93 jours au Palais du Luxembourg.

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« Maintenant je suis captif. Maintenant je n'ai plus qu'une

pensée, qu'une conviction, qu'une certitude : condamné à mort.

Quoi que je fasse elle est toujours là cette pensée infernale,

comme un spectre de plomb à mes côtés. »

                     Victor Hugo.

Le 20 avril 1794 (1 Floréal), la maréchale de Noailles âgée de soixante-dix ans, la duchesse d'Ayen et la vicomtesse de Noailles sont emmenées à la prison du Luxembourg où il y a déjà leurs cousins, Noailles-Mouchy. La vaste résidence est faite d'une cour carrée, d'une cour d'honneur et d'un corps d'entrée ; mais aussi d'un dôme, de pavillons avec une salle de lecture et une chapelle. Elles sont installées au pavillon du nord, dans une chambre de Dédale. Aussitôt après, les enfants de la vicomtesse et leur précepteur, M. Grelet quittent le château des Noailles et s'installent dans l'hôtel de Mouchy dans l'ancien appartement de leur père.

Louise, la vicomtesse de Noailles écrit plusieurs lettres et petits billets à ses fils Alexis, onze ans et Alfred, dix ans ainsi qu'à M. Grelet, vingt-trois ans qu'elle surnomme aussi « mon enfant » du 21 avril (2 Floréal) au 17 mai (28 Floréal) :

« Je n'ai pu vous répondre sur-le-champ, mes chers enfants, vous pensez bien que ce n'est pas sans attendrissement que j'ai reçu de vos nouvelles. Nous avons tous bien dormi et nous ne sommes presque plus fatiguées ; nous avons une très grande chambre, deux garde-robes, au-dessus du citoyen Mouchy. Il se porte bien ainsi que sa femme. J'ai été bien aise de les voir. Je me suis réveillée le cœur un peu serré d'être séparée de mes chers enfants, je pense souvent à eux ; mon cœur les suit pour le moins autant que lorsque j'étais près d'eux. Je les engage à être bien dociles, à bien étudier, à se promener au bon air comme ils se proposaient de faire ce matin, parce que l'exercice est bien meilleur à leur âge.

La vie que l'on mène ici n'est pas trop dans mon goût : beaucoup de monde et peu de solitude. Mon moral n'est pas mal, mes forces mieux qu'hier en vous quittant. Chargez-vous, je vous prie, de dire à nos deux gardiens, Bailly et Braconnier (sans-culottes), qui nous ont conduites ici, combien nous sommes touchées de n'avoir pu leur faire hier nous-mêmes tous nos remerciements.

Dites-leur de notre part tout ce que vous pourrez de plus obligeant. Nous comptions pouvoir redescendre après être montées dans notre logement, mais cela n'est pas permis. Nous sommes fort contentes de ce que Bailly nous a acheté. Ma mère attend avec impatience les meubles que Joinville lui annonce. Elle désirerait avoir des nouvelles de sa bonne. Dites à Joinville et à Désiré (cuisinier) de se concerter avec Firmin pour ne pas envoyer le double des ustensiles que ma grand-mère lui demande aujourd'hui. Envoyez-moi par la femme de chambre de ma grand-mère, qu'elle espère obtenir ces jours-ci, un assignat de quatre cents livres pour ma mère et moi. Vous direz mille choses à ma femme de chambre. Qu'elle m'envoie des bas, des souliers, des fichus, la boîte de toilette et ce qu'elle contient, mon écritoire avec de l'encre et du papier. Il faut écrire tout ce qu'on envoie pour être sûr que rien ne s'égare. Nous renverrons le linge sale tous les deux jours.

Mes sentiments pour mes chers enfants leur sont bien connus. Je les embrasse aussi tendrement que je les aime et les prie, ainsi que ma cousine, de ne pas m'oublier. »

« Comme je crains que le citoyen Firmin ne soit sorti, lorsque le billet ci-joint arrivera, je vous prie de dire à la cuisinière de ma mère et de ma grand-mère de nous envoyer du maigre à dîner aujourd'hui. Il serait bon aussi d'en avertir la citoyenne Bernard. »

« Je loge au-dessus du citoyen Mouchy, sur la cour et suis fort bien. Recommandez bien qu'on ne manque pas de venir tous les matins à huit heures et demie, afin que nous puissions demander ce dont nous avons besoin et qu'on apporte le dîner pour une heure. La citoyenne Lévêque enverra le plus tôt possible à ma mère des fichus, des manches pour le bras, des …, des emplâtres gommés (soins médicaux) et un peu de vieux linge. Ma mère aurait besoin de beaucoup d'autres choses, car elle n'a presque rien ici. »

« Je n'ai point encore essayé mon corset, ignorant qu'il était neuf ; j'ai reçu les serviettes je crois que le compte y était, je ne les ai pas comptées et ne le puis, en ayant renvoyé de sales. Je suis bien, très bien, aussi bien que le désire mon cher enfant, je vous souhaite la pareille de toute mon âme, j'ai passé une bien bonne soirée hier. Je n'ai pas accusé hier au soir la réception du petit volume et du petit mot que vous m'avez envoyés, parce que vous m'aviez mandé que vous n'attendiez pas, cette double attention n'en a pas été moins sentie. Bonjour, chers enfants, je vous embrasse. »

« Avez-vous reçu hier, mon cher enfant, un bonnet, une paire de bas et le petit mot attaché dessus ? J'ai reçu tous les vôtres ainsi que la bouteille de vin, les deux pots de confitures et les deux livres, je vous en remercie. Accusez toujours, je vous prie, la réception de tout ce que je vous envoie, afin que je sache s'il vous parvient. Je me porte toujours aussi bien. J'embrasse mes chers enfants de toute la tendresse de mon cœur. J'ai reçu tout le linge d'hier matin ; je renvoie un corset, un mouchoir, un linge de garde-robe. »

« Une paire de bas de soie, une de chaussons. J'ai besoin d'un serre-tête, d'un bonnet de nuit et d'un fichu de nuit blanc. Permettez que je ne vous renvoie les cornets que lorsque nous aurons les autres, parce qu'ils me seront peut-être nécessaires aujourd'hui. »

