Chapitre 3

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Ne critique jamais quelqu’un, avant d'avoir marché un mile dans ses mocassins.

Proverbe Amérindien

Seule dans ma chambre, je suis perdue. Mes pas résonnent dans la grande pièce d’au moins cinquante mètres carrés. Impression de vide malgré les meubles massifs de renaissance espagnole. Je suis frigorifiée. Vivement que je récupère ma valise, même si ça implique de revoir l’un des deux rustres. En attendant ce funeste moment, je me lance dans un état des lieux de mon Far West home.

La déco est entre style western et mexicain. Les murs sont jaune paille pour compenser le sombre mobilier. Sur la droite, un imposant lit king-size à baldaquin. De chaque côté, une haute table de chevet. Dans leur prolongement, au fond de la pièce, une armoire du même style. À gauche de la pièce, sur toute la longueur, s’étend un plateau sous lequel ont été glissées une commode et des étagères de rangement. En son milieu, erre un fauteuil en osier. Au-dessus du plateau, face au lit, un impressionnant miroir rectangulaire. Pas de télévision. Rare aux Etats-Unis.

La salle de bain est accessible par trois marches. La pièce est de bonne taille et lumineuse avec sa double-fenêtre avec vue sur les arbres. À gauche, une longue baignoire équipée d’un simple rideau en plastique blanc, accroché à une barre transversale. À droite, une large vasque encastrée dans un meuble de rangement, sans prétention mais pratique. Au-dessus du lavabo, un miroir carré surmonté de deux modestes appliques. Entre la baignoire et le lavabo, les WC. L’ensemble est couleur-hôpital, contrastant avec le style espagnol de la chambre, mais tout est propre et fonctionnel.

Quand je reviens dans la pièce principale, un grand gaillard solidement bâti apparaît dans l’encadrement de la porte avec mon bagage enclume et un sourire radieux. D’environ cinquante ans, il se dégage de lui une force imperturbable, genre même en pleine tempête il reste serein. Son visage à la Tom Selleck reflète la bonne humeur et la malice. Sous ses gros sourcils grisonnants, ses yeux mobiles ne ratent aucun détail.

Howdy, où je pose your portmanteau ? me demande-t-il d’un ton enjoué, à peine tiraillé par l’effort.

Portemanteau. Il a de l’humour, à moins qu’il ne se moque de moi.

Hi… laissez-la là, lui dis-je en désignant d’un doigt honteux un endroit le long de mur proche de lui.

Okay, se réjouit-il en déposant son fardeau. Puis il retire son chapeau, s’avance de deux grands pas et me tend une main large et franche qui engloutit la mienne. Je suis Mark, le mari d’Elaine.

Je connais maintenant les heureux propriétaires de Silver Pike. D’eux, se dégagent de l’empathie, de la simplicité, de l’harmonie. Aux antipodes des cowboys.

Nice to meet you. Cyrielle.

— Cy…. Cyr…

Je répète mon nom mais devant ses difficultés, je lui propose de m’appeler Sissi, mon surnom quand j’étais petite.

Okay for now, répond-il avec un clin d’œil. Welcome to Silver Pike ! Je vous laisse. Je dois me débarbouiller avant le repas. Il est servi à 19h00 et est annoncé par la cloche.

J’ai juste le temps de le remercier qu’il disparaît déjà. Cette visite éclair me met toutefois du baume au cœur. Il y a au ranch au moins deux personnes que je comprends sans problème.

Je referme promptement la porte et me jette sur ma valise.

Cinq minutes plus tard, je me sens mieux avec l’un des jeans achetés à Phoenix, un épais polo à longues manches, le seul pull que j’ai apporté au cas où. Je n’aurais jamais pensé en avoir besoin en Arizona. Avec les froides soirées de Silver Pike, va falloir trouver une solution de rechange pour le reste de mon séjour. Comment et où ? Douglas ? Elaine devrait savoir.

Très fière, je chausse mes bottes cowgirl toutes neuves, achetées elles aussi à Phoenix, tout comme mon chapeau, que j’enfonce sur ma tête. Coup d’œil dans le miroir. Je ressemble à une cowgirl. Reste à le devenir.

Je vérifie l’heure. Dans trente minutes, c’est le dîner. Je déballerai le reste de mes affaires après. J’ai trop envie de faire un tour du propriétaire.

En sortant, nouvelle surprise, pas de clef sur la porte ! Quand je poserai la question, on m’expliquera qu’ici, il n’y a pas de voleur. Il n’y a jamais eu de vol et si jamais cela devait arriver, vu le nombre d’occupants de cet endroit retiré, le voleur serait vite identifié.

Dehors, la nuit est tombée, la température aussi, salement. Moins de 10°C. Enfin, ici c’est 50°F. Engoncée dans mon chandail de coton, bras croisés, j’expire pour me donner du courage à la lueur de lampadaires plantés le long d’un muret qui délimite l’espace vie du reste du ranch.

Mes pas crissent sur le sol dur de la langue de terre battue qui traverse la ferme. À quelques mètres, des bribes de voix s’échappent de la salle à manger éclairée. Droit devant, je distingue des hangars et des remises. Des géants de tôle, bois et briques, qui me rappellent le décor de la Petite Maison dans la Prairie, en plus grand. Charles Ingalls, où es-tu ?

