

Feris lui lança un clin d’œil.

  • Tes encouragements m’avaient manqué, tu sais ?

Le général éclata de rire et but une longue lampée d’alcool pour se calmer. Son ami lui jeta un regard réprobateur.

« Vas-y doucement avec ce truc, Maz. Il n’est pas encore midi.

  • Tais-toi donc, espèce de rabat-joie ! Présente-moi plutôt ton équipe de choc, je veux savoir en détail qui je m’apprête à embaucher pour ce boulot.
  • Tu es sûr ? Je peux t’envoyer leurs dossiers sur un canal crypté si tu préfères. Tu as sûrement mieux à faire que de m’écouter palabrer pendant des heures.
  • Balivernes ! s’exclama Maz. Tu sais ce qui m’attend de l’autre côté de la rue ? Une horde de journalistes qui vont m’assaillir de questions interminables et les familles des victimes que je vais devoir écouter pleurer. Sans parler du régent civil qui va tout faire pour retourner l’opinion publique contre moi parce qu’il rêve de m’évincer. Alors par pitié, tâche de rendre ta présentation longue et intéressante ! »

Le mercenaire haussa les épaules et sortit un terminal électronique de sa veste. Lorsqu’il l’alluma, un projecteur holographique diffusa une lueur blafarde au centre de la pièce. Parut alors la silhouette d’un homme fin et très grand, vêtu d’une longue tunique de cuir et au visage encadré par des cheveux filasses.

« Lui, c’est Feris Park. Ancien amiral des armées, vétéran des commandos d’élite, chef du groupe des baltringues. La rumeur dit qu’il est fort comme un colosse, doté d’un humour ravageur et beau comme un dieu. Un type absolument génial, si tu me demandes mon avis.

Le général poussa un soupir à la fois amusé et exaspéré.

  • Tu sais Feris, je suis à deux doigts de souhaiter que la Mort Rouge réussisse à te tuer.

L’intéressé ricana.

  • Merci du compliment, ça me va droit au cœur. Je continue ? »

Il glissa son doigt sur l’écran et l’appareil dessina une femme de taille moyenne aux cheveux d’un roux flamboyant. Elle n’était pas vraiment jolie mais son apparence atypique captait immédiatement l’attention. Son visage était couvert de fard blanc, à l’exception de ses yeux noirs rehaussés d’un liseré rouge au niveau des paupières. Ce maquillage lui donnait l’allure d’une poupée de porcelaine, n’eut été son regard de prédatrice et l’aura de danger qui émanait d’elle. Au premier coup d’œil, Maz reconnut en elle une combattante d’exception. Sa posture nonchalante était une garde de hajiri, un art martial de défense difficile à maîtriser. Elle portait un piercing modulable à l’oreille, une ample tunique sombre et un pantalon mauve évasé au niveau des chevilles à la mode édonienne. Sur ses doigts fins s’étalait une collection de bagues et d’anneaux dont la teinte patinée rappelait celle de l’ambre blanc. Un pistolet seize-coups et un cran d’arrêt glissés à sa ceinture complétaient ce portrait détonnant.

« Voici Ophélia Liseth, commenta Feris. Tout le monde l’appelle Phylie. C’est une experte des missions d’infiltration. Elle a ses entrées dans les mafias de la capitale. Tous les mois, elle nous livre des informations précieuses sur leurs activités et l’identité des fonctionnaires à qui les padrόns ont graissé la patte. Personne n’est au courant qu’elle travaille pour moi.

  • Je l’imagine mal jouer les espionnes dans le milieu de la pègre avec un look aussi original.
  • Ne te fie pas à son allure excentrique, Maz. Phylie est incroyable. Elle se glisse dans n’importe quel rôle comme une seconde peau. Je la connais depuis des années et elle ne cesse de me surprendre. Tu n’as pas idée des risques qu’elle court pour nous déterrer des infos. Avec elle, tu connaîtras même la couleur du caleçon de Willys quand il se réveille.
  • Dois-je en conclure qu’elle est la reine des missions sous couverture ?

Le mercenaire laissa échapper un rire narquois.

  • Pas mal ! Tu vois Maz, tu sais faire de l’humour.
  • Je m’abaisse à ton niveau, même si je dois sacrifier quelques neurones pour ça. »

Le baltringue sourit et bascula vers le profil suivant. Le projecteur imprima la silhouette d’un véritable colosse qui approchait les trois mètres de haut et devait peser au bas mot un demi-quintal. Son visage mangé par une barbe rêche et couturé de cicatrices aurait pu être effrayant s’il n’affichait pas une bonhommie enfantine.