« Je vous prie de nous envoyer un grand et un petit balais, s'il est possible. Dans l'état que j'ai copié ce matin, nous nous sommes aperçues, après qu'il a été parti, qu'on avait oublié corsets, camisoles, jupons, mantelets (vêtement court et léger se portant sur une robe), et torchons. Cela est cependant absolument nécessaire ; aussi, si cela ne doit pas faire de difficulté, envoyez-nous des torchons aussitôt que vous les aurez. Comme nous n'avons plus, comme vous savez, un seul coin pour faire notre cuisine, et que ma mère ne doute pas, d'après ce qu'elle a dit à Désiré mercredi, que les six semaines de loyer n'aient été payées au citoyen Cassat, elle pense que nous pourrions au moins jouir de la cuisine pour ce temps. Elle vous prie d'arranger cela avec ce citoyen suivant ses conventions avec lui, et de dire à Désiré et à Martin de s'y établir le plus tôt possible, de manière à y faire son dîner dès mercredi. Ma mère vous remercie mille fois et vous demande mille pardons de toutes les peines qu'elle vous donne. Nous espérions que ma grand-mère obtiendrait sa femme de chambre, mais cela ne se termine point et nous désole dans l'état où elle est. Nous faisons de notre mieux pour la soigner et la servir, mais elle se gêne avec nous, et, dans l'état de maladie et d'infirmité que vous lui connaissez, vous sentez que cela est très pénible et bien fatigant pour nous. Vous me ferez plaisir de m'envoyer, à votre commodité, du grand papier commun à écrire. Nous nous portons toujours bien : je supporte la vie que je mène vraiment mieux que je ne l'aurais cru et ne suis pas mal ; je pense beaucoup à vous tous et trouve toujours, de loin comme de près, dans mes chers enfants, une des plus douces consolations de ma vie. Vous voudrez bien dire aussi qu'on nous envoie du café à l'eau tout fait. Voici l'état du linge sale que je renvoie : à la citoyenne d'Ayen, une chemise, trois mouchoirs, une paire de chaussons, un frottoir de futaine (tissu), du vieux linge, deux linges de garde-robe, deux serviettes de table ; à la veuve Noailles, un mouchoir. La citoyenne Lévêque se chargera de la vérification, pardon si je vous l'adresse, c'est pour que ma lettre arrive plus sûrement. N'oubliez pas de me dire comment vous vous portez, lorsque vous m'écrivez, ainsi que mes sœurs. »

« Je n'ai pas manqué un seul jour, en vous renvoyant le panier du dîner et du linge sale, de vous dire que je me portais bien, et vous comprendrez facilement que l'arrivée de ce dîner, qui m'apprend d'ordinaire que vous êtes en bonne santé, me nourrit et me réconforte infiniment plus au moral qu'au physique. Vous ne sauriez me procurer plus de consolation que de vous bien conduire, et de vous bien appliquer à vos études et à tous vos devoirs. Parlez souvent de moi à ma petite Euphémie (quatre ans), afin qu'elle ne m'oublie pas ; je vous remercie de l'avoir fait lire ; ce que vous m'en dites hier, ainsi que de vos frères, me fait bien plaisir. Nous nous portons bien, ma mère et moi, ma grand-mère comme à l'ordinaire, je fais beaucoup d'exercice, quoique je ne me promène pas ; le soin des deux citoyennes avec lesquelles j'habite et celui du ménage laisse peu de place au repos et par conséquent à l'abattement. Je vous prie de recommander au citoyen Désiré de mettre des légumes sur la soupe, surtout des petits oignons, quand il pourra, parce que ma grand-mère les aime, et de nous donner du riz ou du vermicelle bien cuit, bien crevé de temps en temps. Je voudrais bien savoir si ma fille n'a plus sa bonne, si vous êtes déménagés et comment vous êtes logés. Si vous êtes à votre petite cuisine, j'ai quelque inquiétude que vous ne vous laissiez mourir de faim. Faites mes compliments à la citoyenne Bernard et demandez-lui comment se porte ma sœur. Adieu, chers enfants, je ne fais toujours avec vous qu'un cœur et une âme, vous connaissez aussi bien que moi les sentiments que je vous porte à tous et à chacun en particulier. Salut et fraternité. Nous aurions grand besoin d'un balai et d'un miroir, ne l'oubliez pas, je vous prie. »

« Je vous dois double remerciement pour hier : un pour le déjeuner, un pour le dîner. Tous les soins que vous prenez d'eux et de leur mère me touchent plus que je ne saurais dire, je sais que la bonne manière de le reconnaître est de vous dire tout le bien que vous me faites, il en est encore une que je ne néglige pas. Je voudrais bien savoir si votre santé à tous ne se ressent nullement de la secousse que vous a causée mon départ. J'embrasse mes chers enfants de toute mon âme et les porte tous dans mon cœur mandez-moi si le citoyen Jacques vous a remis mon reçu de quatre cents livres ; si vous pouvez nous procurer un ou deux paravents bien communs et surtout bien bon marché, soit de hasard soit d'emprunt, vous nous rendriez grand service. »

« Je suis charmée de savoir enfin le lieu où reposent mes chers enfants. J'espère qu'avec vos cartes de pain et de viande, vous ne manquez de rien. Je vous prie de nous commander chez quelque apothicaire une pinte de petit lait pour demain de bonne heure ; le citoyen qui vient ici de chez vous, en passant, la prendra et me l'apportera. J'engage mes chers enfants à reprendre dès demain leurs grandes promenades en plein air et leur conseille de préférer le matin vers l'heure de dix heures et demie à cause de la chaleur. Faites-moi dire, je vous prie, si vous espérez trouver des paravents, parce que sans cela nous en louerons ou achèterons de notre côté. Il y a aujourd'hui huit jours que je dis adieu à mes chers enfants ; cette octave est un peu douloureuse. Notre bonne santé est toujours la même et mon cœur toujours bien près de vous. Vous remettrez à la citoyenne... mon paquet de linge sale. Voici ce que contient le paquet : une camisole (sous-vêtement/débardeur), une collerette (col), un serre-tête, un fichu, une paire de chaussons. »

« Ne vous tourmentez pas pour les paravents : dites-moi seulement si vous y avez renoncé, afin que nous n'en achetions pas de deux côtés. J'embrasse mes chers enfants aussi tendrement que je les aime. Vous remettrez à la citoyenne... le paquet de linge, qui contient un bonnet de nuit, un fichu, elle m'enverra des fichus le plus tôt qu'elle pourra, un jupon et une camisole pour le matin et mon manteau simple. »

« Je pense que l'incommodité d'Alfred a empêché votre promenade de ce matin. Vous me ferez plaisir de me dire quand il vous laissera la possibilité de les reprendre, parce que j'aime toujours à savoir ce que font mes enfants et à les suivre d'esprit et de cœur dans toutes leurs occupations. Je suis, je vous avoue, bien tourmentée d'Alfred. Comme Portal ne le suivra sûrement pas, je préférerais infiniment que vous passassiez chez le citoyen Lobinhes (médecin de famille) et que vous lui demandassiez d'amitié de venir le voir. Si cela paraît une petite maladie, il faudra tâcher que (Antoine) Portal le suive, et avoir surtout Martin en second, qui lui en rende compte, je m'en reporte sur vos soins. Cette inquiétude ajoute cruellement au reste, il en est je crois de même pour vous. Je vous conjure de me donner deux fois par jour de ses nouvelles, s'il a de la fièvre, des redoublements de douleurs de tête, s'il est abattu... fiat. Il n'y a pas d'inconvénients d'écrire quelques lignes de plus, quand c'est de la santé. Adieu, Citoyen, souvenez-vous de moi salut et fraternité. »