Au-dessus de ma tête, le ciel du désert de Sonora se déploie comme un miracle sans cesse renouvelé. Une fresque vivante sur fond d’un noir profond, infini, où une myriade d’étoiles est née, rayonnant chacune à leur rythme, enveloppées de voiles pastels de bleu poudre, de rose fané et de jaune pâle. La Voie Lactée dans toute sa beauté, telle une arche diffuse, suspendue au-dessus du désert.

J’inspire, émerveillée.

Au loin, un chien aboie, seule trace animale que je détecte à la ronde. Pas de grillon, ni de hennissement, ni de meuglement. Aucune odeur particulière non plus, hormis le parfum de la terre sèche, des relents de la trace brûlante du soleil, disparu depuis une heure.

Poursuivant mon exploration, j’aperçois à vingt mètres une arène de béton d’environ cinq mètres de diamètre. Au centre, pêle-mêle, un tas de bûches de bois de différentes tailles. À l’extérieur du cercle, des troncs d’arbres posés à la verticale et l’horizontale.

J’aimerais m’aventurer plus loin vers le paddock, le corral ou remonter la langue de terre qui se perd dans le noir, mais je n’ai pas de lampe-torche.

Tout à coup, une cloche s’agite derrière moi, faisant surgir des silhouettes sous l’appentis. Le repas est prêt. Je souris mollement en me dirigeant vers la salle commune, pensant à mon entrée en scène devant les autres pensionnaires. Seront-ils comme les cowboys ou les Callahan ? Passage sur le gril en vue.

Lorsque je referme derrière moi la porte vitrée à double battant, des Yankees me balaient du regard de la tête aux pieds, sans interrompre leur conversation néanmoins. Le gril s’allume dans un arôme mêlé de viande aux herbes et de pain cuit au four.

La salle à manger est imposante avec ses soixante mètres carrés tout en longueur, habillés de lambris aux teintes chaudes. Aux murs, des cadres de photos sépia immortalisent des cowboys d’antan, au travail dans les champs ou posant avec leurs chevaux. Entre deux portraits, des outils agricoles du siècle dernier enrichissent la décoration. Ici et là, Une fourche, une faux, un battoir.

Sur la gauche, un large comptoir court en parallèle du du mur, derrière lequel Elaine s’affaire tout en bavardant avec un couple. Le plateau, organisé avec méthode, aligne des piles d’assiettes, des paniers en osier, quelques casiers, et plus loin, des saladiers débordant de couleurs.

Au centre de la pièce trône une grande table rectangulaire en bois brut, aussi massive que rustique. Ses pieds épais d’au moins quinze centimètres soutiennent un plateau large de plus de deux mètres. Elle pourrait accueillir douze convives sans se serrer, mais seules neuf chaises la garnissent.

À ma droite, juste à l’entrée, une desserte. Dans son prolongement, une baie vitrée et dans le recoin, des chaises empilées. À l’extrémité de la pièce, une grande ouverture mène au salon, dont on aperçoit les murs en crépi beige et le vague manteau d’une cheminée en pierre.

Mes camarades de jeux sont cinq, disséminés au travers de la pièce. Certains ont une bouteille de bière à la main. Je note la présence du cowboy replet qui m’a accueillie dans le champ. Il discute avec une femme frisant la cinquantaine. Un type maigre aux cheveux gris acier, rasés court, se tient à l’écart, comme en observation. L’Indien est absent.

Elaine, me voyant, accourt. Est-ce que ma chambre me plaît ? Est-ce que je ne manque de rien ? Est-ce que j’ai des allergies alimentaires ? Je m’apprête à lui répondre quand le beau gosse de service fait irruption et fonce droit sur moi, sans un regard pour les autres et sans égard pour sa boss. Elaine ne dit rien ? C’est ça, le blissful ? Je dois changer de dico.

— Jeff GreatHawk, M’ame. The wrangler, se présente-t-il, une main assurée tendue avec hauteur, au propre comme au figuré, car il est très grand, plus d’un mètre quatre-vingt à n’en pas douter, et vraiment très beau. Les gonzesses doivent se l’arracher. Il sait d’ailleurs l’effet qu’il fait sur les femmes. Il n’y a qu’à voir comment il joue avec ses yeux intenses sur moi. Gonflé, le mec.

— Cyrielle, dis-je en bon français, serrant fermement sa poigne et soutenant son regard.

Il bug sur mon prénom. Petite revanche puérile mais qui fait du bien.

— Appelez-moi Sissi. Plus facile.

Uh… Comme vous voulez, finit-il par répondre sur un ton nu, avec un simple hochement de tête, alors qu’Elaine me précise que le wrangler est aussi chuchoteur.

Le titre est censé m’impressionner ? Vu l’empathie du personnage, je me borne à un great de politesse qui dessine l’ombre d’un demi-sourire à ses lèvres. Puis, il opère un brusque demi-tour pour rejoindre son acolyte. Son attitude marque cependant un subtil réchauffement climatique par rapport à notre premier contact. Autre chose positive, je le comprends. Enfin, plus ou moins, car le gaillard n’articule pas beaucoup. Je vais devoir me concentrer un max pour dialoguer avec lui… si je veux.

Elaine attendait la fin de l’échange pour me présenter à son monde. Je fais connaissance de Doug et Lisa Whitmore, avec qui elle s’entretenait.

Je les situe dans la quarantaine. Ils forment un couple harmonieux, glamour discret. On les imaginerait moins dans un ranch que sur un parcours de golf.