« Je te présente Arund Terk, mon bras droit. Sa carrure impressionnante dissimule un cœur d’artichaut et un caractère en or. C’est l’homme le plus adorable du monde, à condition de ne pas faire de mal aux gens qu’il aime. Dans le cas contraire, et bien… Disons qu’il vaut mieux avoir souscrit une bonne assurance vie.

Le général observa le reflet du géant avec une expression perplexe.

  • Ce type est une montagne ! s’exclama-t-il. Je n’ai jamais vu personne avec un physique pareil ! Sa mère l’a allaité aux stéroïdes et aux hormones de croissance ?

Le mercenaire lui répondit d’un sourire navré.

  • Tu n’es pas loin de la vérité, mais son histoire est encore plus triste. Arund te la racontera un jour s’il le souhaite, en attendant j’estime que ce n’est pas à moi d’en parler. »

Maz acquiesça et fit signe à Feris de continuer. Cette fois, le projecteur dessina un homme sévère aux cheveux bruns coupés courts, doté d’un front haut et de pommettes saillantes. Visage taillé à la serpe, menton fin rasé de près, il portait des lunettes à écailles devant ses yeux gris d’une profondeur indéchiffrable. Vêtu d’un complet marron qui lui donnait l’allure d’un intellectuel sans le sou, le quarantenaire possédait pourtant un certain charisme et portait une épingle en argent à l’extrémité de sa boutonnière. Lorsque Maz le reconnut, son regard s’écarquilla.

« Attends une minute, ce ne serait quand même pas le professeur Anabellis ?

  • En personne.
  • Par l’Empereur, ce type est un véritable génie ! Il a créé la dernière génération de propulseurs de nos vaisseaux et conçu l’intelligence artificielle que toute l’armée utilise ! Ne me dis pas qu’il travaille pour toi ?
  • Techniquement, il est directeur du département recherches et innovations de Park Industries. C’est lui qui gère la fortune et la boîte de mes parents. Mais il m’accompagne aussi sur le terrain à titre de consultant. »

Maz était sur le point de demander ce qu’un scientifique de renom tel qu’Anabellis pouvait apporter à son équipe de mercenaires, mais il n’en eut pas le temps. La porte du bureau s’ouvrit avec fracas, laissant apparaître une jeune femme d’une beauté saisissante.

Elle avait le visage fin, un nez légèrement busqué et des cheveux d’un noir de jais qui descendaient en cascade le long de son dos jusqu’aux hanches. Elle était entièrement vêtue de rouge : un tailleur serré, un pantalon ample et un manteau à col large fermé par une ceinture de cuir noir. Intrigué, Feris apprécia sa silhouette svelte, son port gracieux et son charme subtil. Désormais trentenaire, Oni Keltien ne ressemblait plus du tout à l’adolescente espiègle qu’il connaissait autrefois. Il se dégageait d’elle un mélange de confiance et de détermination que renforçait son regard inflexible hérité de son père.

« Ah, te voilà Oni chérie ! s’exclama Maz avec un sourire béat.

La jeune femme se tourna vers lui, avisa les cadavres des bouteilles qui gisaient au pied de sa chaise et demanda d’une voix tranchante :

  • Encore bourré, p’pa ? Je croyais que le médecin t’avait interdit l’alcool ?
  • Bah ! Ce docteur n’y connaît rien. J’ai bu un ou deux verres parce que j’avais besoin d’un petit remontant, pas de quoi en faire un drame. Je me sens parfaitement bien.

Oni fronça les sourcils d’un air réprobateur mais ne fit pas de commentaire. En revanche, ses yeux émeraude se fixèrent dans ceux de Feris et elle darda sur lui un regard méprisant.

  • Et lui, qu’est-ce qu’il vient faire ici ? Je croyais que l’existence de cette pièce devait rester secrète ?
  • J’ai mes raisons, grogna le mercenaire. Et je crois qu’elles s’intitulent « mêle-toi de tes oignons ».