« Je suis tranquille, depuis votre petit mot d'hier une heure, sur l'incommodité d'Alfred, il me semble que je me suis trompée... dont vous me parlez. Nous avons dîné hier et avant-hier très passablement de chez un traiteur M. Coste, qui fournit beaucoup de monde ici et qui en est fort près. Nous n'avons pas encore fait notre marché, nous tâcherons que ce soit pour quatre livres par tête. Si l'on retrouve quelque moyen pour nous envoyer à manger de chez nous, nous le quitterons. Je vous remercie bien de l'espérance des paravents et de tous les soins que vous prenez pour nous ; je crains que toute la peine que nous vous donnons ne soit un peu aux dépens de vos études. Adieu, chers enfants, il vous est facile de lire dans mon cœur tout ce qu'il vous désire et tout ce qu'il sent pour vous. Pour la citoyenne Thioux, une camisole et un jupon ; elle me ferait grand plaisir de faire nettoyer bien à fond mon grand lit, où il y a tant de punaises. Je lui souhaite le bonjour ainsi qu'aux autres citoyennes. Je la prie d'ôter l'encre de mon jupon avant de le faire blanchir. »

« Je suis charmée que vous ayez vu hier ma cousine et des tendresses qu'elle vous a dites pour moi. Comme notre fenêtre est un entresol nous n'avons pour toute vue que la réverbération du soleil sur le pavé, ce qui n'est pas trop bon pour mes mauvais yeux. Je vais les reporter quelques fois sur la verdure des arbres, chez quelqu'un de ma connaissance ; j'irai demain lundi, vers dix heures et demie y respirer le bon air et y déjeuner peut-être. Adieu, citoyen, salut et fraternité. »

« Vous jugez avec quelle consolation je reprends la plume mes chers enfants et ce qu'il en a coûté à mon cœur. Je souffre quelquefois plus du mal que je vous ai fait que de la privation que j'endure. Je vous plains plus que moi. Je vous conjure de vous ménager, de vous tranquiliser. J'ai deux inquiétudes : l'une que vous ne tombiez malade, l'autre que ces courses ne laissent souvent vos frères dans la solitude ou ne nuisent à vos études. Nous nous sommes toujours bien portées je ne me ressens même plus de la fatigue que le ménage m'avait causée ces jours-ci, car nous n'avons eu personne jusqu'à hier. Adieu, chers et bien chers enfants, lisez le reste dans mon cœur. »

« Je vous prie aussi de nous envoyer un balai de crin de chez moi, s'il est possible ; un vieux panier à charbon, et du charbon dedans, si vous en pouvez trouver, car cela est difficile. Il nous faut aussi une demi-voie de bois scié en deux, quelques fagots ; vous voudrez bien les prendre le plus près possible, afin que le voyage soit moins cher. Nous nous portons bien, mais sommes un peu fatiguées de la mauvaise nuit que nous avons passée : ma grand-mère s'est trouvée mal à cinq heures du matin. Elle est en bien mauvais état : il n'est pas possible qu'elle ni nous tiennent longtemps à la privation d'une femme pour la soigner. Je suis bien sûre que, si vous trouviez quelque moyen de nous procurer ce secours, vous ne le négligeriez pas. Cela est vraiment urgent. Pardon de vous accabler ainsi de commissions. »

« J'ai bien dormi, mes forces sont remontées, je suis bien moral et physique. Ma grand-mère a vu le médecin hier et nous espérons qu'elle en obtiendra d'aller dans une maison de santé vu le déplorable état de santé où elle est. Cela sera peut-être plus aisé à obtenir qu'une femme pour la soigner ici. Ce que vous m'avez dit de la bonne conduite de mon petit Alexis m'a causé une vraie joie et me confirme dans l'espérance que mon absence les rendra meilleurs. Mille tendresses à ma petite Euphémie : je vous dois son tendre et fréquent souvenir. Nous comptons toujours continuer à prendre pour notre nourriture chez la citoyenne Coste. Je ne manque de rien, je suis d'ailleurs, comme vous savez, insensible à toute privation : un peu de solitude et mes chers enfants, voilà tout ce qu'il me faut. Qu'est devenu Mougerot ? Il ne vient plus chercher le linge sale de ma mère. Est-il toujours aussi bon enfant ? »

« J'espère que vous écrivez bien exactement toutes les petites emplettes que vous faites pour moi ; répondez moi sur ce point, sans quoi je ne vous demanderai plus rien. Ma mère est toujours sans linge ; il est inouï que la citoyenne Lévêque ne finisse pas de lui en envoyer ; je lui en prête en attendant. Ma mère voudrait bien savoir, s'il est possible, comment se porte sa nièce, qu'elle a vue le jour de son départ chez vous, si elle est à la campagne ? Je crains que votre garde, par-dessus la fatigue précédente, ne vous ai mis tout à fait à bas. Donnez-moi de vos nouvelles. Je suis bien, moral et physique, mon cœur toujours le même pour mes chers enfants. Adieu, mes chers enfants, nos cœurs ne font et ne feront toujours qu'un malgré les verrous qui nous séparent. »

« Dites-moi, mon cher enfant, pourquoi je n'ai pas eu un mot de vos nouvelles depuis lundi matin, cela m'inquiète vraiment. Il n'y a aucun inconvénient à écrire et à répondre pour ses besoins et à ajouter de ses nouvelles, ne m'ôtez pas cette consolation si nécessaire. Je vous remercie bien du volume ; ne m'en envoyez pas davantage, parce que je crains qu'ils ne se perdent. Adieu, cher enfant, je vous souhaite bonne promenade demain et me recommande à votre bon souvenir, dont j'ai un rude besoin, j'embrasse mes chers enfants du plus tendre de mon cœur. »

« Je me porte bien de tout point, je crains que la maison de santé pour ma grand-mère ne traîne bien en longueur et qu'elle ne nous reste longtemps. Nous avons une femme qui lave la vaisselle, fait la chambre et rend quelques petits services à ma grand-mère, mais elle ne peut coucher chez elle et sert six personnes ; ainsi vous voyez que cela est bien insuffisant. J'embrasse ma petite Euphémie et ses frères ; lit-elle mieux que quand je l'ai quittée ? Je suis charmée qu'elle vous aime autant. Adieu, mon cher enfant, votre cœur vous dit assez ce que le mien sent pour vous et avec vous. J'ai besoin d'une paire de bas, de chaussons et de mon pierrot jaune (chemisier) le plus tôt qu'on pourra.»