Lui, un mètre quatre-vingts environ, corps soumis au fitness vu ses pecs bien dessinés et ses épaules fermes. Avec ses mains sur les hanches et son sourire Ultrabright, il affiche une confiance en lui décontractée, qui fait hésiter entre envie et moquerie.

Elaine me précise que Doug est chef d’entreprise, statut dont il est fier à voir sa posture coqueresse… qui se comprend en écoutant les détails que livre Elaine.

— Il a monté tout seul sa chaîne de magasins. . Vous connaissez peut-être… Eastelier. Doug ne le dira pas, mais c’est un petit génie. Il a réinventé le design “accessible mais chic”. Il a commencé avec un magasin à SoHo, puis un autre à Brooklyn Heights… Et maintenant, avec sa femme Lisa, ils en possèdent une dizaine, right ?

— Douze, exactement, répond l’intéressé d’une voix rocailleuse, avec un sourire un peu raide, presque forcée. Mais soyons honnêtes, pour le design, je me suis juste inspiré de la philosophie scandinave. Et le nom, Eastelier, c’est Lisa qui l’a trouvé.

Son visage courtois et avenant cache mal un léger stress, avec sa mâchoire serrée, quand il ne parle pas. Symptôme du businessman qui ne parvient jamais tout à fait à décrocher ?

Elle, un mètre soixante-quinze, gracile. Une beauté asiatique dont elle prend soin. Sourire Hollywood. Maquillage étudié pour un effet naturel. Visage doux et fin, encadré d’une longue chevelure de soie ébène. Sa posture affectée lui vaudrait l’étiquette de snob hautaine si elle n’était contredite par la lueur d’humanité de ses yeux rieurs, qui cherchent, eux aussi, à masquer une crispation derrière un battement trop rapide des paupières, comme si elle chassait une pensée intrusive.

— Doug, corrige-moi si je me trompe, mais on peut dire que Lisa est l’âme d’Eastelier,, isn’t she ?

— Exact, confirme très vite le mari. Moi, je produis. Elle imagine. C’est grâce à elle que nous avons fidélisé une clientèle de New York à Washington. Même nos collections portent ses coups de cœur. L’une s’appelle Avignon.

Pour une surprise…

— Oui, j’ai adoré cette ville historique, majestueuse, conforte Lisa de sa voix sucrée. Vous avez un beau pays, Sissy.

Je la remercie avec tact, en soulignant que tous les pays ont leur beauté, avant de rebondir sur son métier, proche du mien, le marketing.

Lorsqu’Elaine apprend que je travaille dans le marketing, elle s’empresse de me demander si je connais Facebook. Silver Pike serait-il touché par la crise ? J’ai constaté ses ravages à Phoenix lors de ma séance shopping western. Prix cassés, boutiques quasi vides. Pourquoi Silver Pike serait épargné ? Facebook peut en effet les aider.

Cette année, la firme s’exporte en français, allemand et espagnol. Le Live Feed a été introduit pour concurrencer le fil d’actu de Twitter. Dorénavant, on peut aussi créer des pages d’entreprises et des groupes.

Une fonctionnalité que les équipes d’Obama et de Mc Cain n’ont pas loupé pour leur campagne électorale. J’espère que Facebook surveille bien ce petit monde, qu’ils ont bien calculé les risques. Avec la loi américaine de 1996[1], n’importe qui dans le monde peut publier n’importe quoi, sans risque. Quand il s’agit de défendre une noble cause, super mais quid des voleurs, des pédo-criminels, des extrémistes, des harceleurs, les terroristes ? Ces plateformes sont le miroir grossissant de l’humanité, dans son pire et son meilleur. Avec ces nouveautés, pas étonnant que le nombre des utilisateurs Facebook ait doublé en un an. Cent vingt millions de personnes dans le monde.

Bonjour aussi les revenus publicitaires pour tous les géants de la Silicon Valley, qui enrichissent leur plateforme d’applications parfois douteuses, comme Facebook Beacon[2] . Bonjour, les données récoltées ! Pour leurs statisticiens, c’est open bar pour établir des profils de citoyens et la constellation de leurs connexions, pour définir des tendances politiques ou économiques, qu’ils pourront revendre à des organisations commerciales ou partageront avec le FBI ou la NSA, à leur demande.

Mais Silver Pike est loin de ces considérations. Ils n’ont besoin que de clients. Si je peux apporter ma petite contribution, pourquoi pas ? Blissful.

I’ll see quand on pourra le faire, me dit Elaine, après lui avoir précisé de prévoir deux heures pour la former.

Doug et Lisa me souhaitent une cordiale bienvenue avec une sobriété qui m’étonne. Rien à voir avec l’accueil dithyrambique que me réservent d’ordinaire les Américains, qui enveloppent l’inconnue que je suis d’accolades chaleureuses, accompagnées de Sweetie sucrées, dégoulinants comme si j’étais un être cher qu’ils n’ont pas vu depuis longtemps. Chaque fois, j’ai la pénible sensation que mon espace personnel est envahi. Mais chez moi, fait-on mieux avec nos bises ? Trois, comme un impair. Ici, ça ne leur viendrait jamais à l’idée d’embrasser les joues d’un stranger.

Elaine m’entraîne ensuite auprès de Eldon McCrae, le cowboy réceptionniste de la prairie. Elle me le présente sous la surveillance tour de contrôle du murmureur. De taille moyenne, les épaules robustes et trapues, légèrement voûtées, la silhouette un peu empâtée, le sexagénaire a, derrière ses lunettes rondes, les mêmes yeux scrutateurs qu’à notre rencontre.

