Chapitre V partie 2
Les portes de la salle du trône s’ouvrent sur une assemblée grouillante de courtisans. Le silence se fait soudain, ils s’agenouillent sitôt Lindelle pénètre.
La pièce est gigantesque – trente mètres de long pour dix de hauteur. De grand pilier en nombre paire soutiennent le plafond voûté – une véritable cathédrale de marbre blanc. D’immenses lustres d’or, parés de pierre précieuses iridescentes, pendent aux plafonds, illuminant l’endroit d’une lumière opaline. Le mobilier de bois rouge tranche avec la pâleur ambiante. D’immenses fenêtres, drapées d’épais rideaux de velours violet, laissent diffusément pénétrer les rayons du soleil. Au fond, une estrade à trois marches, surplombée par des tentures de tissu pourpre, brodées de l’emblème du royaume de Borest – l’arbre d’argent, montent au trône de Fallard dans lequel le Grand Prêtre est assis.
— Ma fille ! Je suis heureux de te revoir, clame-t-il en se levant.
Lindelle s’avance, pose un genou aux pieds du trône de bois rouge, puis embrasse ses mains.
Le Grand Prêtre porte sa tenue de cérémonie – une cape de velours violet brodée de l’emblème de Borest, enfilé sur une toge de laine blanche. Sur sa tête, la fine couronne à l’arbre d’argent est posée, tandis qu’à ses doigts gantés de satin blanc, une multitude d’anneaux, ornés de pierres précieuses multicolores, scintille.
— Je suis heureuse de vous revoir, père, dit-elle en se relevant avec solennité. Malheureusement, la mission que vous m’avez ordonnée est compromise…
— Allons ! Pas de cela pour le moment, mon enfant, coupe-t-il sur un ton faussement enjoué. Profitons de la fête. Elle est en votre honneur.
— Bien père…
Lindelle s’incline avec respect, puis son père frappe dans ses mains, et l’assemblée se remet à grouiller.
—
Tout au long des réjouissances, Lindelle fait bonne figure, présentant ses hommages les plus distingués aux personnalités présente. Le protocole n’a aucun secret pour elle – un art subtil du mensonge déguisé et de l’apparent dédain, camouflé derrière un rire discret. Une performance qu’elle maîtrise à merveille, mais haïe par-dessus tout.
Les convives regagnent leurs quartiers tard dans la soirée, mais Lindelle doit absolument parler à son père. Les nouvelles qu’elle rapporte ne sont pas bonnes, mais son statut de capitaine des Syndaris l’oblige à l’en informer.
Elle frappe à la porte de son bureau, qu’un valet lui ouvre aussitôt.
— Entre, ma fille, lance le Grand Prêtre d’une voix grave.
Elle s’exécute, puis s’assied dans un des fauteuils de velours blanc, face à l’imposant bureau de bois rouge. Le Grand Prêtre fait signe à ses valets de quitter la pièce.
— Nous avons perdu la trace de…
Elle n’a pas le temps de finir sa phrase qu’il la coupe :
— Je sais. Autrement il serait apparu à tes côtés, tout à l’heure.
La lueur vacillante d’un chandelier éclaire la pièce, projetant des ombres sur les colossales bibliothèques qui les entourent.
— Ne t’ai-je pas expliqué à quel point cette clé est dangereuse ? Que nous devons absolument la trouver, ainsi que son porteur, avant qu’ils ne tombent entre de mauvaises mains ? crache-t-il d’un ton glacial.
— Je sais, père, mais si vous m’aviez permis de le lui expliquer, il ne se serait peut-être pas enfui !
— Ne tentez pas de me faire porter le poids de vos échecs, capitaine Lindelle ! l’invective-t-il en se relevant brusquement, envoyant valdinguer son siège. Je ne t’ai pas confié cette mission parce que tu es ma fille, mais parce que tu es cheffe des Syndaris, et que ma confiance en toi était totale ! Cherches-tu à me décevoir ?
— Pardonnez-moi, père… nous repartons à sa recherche demain, dès le lever du jour, répond-elle en baissant la tête.
— Puis-je savoir ce qui t’empêche de repartir tout de suite ?
— Mes frères et nos chevaux doivent se reposer. Les recherches ont été longues et nous n’avons pas dormi depuis trois jours. Nous repartirons demain matin, après une nuit de repos bien méritée, corrige-t-elle sèchement en se levant de son siège.
— Très bien. Toi et tes hommes prendrez cette nuit pour vous reposer. Cependant, tâche de reparaître avec l’élu à tes côtés. Il en va de ta réputation.
Il la chasse d’un geste de la main, un sourire dédaigneux au coin des lèvres. Lindelle serre les poings et acquiesce. Qu’il soit son père ou un parfait inconnu ne change rien – il est avant tout son seigneur.
— Les nouvelles en provenance du mur d’Alandar sont inquiétantes… quelque chose se passe sur les terres impies, ajoute-t-il d’un ton soudain soucieux.
— Les terres impies ? Aucune forme de vie n’y a été observé depuis des siècles.
— Ce n’est probablement rien, mais nous devons rester sur nos gardes si nous voulons maintenir la paix, soupire-t-il. Va te reposer, ma fille.
— Bien, père. Bonne nuit.
Lindelle le salue, mais se ravise au moment de quitter la pièce.
— Est-ce que, par la grâce de Möth, d’autres visions vous seraient apparues ?
— Oui, une de ces abominations qui vivent dans la forêt de Flaïne…
L’air écœuré sur le visage du grand Prêtre trahit son aversion pour la créature.
— Un Batravien ? demande Lindelle.
— L’élu était avec l’un d’entre eux, grince-t-il.

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