« Je ne suis pas étonnée que vous soyez excédé, mon cher enfant, n'ayant personne pour vous seconder. Alfred me dit que vous ne vous portez pas bien, il me faut absolument du détail : est-ce de la lassitude, dormez-vous bien ? Mangez-vous bien ? Je pense que le petit Lucas de mon beau-père pourrait vous aider pour vos commissions et emplettes, dites-lui mille choses obligeantes de ma part et que, n'ayant personne, j'ai espéré de son attachement pour mes parents et moi qu'il voudrait bien me rendre quelques petits services ; je suis assurée qu'il le fera de tout son cœur. Dites à Mougerot de la part de ma mère qu'il vienne tous les jours chez vous prendre nos commissions. J'ai un petit mal d'aventure au pouce, que j'ai attrapé en faisant les gros ouvrages du ménage, ce n'est rien, qu'un peu incommode pour servir soi-même et son prochain. Je suis bien de tout point. Ma mère vous prie de voir le citoyen qu'elle a prié de s'occuper de ses petites affaires pécuniaires. Mougerot ou Joinville vous diront l'adresse du citoyen. Je crains que mes pauvres enfants ne meurent de faim, vous devez n'avoir pas le sol. »

« J'ai reçu les six œufs, je mettrai un numéro à l'avenir à mes billets afin que vous sachiez ceux qui s'égarent, faites-en autant. Je me porte bien. »

« Je crois avoir reçu tout ce que vous m'avez envoyé depuis trois jours, ainsi que les nouvelles de votre santé. Il me faut, si vous voulez bien, un verre à boire commun, une pelle et un grand balai de crin. »

« Une fois dite pour toutes, j'écrirai toujours le matin par l'occasion du citoyen Mouchy : c'est le plus sûr, parce qu'à l'heure du dîner tout le monde est trop occupé pour avoir le temps de les lire et souvent ils restent. Lorsque vous m'apportez vous-même quelque chose, cognez toujours quand vous êtes à la porte, afin que je le sache, mais de grâce reposez-vous, épargnez-vous de la fatigue le plus que vous pourrez. Ce que vous avez appris à votre petite sœur et son sentiment pour vous m'a bien attendrie et me fait bien plaisir. J'ai travaillé hier pendant plus d'une heure à mon analyse d'histoire romaine avec cette citoyenne qui s'en occupe avec moi ; je l'ai bien avancée. Cela m'a fait un vrai bien, il me tarde de la terminer. Si Mougerot pouvait aller en se promenant savoir des nouvelles de la sœur de ma mère à la campagne où elle est, cela lui ferait plaisir, il en saura l'adresse chez son frère, rue de Bellechasse. »

« Ma mère ne veut donner et n'a promis que trente sols pour nourriture au citoyen Mougerot, mais elle désire le garder. Quant à son livre … elle ne peut le lire à présent, ainsi il ne faut plus y penser. Quant au mien, vous pouvez le lire d'un bout à l'autre. Mille et mille remerciements de ma mère de toutes les peines que vous prenez. Je vous conjure de vous nourrir, ainsi que mes enfants, sainement, suffisamment, et surtout qu'ils boivent du vin naturel et point de marchand, ces deux choses sont essentielles, surtout à leur âge. Embrassez-les pour moi. »

Le 17 mai (28 Floréal), les prisonniers français sont rendus aux Autrichiens et conduits dans la forteresse d'Olmutz en Moravie.

La vicomtesse de Noailles écrit encore d'autres lettres et billets du 18 mai (29 Floréal) au 22 mai (3 Prairial) :

« Je n'obtiendrai donc jamais un mot de détail sur votre santé ; aucune loi divine ni humaine ne le défendent. Non seulement je le demande, mais je l'exige. Cela est nécessaire à mon repos. Je veux aussi savoir votre ordinaire à dîner et à souper. Je crois que ma grand-mère ne tardera pas à aller dans la maison de santé ; elle désirerait savoir si vous avez compté le peu d'assignats qu'il y avait dans son portefeuille, qu'elle a laissé pour remettre à Firmin. Je n'ai pas voulu lui dire ce que vous me mandiez hier, parce qu'elle est fort fâchée contre Firmin. Quant à ma toilette, j'aurais désiré aussi faire l'économie du perruquier, mais il n'y a point ici de femme qui coiffe ni qui en ait le temps ; cela dure environ un quart d'heure, sans poudre, pommade ni miroir, sans y voir à peine. Je suis toujours bien. Adieu, chers enfants. »

« Je ne conçoit pas, mon cher enfant, que les peines et les fatigues de tout genre que vous avez eues dans l'état de santé où vous êtes, ne vous aient pas rendu tout à fait malade, j'ai plus besoin que personne de votre santé et conversation et c'est moi qui vous tue. Vous savoir vraiment malade dans le moment actuel serait pour moi infiniment plus difficile à supporter que la prison ; je connais trop votre cœur pour ne pas croire que vous ferez tout ce qui sera de vous pour m'éviter un malheur aussi accablant et que vous vous soignerez tout comme vous feriez un de vos frères en mon absence. J'espère que vous verrez dans ce jour le médecin et que vous me manderez ce qu'il aura dit et jugé de votre état de santé. Soyez bien tranquille sur nous : nous ne manquons de rien. »

« Ma mère vous prie, pour tout ce qui regarde ses petites affaires pécuniaires, de faire pour le mieux et d'en référer au citoyen Le Mit, auquel elle vous prie de demander de se faire rendre les comptes de chacun. Il faudra payer les soixante livres à Mougerot. Nous désirerions bien avoir le volume suivant de Nicole, et celui qui suit mon gros livre bleu à tranches dorées. La citoyenne avec laquelle je suis liée ici, demeure dans la chambre où je vais déjeuner ou goûter primidi ou sextidi, elle est presque aveugle, son prénom est..., ma cousine la connaît. Je ne puis comprendre qu'il y ait un mois que nous soyons ici, vous ne croiriez pas que le temps paraît court, la journée est si remplie qu'elle passe vite. »

« Vous n'avez rien compris peut-être à tous mes pâtés et barbouillages de ce matin ; je comptais y joindre un mot pour ma belle-sœur à remettre à la citoyenne Roujole, que j'ai envoyé par une autre occasion ; j'écris provisoirement pour ne pas faire attendre le commissionnaire. Je suivrai vos conseils pour mes yeux. Évitez, je vous prie, d'envoyer d'une heure à trois, parce que nous dînons. » « Donnez-moi donc de vos nouvelles ; que dit le médecin ? Combien y a-t-il que vous n'avez eu de retour de fièvre ? Mon aîné n'a-t-il pas perdu de carte par étourderie ? À quelle heure allez-vous demain chez ma cousine et, après chez la citoyenne Raymond ? Je vous répondrai pour Mougerot au premier moment. »

« Vous ne me dites toujours mot sur votre santé, qui me tourmente beaucoup. »

Le 22 mai (3 Prairial), le marquis La Fayette arrive à Olmutz.