Sa peau est tannée comme une vieille selle, parsemée de quelques taches brunes et de fines cicatrices. Ses cheveux roux sont aujourd’hui un mélange de gris et de cuivre fané.

Il est l’archétype du vieux cowboy âgé, rusé, râleur mais courageux, tel Stumpy dans le western Rio Bravo, avec John Wayne et Dean Martin. Il porte une chemise en jean défraîchie. A la ceinture de son pantalon, une grosse boucle gravée et à son cou, un cordon de cuir usé, auquel est accroché un anneau.

— Voilà Eldon McCrae, mais tout le monde ici l’appelle Dusty. Lui seul sait pourquoi… parce qu’honnêtement, il n’a rien de poussiéreux, ni dans son allure ni dans sa tête. Là-dedans, ça turbine, crois-moi. Si Mark et moi sommes les propriétaires de Silver Pike, lui en est l’âme. Trente ans de ranch dans les bottes, trois générations dans les jambes… et à peu près autant d’affection pour les démocrates que pour les serpents à sonnette.

Stumpy-Dusty sourit avec malice, son œil noisette glissant brièvement sur Elaine, avant de revenir sur moi avec la même insistance que dans le pré. L’allusion au crotale m’en fait conclure que Dusty est républicain… acharné ?

— Il est notre contre-maître. Il fait tourner toute la logistique. Mais rassure-toi, malgré nos désaccords, nous nous entendons à merveille, n’est-ce pas Dusty ?

Le vieux cowboy hoche lentement la tête, en silence, sans me quitter des yeux. De sa main droite, large et fendillée, aux ongles pas nets, il lisse lentement sa moustache en brosse, poivre et sel, avec le même sourire amusé que dans le champ. Fidèle à lui-même, il se contente d’un signe de la tête pour me saluer, sans qu’aucun mot ne sorte de sa bouche boudeuse. Message reçu cinq sur cinq.

Elaine se tourne vers la femme à ses côtés. Marianne Delaney, très fière de son Colorado natal, aussi vert et vallonné que ma Suisse, entre lacs et montagnes. Petite, bien en chair, elle se balance sur ses pieds, d’avant en arrière, bras croisés, donnant presque l’air de s’excuser d’être là. Elle porte un large pull aux couleurs aussi douces que sa voix et son rire. Son regard chaleureux et pétillant et ses joues rebondies m’inspirent l’image de Flora, Pâquerette ou Pimprenelle de la Belle aux Bois Dormants. Impossible de ne pas se sentir à l’aise en sa compagnie.

— Marianne est notre fée des chiffres. Tout comme Dusty, elle fait partie des murs. Son père était le meilleur ami du vieux John, l’ancien propriétaire. Elle a tenu les comptes de la famille pendant des années. Quand on a racheté le ranch, il était impossible de nous passer de ses services. Elle connaît tout l’historique de la propriété et c’est une véritable pro, redoutable avec une calculatrice. Rien ne lui échappe.

Marianne rougit devant les compliments. Conclusion, Dusty et Marianne sont la mémoire du ranch.

— Assez parlé de moi, répond l’intéressée avec un petit rire gêné. Bienvenue à Silver Pike, ma belle. Tu verras, ici, le mot blissful prend tout son sens.

Puisqu’elle le dit…

Elaine m’entraîne vers le dernier inconnu, celui qui ne m’a pas lâchée des yeux depuis mon arrivée, telle une ombre qui plane sur l’assistance. Calé dans un coin de la pièce, Archie Littlefield a des allures de vieux loup solitaire. Dos légèrement voûté, sec comme une trique, tanné et musclé par une vie à l’extérieur. Son visage taillé à la serpe, à la mâchoire carrée et aux pommettes saillantes, porte les stigmates de la dureté du désert. Peau cuivrée, rides profondes, taches brunes et cicatrices anciennes.

Sa tenue impeccable surprend, avec sa chemise repassée au cordeau et ses bottes lustrées. Saisissant contraste entre soin maniaque et rudesse sauvage.

— Et voici Archie, notre encyclopédie vivante du désert… et notre sentinelle… infaillible…

Il me salue d’un simple signe de tête, sans me donner lui non plus la chance d’entendre sa voix. Son regard, bleu pâle, me dévisage avec une attention difficile à lire. Curiosité ? Méfiance ? Un mélange des deux… je ne saurais dire.

Sans surprise, ils buttent tous sur mon prénom. Nous nous en tiendrons à Sissi, donc.

Mark fait à cet instant son entrée avec un « Hi ! » tonitruant qui fait sourire tout le monde. Elaine secoue la tête en riant d’un air de dire « grand gamin, va ! ». Il s’approche de nous, prend sa femme par l’épaule et l’embrasse sur les cheveux avec affection. Elaine lui arrive difficilement sous le bras. Le contraste entre eux est comique. Un géant solaire et une souris malicieuse.

Nous sommes au complet si j'ai bien compté le nombre de chaises autour de la table et bien compris les propos d'Elaine, en me guidant vers ma chambre tout à l'heure.

Mark s’inquiète si je suis bien installée et me promet un régal avec la cuisine de sa femme qui le rabroue gentiment, gênée et ravie du compliment. Il espère que j’apprécierai le vin californien.