La fille du général fit un pas menaçant dans sa direction, mais son père intervint d’une voix autoritaire :

  • Du calme, Oni. Inutile de t’en prendre à Feris, il est là sur mon invitation.
  • Évidemment ! cracha-t-elle. J’aurais du m’en douter ! C’est lui qui t’a convaincu de déclarer cette guerre stupide, pas vrai ? Ce type sème le malheur partout sur son passage !
  • Si tu as un problème avec moi, gamine, viens me le dire en face.

Le mercenaire se redressa de toute sa hauteur, s’avança vers Oni et posa sur elle un regard glacial. Il la dominait de la tête et des épaules, pourtant la jeune femme ne se laissa pas intimider. Elle répliqua d’un ton acerbe :

  • D’accord, par quoi on commence ? T’es un homme toxique et lâche, Feris Park. Des centaines de soldats ont trouvé la mort par ta faute, et au lieu d’assumer tes erreurs devant un tribunal, tu t’es enfui dans la capitale pour te réfugier derrière une armée d’avocats véreux payés par tes parents.
  • C’est faux. Tu n’as aucune idée des raisons qui m’ont poussé à l’exil.
  • Tu as détruit ma famille, espèce de salopard ! coupa-t-elle avec véhémence. À son retour d’Edidris, mon père était un homme brisé. Il s’est mis à boire pour chasser la douleur et ses horribles cauchemars. Ça l’a rendu violent et insupportable ! Ma mère a vécu cinq années d’enfer pour l’aider à remonter la pente, elle en est morte de chagrin ! Quant à ma sœur, elle a quitté la maison et refuse de nous adresser la parole ! Tout ça, c’est entièrement ta faute !

Le mercenaire poussa un sifflement sonore.

  • Et bien, quel palmarès ! s’exclama-t-il. Ton père a raison, jeune fille, il faut que tu te calmes. Tu es en train de tout mélanger. Je suis responsable de bien des malheurs, mais la mort de ta mère et l’alcoolisme de Maz n’en font pas partie.
  • Ah oui ? Et qui d’autre serait à blâmer, alors ? Qui a désobéi aux ordres de mon père et l’a laissé affronter les polarians tout seul ?
  • C’est vrai, tu as raison. Je ne suis pas fier d’avoir laissé Maz foncer dans cette embuscade. Mais ça ne fait pas de moi le bourreau de ta famille pour autant. Crois-en mon expérience, Oni, quand on a connu l’enfer de la guerre on n’en ressort jamais indemne. Même le plus endurci des soldats pourrait se mettre à picoler comme un trou après avoir vécu un truc pareil.
  • Mais c’est de ta faute si mon père a perdu cette bataille, Feris Park ! Si tu n’avais pas été là, les polarians…
  • Lui auraient quand même tendu un piège. Écoute, gamine, je comprends ta colère et ton besoin viscéral de trouver un coupable. Ce qui est arrivé à Maz, c’est moche et c’est injuste. Et je suis sincèrement navré pour le décès de ta mère. Mais tout ça, ce sont les conséquences de la guerre, rien de plus.

La jeune femme serra les poings à s’en bleuir les phalanges. Ses yeux lançaient des éclairs, la tension était électrique.

  • Tu ne feras plus jamais de mal à mon père, ordure ! prévint-elle d’un ton acerbe. Je te donne une heure pour foutre le camp d’Irotia, sinon je te promets que tu vas le regretter !

Maz se leva soudain. Même ivre, le vieux général tenait encore bien debout. Il s’avança d’un pas lourd jusqu’à sa fille, lui tordit le poignet et la foudroya du regard.

  • Sors d’ici, ordonna-t-il d’une voix glaciale.
  • Pardon ?
  • Dehors ! explosa-t-il en postillonnant sur son visage. Et la prochaine fois que tu oses menacer Feris devant moi, je te fais exécuter, tu m’entends ?

La jeune femme se dégagea d’un geste rageur et tourna les talons avec panache. Elle rejoignit l’entrée, prête à quitter la pièce. Au dernier moment, elle pivota pour les défier du regard et lança crânement :

  • Feris Park, je te jure que j’aurai ta peau un jour.

Puis elle sourit à son père et ajouta d’une voix affectueuse :

  • Au fait, bravo pour le discours, p’pa. C’était sensass’.

Et elle claqua la porte derrière elle.

  • Ça alors, quel caractère ! s’exclama Feris lorsqu’elle fut sortie. Ta fille a un tempérament de feu !
  • Oui ! s’amusa Maz. C’est tout le portrait de son vieux père ! »

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