Louise de Noailles continue de rédiger des lettres du 23 mai (4 Prairial) au 30 mai (11 Prairial) :

« Ma société n'est nullement celle de Just (Antonin-Claude-Dominique-Just de Noailles, petit-fils du duc de Mouchy), mais y est très préférable : c'est celle que ma belle-mère avait choisie en arrivant ici et dont elle m'a parlé, lorsque je la vis chez elle cet hiver. J'en suis plus contente que je ne peux dire. Cette citoyenne est pour le moins aussi forte que ma cousine sur le dégagement, mais vous pensez bien qu'il n'est personne ici qui réunisse tous les agréments de la citoyenne Raymond. Je n'ai pu mettre le nez qu'une fois en signet dans le livre du citoyen Dugué que vous m'avez envoyé : j'en ai été enchantée. Qu'a dit de votre santé le citoyen Martin, médecin ? Quant au citoyen Mougerot, ma mère se détermine à ne lui rien donner, mais je vous prie de lui dire tout ce que pourrez de mieux, de plus obligeant, pour l'engager à se placer de manière à rentrer à elle quand elle en aura besoin. » « Je suis très bien sur mon mauvais lit, mieux que dans un bon ; je n'ai ni air, ni jour ni araignées, notre chambre étant très blanche et propre ; je suis trop bien physiquement. Je dis, mais faiblement, comme le citoyen... Plaise à Dieu que ce ne soit pas du bout des lèvres. »

« Je donne au commissionnaire qui m'apporte le plus souvent mes paquets dix, quinze, vingt ou trente sols de temps en temps. »

« Je déjeune et soupe tous les jours chez mon beau-père et y dîne quelquefois. Je ne sais si la citoyenne Thioux a payé, ce mois-ci, le peu d'aumônes que je faisais par mois ; je désire continuer ceux qui en ont urgent besoin ; faites sur cela ce que ma cousine me conseillera ; je suis fâchée qu'elle vous fasse encore attendre mille compliments et remerciements. Si vous continuez à être mécontent d'Alfred, j'exige qu'il soit privé d'une de vos grandes promenades, puisque rien ne peut lui faire impression. »

« Ne vous donnez pas la peine, mon cher enfant, d'écrire à ma nièce de mes nouvelles, vous en avez déjà assez ; j'enverrai pour elle, autant que je pourrai, un mot toutes les semaines, cela suffira. Écrivez-moi son adresse : je voudrais savoir seulement si elle est toujours dans la même campagne, si tout le monde se porte bien. N'écrivez pas à ma nièce, contentez-vous de mettre l'adresse. »

« Le genou de ma grand-mère va mieux, mais n'est pas guéri. »

Au mois de juin, Mme de Lafayette est envoyée dans la prison de la Petite Force à Paris, geôle pour femme.

Quinze jours après, elle est transférée au Plessis, l'ancien collège de son époux, transformé en prison.

La vicomtesse reprend son écriture du 1er juin (13 prairial) au 25 juin (7 Messidor) :

« Songez, mon cher enfant, à tout ce dont vous avez été revêtu il y a aujourd'hui onze ans, conservez vos vêtements blancs. Je vous envoie de mes cheveux à tous trois et vous embrasse du plus tendre de mon cœur. »

« J'espère qu'Alexis aura plus de courage la première fois qu'il ira chez le dentiste ; il en avait beaucoup en ce genre, il y a quelques années. La raison devrait s'accroître au lieu de diminuer ; on a, d'ailleurs, un si bon emploi à faire de ses souffrances que cela doit donner des forces. Les jours de ma petite sœur (Rosalie de Noailles, marquise de Grammont) sont mercredi et vendredi, je vous enverrai un mot pour elle, si vous avez une occasion. Gardez vous bien de faire des notes ou des barbouillages sur mon livre de l'Ancien Testament, il ne serait plus bon qu'à jeter au feu. »

« Donnez un acompte de cinquante livres à la citoyenne Lévêque. Si elle est sans argent, on arrangera le reste après. Je suis désolée, je viens d'apprendre qu'on enlève demain matin la citoyenne Latour à mes parents (ses beaux-parents, les Mouchy). Que vont-ils devenir ? »

« Ce que vous me disiez hier des larmes de ma petite Euphémie à mon sujet m'a bien touchée, ainsi que son avis à son frère ; celles d'Alexis me font, comme vous pensez bien, encore plus de plaisir. Comment Alfred va-t-il ? »

« Avez-vous reçu le petit mot hier pour ma sœur, aujourd'hui pour ma nièce. Je dîne presque tous les jours avec ma grand-mère. »

« J'ai reçu le jeu d'échecs et le petit paquet de la citoyenne Thioux hier matin. On dit qu'Euphémie est bien pâle. Pour peu que sa santé ne soit pas dans un état parfait, ce serait le moment de lui faire prendre du sirop antiscorbutique une quinzaine de jours. S'il en était de même d'Alfred, il faudrait en faire autant. »

« Depuis qu'on m'a laissé quarante livres, j'ai touché en une fois trente-sept livres dix sols. Nous avons à payer chacune par mois quinze livres à une femme qui fait la chambre, les lits, lave la vaisselle et cinq livres à la femme de garde-robe, ce qui fait vingt livres pour ma part, sans compter les commissions et autres petites dépenses. J'espère et compte cependant pouvoir payer de temps en temps quelque chose au traiteur. Ma grand-mère m'a fait entendre qu'elle se chargerait de mon tiers pour la dépense, mais n'en parlez pas. Le citoyen Mouchy est tout aussi gêné que nous. »

« Votre partie de campagne me fait bien du plaisir, vous vous y amuserez bien et vous ne m'y oublierez pas. Comment se porte la citoyenne Raymond ? On ne me laisse pas le temps de lire tous vos bienfaits, je n'ai pu que parcourir. »

« Dites à la citoyenne Latour que mon beau-père est fort bien et que le cautère de ma belle-mère va mieux, elle en souffre bien moins et espère n'être pas obligée de se servir de la pierre infernale. »

« Vous seriez capable de vous tout refuser pour me mettre au large, je le sais et le vois, mais ne voudrais pas que cela fût, ainsi je crois que la bonne volonté de ma grand-mère n'aura son effet que lorsque je serai sortie d'ici, elle ne peut disposer de rien actuellement. Je donne à la citoyenne Thioux deux cent cinquante livres par an, deux livres par jour pour nourriture à la citoyenne Bernard, douze livres par mois et une livre cinq sols par jour quand je ne la nourris pas ; j'imagine que toutes les deux sont nourries actuellement. Je préfère qu'Euphémie se promène en même temps que vous dans vos grandes promenades, c'est trop de deux pour un jour ; je suis bien aise qu'elle se soit reposée hier. Ma mère ni moi ne veulent que la citoyenne Lévêque se promène avec vous, nous ne permettons cela à personne, dites-le-lui. Si elle revient à la charge pour être payée, vous voudrez bien lui dire que ni Désiré ni vous n'avez rien à ma mère. Si elle a su ce que … à Mougerot, vous direz que quelqu'un qui est fort gêné lui-même a prêté quelque chose à ma mère, parce que ce citoyen avait besoin d'argent, qu'il s'est, pour le reste, pourvu par devant … qu'elle en fasse de même ; que si elle avait seulement un besoin pressant d'argent, ma mère verrait à emprunter pour lui donner quelque petit acompte sur son mémoire. Elle a demandé à ma mère de rester à son service pour rien. »