Okay, mission intégration. Je ne suis pas chauvine. La France n’a pas le monopole du bon vin. La Suisse est même la terre d’origine du chasselas. Premier test réussi.

Elaine a repris sa place derrière le comptoir et nous invite à nous servir. Marianne m’explique la marche à suivre. Le service se fait de la gauche vers la droite. En première ligne du comptoir, une immense corbeille déborde de petits pains ronds, à côté des couverts et des serviettes. Juste après, les assiettes empilées. Au menu, travers de porc à l’américaine accompagnés de riz et de maïs, salade de pommes de terre et pain à la viande. Le porc ne me tente pas vraiment avec sa sauce au vinaigre de cidre et au miel. La salade de pommes de terre accompagnée d’une tranche de pain à la viande m’ira très bien.

— C’est tout ce que tu prends ? S’étonne Elaine avec humour lorsque j’arrive à sa hauteur. Tu peux y aller. Il y en a assez pour tout le monde !

— Je n’ai pas l’habitude de manger beaucoup le soir.

You’re not on diet, are you ?

— Non, je ne suis pas au régime, rassure-toi.

— Le livre sur les femmes françaises disait vrai, s’écrie Marianne en me proposant de la tête d’aller nous asseoir.

— Quel livre ?

French Women Don't Get Fat [3], un best-seller sur les secrets des Françaises pour rester minces. Tu ne connais pas ?

— Non.

Can’t believe it ! Il a été écrit par une Française ! Ici, il a un succès phénoménal.

— Eh bien, pas en France. Pourquoi les Françaises seraient attirées par un livre qui parle d’elles ? En plus, le titre ne reflète pas la réalité. Toutes les Françaises ne sont pas minces, crois-moi !

Marianne me dévisage, incrédule et réconfortée. Elle me désigne une chaise à côté de la sienne. Manque de bol, mon voisin de gauche n’est autre que Jeff. Poker face, d’autant plus que l’homme m’étonne dans un nouveau rôle, celui de gentleman, avançant ma chaise et m’invitant de la main à m’y asseoir. Qu’est-ce qui lui arrive ? Est-ce la présence de ses patrons qui le rend si aimable ? D’un signe de tête, je le remercie.

Face à moi, les Whitmore. À leur droite, Dusty et à leur gauche, Archie. Deux chaises restent vides à chaque extrémité de la table, celles de Mark et d’Elaine. L’un s’occupe du vin et l’autre arrive avec un plateau chargé de verres à pied, qu’elle dépose avec soin devant nous.

— Je profite encore de quelques secondes de ton attention pour te briefer sur les habitudes de la maison au niveau des repas, me glisse-t-elle en se plantant à mes côtés. Le petit-déjeuner est servi jusqu’à 7h15. Le déjeuner, en général, c’est pique-nique dans les montagnes. Je l’amène dans mon pick-up. Mais demain, tu prendras le lunch ici avec Jeff, puisqu’il est ton instructeur. Je laisserai vos repas dans le frigo. Le soir, tout le monde se retrouve à 19h00, comme tu as vu. Le dîner est annoncé par la cloche, que j’agite quand il est prêt. Voilà, j’ai fini. Je te laisse savourer ton premier repas à Silver Pike.

Pas de long thank you. Elaine n’a pas le temps. Elle tourne les talons et mon voisin de gauche me jette déjà un regard ironique et satisfait du style « Eh oui, tu seras avec moi ». Génial.

Heureusement ou pas, Mark remplace sa femme à mes côtés, une bouteille de vin à la main.

I would be delighted if you would taste this Cabernet. Please.

Française égale œnologue ? Merci les clichés. Si je ne remplis pas le rôle qu’on m’attribue, grosse déception en vue. Alors, jouons le jeu. Ils n’y verront que du feu et seront contents.

Mark, tout fier, remplit le fond de mon verre. Quand il se redresse, tous les regards convergent sur moi. Je plaque un sourire confiant sur mon visage et me glisse dans mon personnage d’experte, respirant les effluves, étudiant à la lumière la texture qui paresse sur les parois du verre que je tourne avec soin. Après quelques minutes que j’estime suffisantes, je trempe enfin mes lèvres dans ce qui se révèle un nectar, qui vaut à mon hôte un sincère « divine » qui le flatte.

Les conversations reprennent, mais le projecteur reste braqué sur moi. Le wrangler me lance des regards narquois qu’il échange en silence avec Dusty.

Est-ce le stress, la fatigue, ou les deux à la fois qui me rendent maladroite ? Je manque de renverser mon verre à pied en le posant sur la table. Je le rattrape de justesse, des éclaboussures de vin atterrissant sur ma main et la table, ce qui me vaut des œillades dirigées.

— Quel réflexe ! S’amuse Marianne avec un grand sourire amical.

— Je dirais plutôt quelle maladresse. L’une de mes tares.

J’ai du mal avec ces gaucheries, qui m’ont déjà valu des moments mémorables, même si, avec les années, je me rends compte qu’elles favorisent mon capital sympathie… auprès des gens intelligents, cela va sans dire.

— Tare…. me répond Lisa, avec sympathie, n’exagère pas.

— Merci… mais tout dépend du type de bourdes.

— Exemple ?

— Oh, poser une question gênante ou débile au mauvais moment, le truc qui met tout le monde mal à l’aise. Ou encore, ouvrir si brutalement une porte qu’elle atterrit en pleine face de quelqu’un d’important. Ça m’est arrivé un jour avec une star de football.