« Comment la mauvaise mémoire d'Alexis va-t-elle ? L'exercice-t-il ? Le latin chemine-t-il un peu ? La légèreté d'Alfred est-elle seulement inapplication, ou peu de profondeur dans les impressions et dans les sentiments ? J'espère beaucoup, d'après ce que j'en connais, que ce défaut chez lui ne tient qu'à l'âge et ne sera pas durable. Je suis très persuadée que la citoyenne Raymond est malade, puisque vous ne m'en parlez plus ; je désire savoir le vrai, et si la maladie est légère ou sérieuse ; je suis toujours bien. »

« Je vois avec peine que vous avez rarement de la viande et que vous êtes assez mal nourris. Nous sommes infiniment mieux que vous, car nous en avons tous les jours. Je n'aurais désiré nourrir les citoyennes Thioux et Bernard que dans le cas où c'eût été une économie et où surtout cela aurait plutôt augmenté que diminué votre portion déjà si exiguë. »

« Voici, mon cher enfant, deux mots que vous enverrez à mon petit Just (de Noailles). Vous sentez bien que ce n'est pas par sa maman ; s'il nous répond, il faut qu'il ait l'adresse. Vous pouvez en dire plus et mieux. Ma grand-mère a mal au genou et garde la chambre ; je ne puis voir la société qui me plaît que chez moi, ainsi il faut attendre la guérison. Vous me ferez plaisir de m'envoyer pour après-demain un livre relié en noir que vous trouverez dans ma bibliothèque : celui que j'ai finit ce jour-là. Vous ne trouverez pas pour vous le rouge, la citoyenne F..., rue de Bourgogne, sait peut-être ce qu'il est devenu. »

« Je vous aurais attristé hier par les mauvaises nouvelles de ma santé ; je suis peut-être un peu mieux qu'hier matin, mais toujours faible, abattue, collée à la terre d'une manière inconcevable. Cela est humiliant. Dites à la citoyenne Latour que mes beaux-parents vont fort bien, le bras de ma belle-mère beaucoup mieux. »

« Le canevas fait merveille pour la fenêtre, il repose et rafraîchit mes yeux. »

« Ma grand-mère va et vient actuellement, j'espère en profiter ces jours-ci en tout comme il y a trois semaines. On nous a interdit la lumière hier, cela n'est pas bien affligeant, quand les jours sont aussi longs : nous en sommes quittes pour souper au jour et nous coucher plus tôt. Nous sommes très heureuses de n'être pas logées sous les toits, car il y fait une chaleur terrible. Nous sommes un peu comme les trois enfants dans la fournaise. Avez-vous reçu les vingt livres que je vous ai envoyées avant-hier ? »

« Je ne suis pas aussi assommée que cela se pourrait mon cher enfant ; mes forces sont un peu revenues, à proportion du besoin ; je n'ai encore rien dit à ma mère et j'étouffe, comme vous pensez bien. Je ne sens plus rien, je n'endure plus rien personnellement, je n'ai plus qu'une pensée, une inquiétude. Je ne crois pas à la société, parce qu'on ne voit ici que des femmes. Pourrait-on savoir comment est le moral de votre voisine ? Donnez-m'en des nouvelles le plus possible. Doit-on travailler incessamment à l'arrangement de la maison qu'elle habite ? (l'hôtel de Mouchy) »

« J'ai entretenu ma mère ce matin, comme je le comptais ; c'est un poids de moins ; il m'en reste bien d'autres. Elle n'est pas trop mal, je suis peut-être un peu mieux depuis. Maurice est-il de bonne humeur ? Sert-il bien ? En est-on content ? Comment ma nièce et ses amies se portent-elles ? Je suis hors d'état de jouir de rien. »

« Ma mère veut garder Mougerot, elle ne lui a jamais promis que trente livres. Tâchez de vous en servir, suspendez le paiement du mois de la citoyenne Lévêque jusqu'au nouvel ordre. Vous me ferez grand plaisir d'écrire à ma mère, mais pas tous les courriers, cela vous accablerait. Combinez cela avec la citoyenne... Je n'ai pas encore eu le temps de lire Nicole, j'en ai peu en tout, mais cela va et ira j'espère... Dites-le-lui souvent. »

« Vous avez j'espère bien compris, mon cher enfant, que c'était d'Euphémie et non de moi assurément que je parlais en vous disant l'ordre des vœux que je formais sur cette enfant. Je voudrais savoir si elle est et a été sage. Je suis fâchée de vous attrister, mon cher enfant, par les nouvelles de ma santé, mais vous sentez qu'elle ne peut aller autrement et qu'à la nature de ma maladie mes souffrances ne peuvent que s'accroître, mais non diminuer. »

« Ne m'envoyez pas mon lit bleu, je coucherai à terre ; je serais au pain et à l'eau que cela ne me ferait presque rien ; mon corps est fait à tout. Le citoyen Grelet voudra bien payer à la citoyenne Costes cinquante-six livres pour huit jours de nourriture pour ma mère et pour moi. »

« Il me paraît impossible que vous ne mouriez pas de faim en ne dépensant pas six livres par jour dans le moment actuel où tout est si cher ; il est mauvais à tous les âges d'être mal nourri et particulièrement lorsqu'on croît. Si l'on ne peut avoir de viande, au moins remplacez cela par des légumes nourrissants, de bonnes soupes, des farineux, du riz, et cela ne dérangera pas votre calcul, parce que nous recevons ces vingt-cinq livres par décade et que nous paierons de temps en temps le traiteur. Je suis mieux humainement et c'est tout, c'est plutôt stupidité engourdissement qu'autre chose. »

« Si les habits de mes enfants sont usés, il faut leur en faire faire de plus solides et le meilleur marché qu'on pourra ; s'il est possible d'obtenir crédit sans faire tort à l'ouvrier, cela est désirable, parce que, comme vous savez, je n'ai point d'argent pour le linge. Ma lingère le fournira à crédit en s'y prenant bien. Ce que vous me dites d'Euphémie me fait craindre qu'on ne commence à s'en occuper. Vous jugez avec quel battement de cœur j'attends ce matin des nouvelles de la santé de mon Euphémie. »

« Dites à la citoyenne... que mes parents se portent bien et que le bras de ma belle-mère va bien mieux. »

« Ma belle-mère a eu une indigestion terrible cette nuit ; je suis auprès d'elle depuis cinq heures du matin ; depuis trois heures, elle vomit tous les quarts d'heure. Dites à la citoyenne Latour que le médecin qui l'a vue n'en a nulle inquiétude : il est content du pouls, il lui a donné dix-neuf grains d'émétique dans trois pintes d'eau, qui n'ont pas encore percé par en bas, ce n'est qu'une forte indigestion pure et simple. »

« J'ai laissé ma belle-mère fort bien hier au soir, mon cher enfant, j'espère que son indigestion n'aura aucune suite. Elle est fort bien, n'a point de fièvre et a passé une bonne nuit ; il ne lui reste plus que mal à la tête, ce qui est tout simple après la fatigue d'hier. »

« Vous êtes trop aimable d'avoir écrit à ma nièce, je n'en ai pas eu le courage, non plus qu'à ma petite sœur (la marquise de Grammont). Sait-elle la maladie d'Euphémie ? Puisse-t-elle l'ignorer longtemps ! Plusieurs personnes ont la gale ici ; si je la gagne, je passerai mes billets au feu pour ne vous la donner. »

« Ce que j'apprends de votre santé me pénètre de douleur, je tremble que vous ne finissiez par avoir une maladie grave. Je vous conjure de voir le citoyen Lobinhes, de le consulter, de faire scrupuleusement tout ce qu'il vous dira. »

« Je suis vraiment inquiète que vous ne tombiez tous malades, surtout vous ; que deviendrais-je ? J'embrasse mon petit troupeau. »

Le 26 juin (8 Messidor), les huissiers du Tribunal révolutionnaire firent transférer Philippe et Louise Noailles-Mouchy dans un cachot à la Conciergerie. Le maréchal lança : « À quinze ans, j'ai monté à l'assaut pour mon Roi ; à quatre-vingts ans, je vais monter à l'échafaud pour mon Dieu... Mes amis, je ne suis pas à plaindre. »

Convaincus de s'être rendus les ennemis du Peuple, en se rendant complices de Capet, et distributeurs de sommes que le tyran employait pour soudoyer les prêtres réfractaires, à l'aide desquels on voulait fomenter la guerre civile, en secondant les projets de la Cour pour renverser la liberté ; en entretenant des intelligences avec les ennemis ; en provoquant, par des discours et écrits l'avilissement et la dissolution de la représentation nationale ; en massacrant les patriotes au Champs-de-Mars, etc., ont été condamnés à la peine de mort.

La correspondance de l'épouse du vicomte de Noailles continue du 27 juin (9 Messidor) au 21 juillet (3 Thermidor) :

« Rien n'égale leur courage et leur vertu (le couple Mouchy transférés à la Conciergerie), ma douleur est profonde et je puis à peine pleurer. J'ai passé ma nuit à penser et à prier pour eux et pour moi, je ferai en sorte de voir mon ami d'ici. La Providence me soutient. »

« Vous jugez que l'émotion qu'a causée votre billet de ce matin a été grande, comment ont été ces pauvres enfants dans cette circonstance douloureuse, j'espérais, hélas ! Qu'ils feraient la consolation de la vieillesse de leur grand-père... »

« Il faut tâcher de songer au-delà, qu'elle se tienne toute prête, lorsqu'on viendra la chercher, c'est tout ce qu'il faut (elle-même). Donnez-moi des nouvelles de ma belle-sœur, que vous voyez ; parlez-lui de moi. Le commissionnaire qui vous remet ceci est très soigneux, excellent. »

« Ma vue est si faible qu'il est certaines choses que je ne puis regarder en face. Nous vous envoyons une brioche, ma mère et moi, pour vous quatre ; dites bien à ma fille que c'est pour elle aussi ; j'y ai donné ma bénédiction. »

« Je vous contrarie pour Euphémie et j'en suis fâchée, ne vous exagérez pas, ni votre ami, les inconvénients... elle en sera nécessairement séparée sous peu. Je n'écris jamais à ma sœur ni elle à moi, mais quatre lignes de temps en temps à ma belle-sœur (citoyenne Duras au Plessis), qui me donne de ses nouvelles. »

« Voici mon avis pour Euphémie : si ce n'est que pour le moral, je crois qu'elle perdra plutôt qu'elle ne gagnera à cette société de sa tante : il n'y a qu'une seule femme mariée pour tout, souvent malade, le mari domestique toujours là, la société d'un petit garçon du même âge qui demande une grande vigilance, mon beau-frère, que sa femme ne fera pas taire comme elle voudra et qui aura bien autant d'inconvénients que la citoyenne... Calculez tout cela avant d'envoyer à ma sœur mon petit billet (la marquise de Grammont au château de Villersexel en Haute-Saône) Il faudrait d'abord, pour ôter toute espérance, répondre que je suis décidée à l'envoyer à ma sœur, que je vous l'ai écrit, que les moyens ne permettent pas de prendre personne. L'éloignement d'Euphémie ne serait pas un sacrifice, c'est raison toute pure. »

« Voyez ce qu'il vaudrait mieux pour la petite de quatre ans, de la mettre en pension ou de l'envoyer à sa tante. »

« Vous me demandez si j'approuve l'idée de mettre la petite en pension chez la citoyenne d'Arros. Vous n'avez donc pas reçu mon petit mot d'hier matin où je vous disais de n'y pas perdre de temps ; ma mère la croit pleine d'honnêteté, de délicatesse, mais n'en sait pas davantage. »

« Quand je dis que ma santé n'est pas mal, c'est-à-dire que mes souffrances sont supportables ! Car je n'ai presque rien gagné par le fait, toujours faible, traînant, attachée à cette vilaine demeure : ni goût ni sentiment ni désir. »

« Dites à ma petite sœur tout ce que je voudrais pouvoir lui dire. Le bien qu'elle me fait en prenant ma petite sur-le-champ, mon cœur en est touché, pénétré au-delà de ce que je peux dire. Si vous voyez qu'il soit vraiment utile aux deux frères d'aller à la campagne, à Saint-Mandé ou ailleurs, n'hésitez pas. Nous n'avons plus de femme pour nous servir. »

« Je suis très contente de l'établissement des tables, je m'en trouve fort bien, le dîner d'hier était excellent. »

« Ma santé est comme à l'ordinaire ; je vois que celle de mon cher enfant est mauvaise au physique et j'en suis en peine. Évitez la grande chaleur pour vos promenades : le soleil n'est pas tenable avant quatre heures. »

« Je suis bien aise que ma petite sœur se porte bien. Ce que vous me dites augmente mon inquiétude sur la santé de l'autre : je serais désolée qu'elle fût contrainte à déménager dans l'état où elle est. Son quartier est si éloigné et il y a si longtemps qu'elle l'habite, que j'espère qu'elle pourra y rester. »

« Lorsque j'ai reçu votre billet, on m'avait dit depuis une heure la maladie d'Euphémie entièrement désespérée. Les nouvelles que vous m'en donnez me soulagent. C'est ma petite sœur qui paye la pension de ces deux enfants, il faut la demander à la citoyenne Pavard. Dites à ma belle-sœur tout ce que je voudrais pouvoir lui dire moi-même et combien je partage sa douleur. »