— C’est vrai ? Me lance ma voisine tour à tour étonnée, amusée et embarrassée pour moi, tandis que les autres, sauf les Callahan toujours en plein rush, me regardent avec une sorte de prière sur le visage du style « pourvu que ça ne lui arrive pas ici ».

— Tant qu’il n’y a pas de blessé, c’est le principal, me soutient Mark en s’asseyant en bout de table, à ma gauche, avec un clin d’œil complice.

— Oui. Même le ridicule ne tue pas. La preuve, je suis encore vivante.

Indeed, confirme Lisa avec un intérêt que je n’arrive pas à définir. Mais les circonstances comptent, néanmoins. Imagine que ta star de football ait été le principal donateur d’un gala de charité.

Je ne crois pas que ma bévue eût changé quoi que ce soit.

En l’occurrence, le footballeur en question était l’invité d’honneur d’une soirée de gala et il a fini par se marrer de la situation.

Ce n’était pas gagné au départ. La porte qu’il venait de se manger par ma faute était la porte pare-feu du parking du palace où le gala était organisé par une amie, qui m’avait ajoutée à la liste des invités.

Il entrait dans le parking, j’en sortais. Par chance, nous étions seuls. Zéro témoin. Je l’ai inondé d’un flot d’excuses en lui tendant un mouchoir en papier pour essuyer le sang qui coulait de son nez, essayant aussi d’évaluer l’étendue des dégâts. Mais il levait les bras en tournant la tête, répétant sur un ton revêche « ça va, je vous assure !». En fait, il ne voulait pas que je le reconnaisse. Mais là-dessus, cool. Je déteste le foot et n’y connais rien ni personne. Néanmoins, son visage m’était familier. J’avais dû le voir en coup de vent à la télévision sans savoir qui il était. Quand je lui ai dit avec naïveté « J’ai l’impression qu’on se connaît. On ne s’est pas croisés quelque part ? », il s’est raidi, pensant que je le draguais. Quand il a capté que j’étais sérieuse, il a esquissé un sourire en secouant la tête. « Je ne crois pas ». Et il est entré dans le parking.

Une demi-heure plus tard, auprès de mon amie, j’étudiais la foule qui, un verre à la main, dégustait des amuse-bouche proposés sur des plateaux volants. Soudain, j’ai repéré dans l’assistance l’inconnu du couloir.

— Tu vois le mec là-bas ? C’est celui du parking. C’est bizarre, quand même, le cerveau. Je ne sais pas pourquoi mais je suis sûre de l’avoir croisé quelque part. Où ? Je n’en sais rien.

— Tu plaisantes ? M’a répondu mon amie, les yeux ahuris, s’étouffant de sa bouchée.

Il m’a fallu quelques secondes pour trouver le courage de lui avouer que non, je ne plaisantais pas.

À cet instant, le footballeur s’est dirigé vers nous, attrapant au passage deux flûtes de champagne. Gros stress pour ma copine et moi.

— Je crois qu’on s’est déjà croisé quelque part, non ?

La honte. Lui, mort de rire. Nous avons trinqué et mon amie était soulagée.

Elaine, enfin à table, et Mark sont hilares. Lisa et Marianne, aussi. Doug est… dubitatif et les cowboys naviguent entre rires et confusion. En tout cas, ils ne peuvent plus dire que je me la pète.

Le calme revenu, je remarque que personne n’a touché son assiette. Éducation ou Benedicite ? Pourvu que ce soit la première option ! Je ne me vois pas tenir la main du malotru à ma gauche en remerciant the Lord du repas qu’il nous accorde. Gros soupir intérieur quand Elaine lance un joyeux « Enjoy the dinner ! ».

J’attaque mon assiette en croisant le regard de Mark qui secoue encore la tête d’un rire bienveillant. Nous allons bien nous entendre.

Le pain à la viande est délicieux. Son goût me rappelle celui de la farce dont on garnit les tomates cuites au four. Je félicite Elaine, qui sourit à mon compliment.

— Tu voyages toujours toute seule à l’étranger ? M’apostrophe Lisa. Tu n’as pas peur ?

Combien de fois ai-je entendu cette question ? Mon discours est rôdé. Voyager seule, c’est le moyen le plus sûr d’être en prise directe avec les locals. Quant aux agressions, statistiquement, on a plus de risques de se faire agresser chez soi, sauf en zone de guerre, bien sûr. D’autre part, je prépare mes voyages, me renseigne sur les zones mal famées, les sujets à ne pas aborder, les gestes ou les mots déplacés, etc. Partir à l’aventure à pied, sac au dos et boussole à la main, très peu pour moi.

— Quels sont les pays que tu as visités ? C’est la première fois que tu viens aux États-Unis ?

Je sais que seules les classes supérieures peuvent s’offrir des voyages à l’étranger. L’Américain moyen travaille dix heures par jour. Les classes ouvrières cumulent deux jobs, voire trois, pour joindre les deux bouts. Les congés annuels, la base, c’est deux semaines par an. Trois, au bout de cinq ans d’ancienneté. Leurs économies, c’est pour les soins médicaux, leur retraite et les études des enfants.

Alors, je dose. Je parle de ma chance d’avoir un job qui m’amène à voyager. Je cite des pays d’Europe, ce qui me permet de rectifier leurs notions géographiques, notamment la France et la Suisse. Quant à mes visites dans leur pays, je les justifie par mon job international dans une société américaine… dont j’ai démissionné il y a un mois. Mais ça, ils n’ont pas besoin de le savoir.