« Je ne veux assurément pas, que... se charge de ma fille, mais je désire qu'elle ne se sépare pas de ses frères, à moins que l'air de Paris ne lui soit vraiment contraire. Dites bien à ma petite sœur que mes quatre lignes d'hier lui sont communes avec le petit Louis, quand elle le verra. Je suis toujours glacée de terreur ; cela est affligeant, humiliant, mais changera, j'espère, s'il en est besoin. »

« Je vous envoie, mon cher enfant, un petit testament, qu'on prétend qui sera valable, en en gardant copie dans ma poche ; ayez la bonté d'en faire le meilleur usage possible, ainsi que de celui de ma mère, en en prévenant quand il faudra les personnes intéressées. Dieu soutient mes forces, et les soutiendra, j'en ai la ferme confiance. Adieu, mon cher enfant ; le sentiment de ce que je vous dois me suivra là-haut. Soyez-en sûr. Adieu, Alexis, Alfred, Euphémie. Ayez Dieu dans le cœur tous les jours de votre vie ; attachez-vous à lui d'une manière inébranlable ; priez pour votre père, travaillez à son vrai bonheur. Souvenez-vous de votre mère, et que son unique vœu pour vous tous est de vous enfanter pour l'éternité. Je vous donne à tous mes dernières bénédictions. J'espère vous retrouver dans le sein de Dieu, je n'oublierai pas nos amis ; j'espère qu'ils en feront de même.

Le petit mot ci-joint est pour tous, vous le joindrez à l'autre que vous avez déjà. »

« Je prie M. de Noailles, mon mari, de se charger de l'exécution de mon testament ; je prie mon exécuteur testamentaire (qui est M. de Grammont au défaut de mon mari)...

Je prie Mme de La Fayette, au nom du sentiment qui nous unit, de ne pas s'abandonner à sa douleur, de se conserver pour son mari et ses enfants...

 Fait à Paris, ce 5 avril 1794. »

« Je confie et remets entre les mains du citoyen Grelet mes trois enfants, mes deux garçons et ma fille. Je déclare que mon intention la plus formelle et la plus expresse, actuellement et dans le cas où je viendrais à manquer, est qu'il en soit toujours chargé.

Je lui cède et je dépose entre ses mains tous mes droits et mon autorité sur eux. Je le prie de leur servir de mère, et de s'opposer fortement à tout ce qui pourrait tendre à le séparer d'eux. Je l'autorise à les faire changer de lieu, à les placer où bon lui semblera, enfin à disposer de mes enfants comme des siens. J'ai la confiance que tous ceux qui conserveront quelque souvenir de moi regarderont cette intention de ma part comme la plus sacrée.

 Fait en la maison d'arrestation du Luxembourg, ce 24 messidor an II de la République française, une et indivisible. »

Lettre pour son époux, Louis de Noailles : « Vous trouverez une lettre de moi, mon ami, écrite en différents temps, bien mal en ordre. J'aurais voulu la récrire et y ajouter beaucoup de choses, mais cela n'est pas possible ici. Je ne puis donc que vous renouveler l'assurance de ce sentiment si tendre qui vous est connu, et qui me suivra au delà du tombeau. Vous saurez dans quelle situation je me suis trouvée ; et vous apprendrez avec consolation que Dieu a pris soin de moi ; qu'il a soutenu mes forces, mon courage ; que l'espoir d'obtenir, par le sacrifice de ma vie, votre salut, votre bonheur éternel et celui de mes enfants, m'a encouragée et m'encouragera dans les moments les plus terribles à la nature. Plut à Dieu que ce souvenir vous déterminât à vous en occuper sérieusement et à y travailler de concert avec moi. Je remets entre vos mains ces chers enfants, qui ont fait la consolation de ma vie et qui feront, j'espère, la vôtre. J'ai la confiance que vous ne chercherez qu'à affermir les principes que j'ai tâché de leur inculquer ; ils sont la seule source du véritable bonheur et l'unique moyen d'y parvenir. Il me reste, mon ami, une dernière demande à vous faire, qui sera, je crois, superflue lorsque vous la connaîtrez. C'est de vous conjurer, avec la dernière instance, de ne jamais séparer de ces chers enfants M. Grelet, que je laisse auprès d'eux. Je charge mon cher Alexis de vous dire tout ce que nous lui devons. Il n'est pas de soins, d'adoucissements que je ne lui doive dans tous les temps, particulièrement depuis que je suis en prison. Il a servi de père et de mère à ces pauvres enfants, il s'est dévoué et sacrifié pour eux, pour moi, dans les circonstances les plus pénibles, avec un sentiment et un courage que nous ne pourrons jamais reconnaître. L'unique consolation que j'emporte est de savoir mes enfants entre ses mains. Vous ne la frustrerez pas, mon ami, et j'ai la ferme confiance que vous regarderez ce vœu de ma part comme une de mes intentions les plus sacrées. Je ne sais ce que deviendra ma pauvre Euphémie ; mais je vous déclare que je n'ai pas voulu, pour mille raisons, que la citoyenne Thibaut en restât chargée plus longtemps.

 Recevez, mon ami, mes derniers adieux. Puissions-nous réunir un jour dans l'Éternité ! »

« Je vous charge, mon cher enfant, de détailler à votre père toutes les obligations que nous avons au citoyen Grelet, je m'en repose sur votre cœur, pour lui dire tout ce qu'il a été pour vous et pour moi. N'oubliez pas de lui ajouter qu'il a voulu faire bourse commune avec nous, et que nous avons vécu à ses dépens. »

« Je n'ai plus du tout de société, ne perdez pas de temps pour Euphémie, faites pour le mieux avec Gratien. »

« Ce n'est pas ma faute, mon cher enfant, si vous avez attendu si longtemps hier en vain, j'en suis désolée ainsi que de toutes les peines que vous causent la mère et les enfants. Dites-vous bien souvent que vous êtes mon unique, mais très abondante consolation sur la terre. Je n'ai rien reçu de vous, depuis votre petit mot, en sortant de déjeuner chez la citoyenne Raymond, jusqu'à hier onze heures et demie. Il était trop tard pour que ma réponse passât. Voilà l'état du linge dont j'ai besoin, demandez-le à ma femme de confiance. J'approuve fort votre logement ; faut-il que je dise moi-même à ma belle-sœur que je désire et exige que vous restiez avec vos frères ? Le billet que vous avez me paraît plus fort que tout ce que je pourrais dire.

 Adieu, chers enfants, je vous porte tous dans mon cœur, plus tendre que jamais, pour vous quatre. Je me porte comme de coutume. »

Le 21 juillet (3 Thermidor), dans l'après-midi, un billet venant de Fouquier-Tinville, le fabricant des faux conspirateurs dont il envoie à l'échafaud, appelle les trois femmes au Tribunal révolutionnaire. Puis avec d'autres prisonniers, elles montent dans les chariots pour leur dernière destination où le bourreau et ses deux valets les attendent.

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