Eh oui, le paradis d’antan s’est transformé en manège désenchanté, où pleuvent peaux de banane et coups fourrés. Une jungle où la névrose vous guette, à être sans cesse sur ses gardes devant un mot, l’inclinaison d’une voix, une information lancée à la volée. L’impact des coupes sombres dans les outils de travail sur le moral des collaborateurs ? L’exosphère s’en moque. Un seul mot d’ordre, optimisation financière, à sens unique bien sûr. Leur baguette magique ? La technologie. La vie privée des employés grignotée ? Chacun son problème. Ils ne sont pas contents ? Agitons l’épouvantail des licenciements. Alors, coup de tête, coup de folie ou coup de grâce, j’ai dit « Faites sans moi ».

Dans ma famille, ils me taxent de folle. Quitter un job au titre ronflant et au salaire mirobolant ? Pourtant, mes parents se lamentaient de ma vie à mille à l’heure à tout chronométrer. Le boulot, la maison, les enfants, les courses, les devoirs, même les loisirs. Maintenant, ils angoissent pour mon avenir. Mes deux loulous s’interrogent. Doivent-ils se réjouir de voir leur maman plus souvent ou s’inquiéter pour l’argent ?

What do you do for a living ? Me questionne tout de go Doug, qui m’étudie, mâchoire serrée, comme une bête curieuse, dont il ne sait pas encore ce qu’il en fera.

Ce que je fais dans la vie ? Il veut savoir ma classe sociale ? Je déteste cette expression. Une vie ne se résume pas qu’à son métier. Je respire, je ris, je mange, je pense, je partage, je dors, je m’occupe de mes enfants… quand je peux… Mais bon, je suis en phase d’observation.

Il est temps d’inverser la vapeur. À mon tour de poser des questions.

— Petite question… qu’est-ce qu’un Dude ranch ? J’ai vu le terme sur le site internet où j’ai trouvé Silver Pike.

— Un Dude Ranch, c’est un ranch qui accueille des vacanciers qu’on appelle "dudes", d’où le nom, me renseigne Mark avec un large sourire. Ce sont généralement des citadins qui veulent découvrir la vie de cowboy à travers l'équitation, le bétail, le travail à la ferme, etc. C’est à la fin du XIXe siècle que les premiers ont vu le jour, surtout dans le Far West. Les bourgeois de la côte Est étaient fascinés par l’Ouest sauvaaage…

Son sauvaaaage provoque un sourire sur les visages, moi y compris.

— Ils cherchaient l’aventure authentique. Aujourd’hui, certains dude ranches ressemblent à vos Club Med, version cowboy. Confort, resto, activités à la carte… avec un soupçon de poussière en prime, pour la couleur locale. Certains accueillent jusqu’à deux cent personnes.

Pas vraiment ma came.

— Silver Pike est avant tout un cattle ranch. On vit de nos bêtes, de notre exploitation et pour compléter nos revenus, Elaine et moi, on a développé une activité hospitality pour rencontrer des gens intéressants, d’horizons différents, mais qui partagent nos valeurs.

— Qui sont ?

Je n’allais pas rater l’occasion d’en savoir plus sur leur position politique dans cette région plutôt républicaine. Certains détails m’ont interpelée.

Sur le chemin vers ma chambre, j’ai noté le système de récupération d’eau, les panneaux solaires… Ils seraient écologistes ? Rares aux Etats-Unis, et particulièrement ici, à moins que ces mesures ne soient que pragmatiques, liées aux désert. Gestion de l’eau, préservation des sols, autonomie énergétique pour faire des économies.

La question qui me taraude est de savoir s’ils sont de durs anti-migrants ou non ? Leur blissful sonne bien… mais peut-être n’est-ce pas qu’un mot.

— Eh bien… Je dirais le respect du travail, de la terre… et des gens qui la foulent. Puis, l’entraide et l’engagement civique autant qu’éthique.

Les Whitmore et Marianne hochent la tête avec la même conviction que le ton de Mark. Logique, le New Jersey et le Colorado votenet bleus. Les cowboys, eux, opinent plus lentement, un pli intriguant aux lèvres, comme si l’idée leur paraissait belle, mais inapplicable.

Archie continue à manger, totalement imperméable à la conversation, comme s’il appartenait à un autre monde.

— Ce n’est pas pour rien que notre motto est blissful, ajoute Elaine en m’adressant un regard chaleureux. Notre idée est qu’on peut partager un lieu, une table, un moment, sans se soucier d’où vient l’autre, tant qu’il respecte l’esprit de la maison.

J’en conclus que nous sommes du même bord. Rester humain.

— Ça te va ? me taquine Mark.

— Mieux serait intolérable.

Mon trait d’humour déclenche aurtour de moi des sourires qui me rassurent. Même Jeff et Dusty s’assouplissent. Aurais-je aussi réussi le test auprès d’eux ?

— D’autres questions, Sissy ?

— Oui. Qu’est-ce qu’un wrangler ?

Originally c’était l’homme qui s’occupait des chevaux et de l’intendance pendant les transhumances, répond Jeff sur un ton de guide touristique. Il conduisait le wagon dans lequel on stockait la nourriture, les couvertures, les armes, les munitions, le farrier stuff, etc. Today, c’est le cowboy qui soigne les chevaux.

Si je visualise le wagon, autrement dit le chariot, le farrier… ?

Uhblacksmith ?

Forgeron… Maréchal-ferrant, donc.

Pourquoi me scanne-t-il de ses yeux laser plantés dans les miens et en plus devant tout le monde ? C’en est gênant. Il veut mon dossier médical, mon casier judiciaire, mon extrait de nais-sance, mon arbre généalogique, quoi d’autre ? Allongez-vous et racontez-moi votre enfance ? Les Callahan n’interviennent pas ? Allez Cyrielle, fais le canard avec ses plumes sur lesquelles glissent l’eau sans jamais le mouiller. Focus sur le programme de demain, maintenant que je commence à m’habituer à sa façon de parler.

— Demain, je vais t’apprendre la monte western et comment on trie les bêtes. Ça me permettra de vérifier ton niveau d’équitation et toi, tu te familiariseras à nos techniques. Quel est ton niveau ?

Je lui explique avec mon pauvre vocabulaire d’équitation que je me suis frottée aux différentes disciplines. Jumping, cross, trek, dressage, polo… sans approfondir. Je me débrouille, quoi. Mais je n’ai pas monté depuis de nombreuses années.

We’ll see that tomorrow.

C’est ça, verdict demain. J’appréhende avec cet énergumène mais après tout, je suis la cliente.

J’apprends ensuite qu’on se lève à 6h00. 7h30, on prépare les chevaux. 8h00, on décolle. Exception pour moi demain avec ma formation qui démarre à 8h30. Une demi-heure de sommeil en plus. Cadeau. La journée se termine vers 16h30-17h00 selon le travail.

C’est dingue, le grincheux m’a parlé aimablement, a même esquissé un vague sourire. L’idée me caresse l’esprit de lui balancer « Tu as un accès de fièvre ? ». Mais je me retiens, profite même de la hausse de température pour lui confier ma crainte de ne pas tout comprendre. Je ne connais pas le vocabulaire technique ni leurs expressions locales. Il faudra un peu de patience au début. Après, ça roulera tout seul.

— On verra, déclare Jeff, qui reprend son ton désinvolte lorsque je demande l’heure à laquelle ma journée d’initiation se terminera. Tu parles déjà de la fin de la journée avant d’avoir commencé ?

— Je n’ai pas fini de déballer mes affaires. Si je n’y arrive pas ce soir, j’aimerais savoir quand je pourrai le faire ?

Et toc !

No worries. Demain c’est relax pour toi. Les choses sérieuses commenceront après, ironise-t-il, en se tournant vers son compère amusé.

Leur jeu de cour de récréation me lasse. Marianne et Elaine sont plus intéressantes avec leurs promesses de décors technicolor dans mes randonnées en montagne.

Vingt minutes plus tard, Jeff se lève, suivi de Dusty et d’Archie, assiette et couverts en main qu’ils déposent dans un grand bac près de la porte de la cuisine. Enfilant leurs vestes chaudes alors suspendues à une patère, ils saluent la tablée avec un « See y’all ! » machinal avant de disparaître.

Devant mon air perplexe, Marianne m’explique que ce soir, c’est musique et feu de camp. Voilà la raison du tas de bois que j’ai vu tout à l’heure. Dusty et Jeff sont partis lancer la flambée. Ma première soirée va ressembler à l’une des photos du site, si je tiens le coup. Marianne me conseille de prendre un manteau. Si je n’en ai pas ?

— Il y a des couvertures. Tu en trouveras une pile sur un banc, à gauche de la porte, en sortant.

La vision de mes affaires dans la valise me traverse l’esprit. Elles ne vont pas se ranger toutes seules et après le repas, la fatigue pourrait me tomber sur les épaules. À mon tour, je salue tout le monde et imitant les cowboys, je dépose mon assiette et mes couverts dans le bac.

Dehors, la température est encore descendue. De ma bouche s’échappent des halos de buée. On doit approcher le zéro degré. Je suis transie.

Une grosse pile de couvertures de l’armée bien rugueuses me tend les bras à l’endroit exact que m’a indiqué Marianne. Je ne fais pas de chichis et m’en enveloppe d’une. Direction, ma chambre au pas de charge.

Dans ma suite, il fait bon. Pourtant, je ne vois pas de chauffage. Probablement les épais murs de pierre. Devant ma valise béante, je suis découragée. Aucune envie de la vider. Si les Callahan et Marianne m’ont rassurée sur le blissful, c’est moins le cas des Whitmore et des deux porcs-épics, Dusty et surtout Jeff.

Côté positif, je suis un peu plus rassurée sur ma compréhension de leur anglais. On verra la suite avec le vocabulaire technique et leurs expressions locales. J’en saurai plus demain. Un demain que je ne perçois pas aussi relax que le wrangler a pu le dire.

[1] Loi désignant les réseaux sociaux comme des hébergeurs de contenus personnels, non des éditeurs de contenus maîtrisés, comme les médias traditionnels. Ils ne sont pas responsables de ce qui est publié sur leur plateforme, qu’il s’agisse d’individus, d’associations, de leaders d’opinion, quelle que soit la langue.

[2] Fonctionnalité, lancée en novembre 2007, qui suivait les activités des utilisateurs en dehors de Facebook (achats, navigation, etc.) et les publiait avec un « consentement », noyé dans les mises à jour des conditions d’utilisation.

[3] Les Françaises ne grossissent pas, livre de Mireille Guiliano

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