réponse à "déclaration d'amour"

L'amour, j'en rêvais beaucoup, je l'avais beaucoup écrit, beaucoup chanté, beaucoup écoute; et puis, un soir, il m'a cueilli par surprise au hasard d'une porte qu'on ouvre. J'avais quinze ans et demi, je me sentais vagabonde, paumée, incomprise, malheureuse, malmenée. Je croyais en tout et en rien, j'avais des rêves gigantesques et des désillusions aussi grandes. Je me nourrissais de mots et de livres, de musiques et de sons, je rêvais les yeux ouverts, je balbutiais chacun de mes pas dans ce monde qui me semblait si cruel. Un soir, la porte s'est ouverte et il est entré. Vieux mocassins marrons râpés, jogging gris, tee-shirt jaune confortable à force d'être élimé, des bras nus d'un teint que je n'avais encore jamais vu. Au sommet de sa tête, une touffe de cheveux noirs frisés, des lunettes posés sur un visage illuminé par le plus incroyable des sourires. Oui un sourire à faire pâlir un feu de cheminée ou un soleil dans le désert. Un sourire tellement immense, tellement chaleureux, un sourire qui m'a figé en une seule pensée : il sera mon mari et le père de mes enfants.
J'avais 15 ans et demi et aucune confiance, mais je me suis approchée et nous avons parlé. Et il m'a montré des pas de danses que je ne connaissais pas. Des pas de danse ? Il m'a fait valser et comment décrire la puissance de cette sensation ? La douce pression de ses mains petites dans mon dos, ses yeux souriants qui ne cessaient de me regarder, ce mouvement qu'il imprimait pour m'emmener dans la direction d'un rythme à trois temps qui allait devenir le flux, le flot de notre existence. Et ce fut ainsi très souvent, très très souvent : des valses, des polkas, des scottishs, des mazurkas, des tangos, des pasos, bref, tout ce qu'il est possible de faire sur une musique quand on a deux pieds qui s'harmonisent à ceux de l'autre. De la danse, de la danse, au fil des heures, des jours, des semaines; et ce plaisir incessant, grandissant de partager la piste ensemble. Une sensation incroyable, le sentiment de vivre hors-du-temps, au-delà des planchers, dans une harmonie sensationnelle, une complicité unanime. C'était ce qui me donnait la force de tenir dans un lycée si étouffant, au milieu d'individus si banals, si étriqués dans leurs baskets et dans leur tête de petits pois à peine écossés. J'avais des rendez-vous magiques, hors du temps avec un prince des temps modernes qui combattait avec un sourire et une main chaude. J'étais charmée, subjuguée et nos deux silhouettes écumaient toutes les pistes du département, toutes les places dans lesquelles régnaient la danse.
Vint le soir de mes 18 ans, soirée de gala pour moi, pour lui, nous nous suivions en jour d'anniversaire, alors que le poids du calendrier disait qu'il avait deux fois mon âge. Il avait l'âge d'être heureux, il avait l'âge d'aimer les gens et de penser positif, il avait l'âge de me rendre heureuse. Nous avons ouvert un bal, un tout petit bal dans une toute petite salle, mais ma tenue de gala me projetait sous les lustres d'un belvédère à Vienne. Tant d'invités y ont vu ce soir là une répétition d'un plus tard, moi j'y étais déjà. Et les jours se sont passés, il faisait partie de ma vie, de notre vie, de nos repas du soir, de nos randonnées en montagne, il était de notre quotidien. Mes parents lui avaient ouvert les bras et la porte de la maison, il était celui qui rendait leur fille heureuse.
Mais il était celui qui n'osait pas, il était celui qui se laissa faire, il était celui qui laissa ma main frôler la sienne, un samedi matin de marché, il était celui qui supporta et accepta ma présence à ses côtés, et enfin, il était celui qui osa déposer sur ma bouche un baiser. Le premier. Avec une tendresse toute hésitante. Sa main ne quitta plus la mienne. Il m'accompagna à l'université, promettant de me rendre ma liberté, à la seconde où je rencontrerais quelqu'un. Cela me fit monter les larmes aux yeux, il avait tellement d'amour pour moi qu'il aurait été prêt à s'effacer devant la jeunesse. Je l'ai rassuré, je n'avais pas cette intention là, je n'avais qu'un objectif : décrocher un diplôme pour faire le métier de mes rêves, ni plus ni moins. Draguer? Séduire ? Ce n'était pas sur mon plan de carrière. J'avais le plus incroyable des compagnons et il était hors de question d'en attendre un autre. Les semaines à l'université ? C'était si long, il était si loin, il manquait à mes nuits, mais il était là, me soutenait. Me faisait valser chaque fois que c'était possible et couvrait des feuilles de papier qu'il me destinait.
Il a fallu du temps pour qu'il accepte d'entourer une date sur un calendrier, c'était presque un gag, une blague. Pas de bague de fiançailles, pas de demande officielle, non, juste une évidence : tiens, y a un long week-end en août, la famille pourra passer des jours de vacances au pied du Mont-Blanc. Tiens, ben oui, pourquoi pas. L'essentiel était ailleurs, nos yeux étaient déjà unis en une alliance très spéciale, nous étions tout le temps d'accord, de valses en tangos. Jamais le verbe haut, jamais de discordes. Les yeux dans les yeux , ma main dans sa main pour recevoir un anneau béni et lui en tendre un. Des mots si forts, au moment où je devenais sa femme, en plus d'être son amie, sa confidente, sa partenaire, sa cavalière. Mes yeux posés sur le satin noir du sublime smoking loué pour l'occasion, lui m'ayant dit qu'il n'y aurait pas d'autres occasions de porter pareil parure. Dommage, ça lui allait si bien. Et puis je savais que d'autres costumes lui semblaient plus aisés à porter : les tenues traditionnelles de Bretagne, d’Autriche ou de Savoie ne lui posaient aucun problème, il s'y glissait avec tact et élégance. Des problèmes, moi j'en ai eu pour décrocher le précieux sésame qui allait m'ouvrir les portes de l'enseignement. Le concours me résistait et moi je m'entêtais. Car j'avais d'autres projets, d'autres envies : je voulais un enfant. Je décrochai le concours, et une petite graine s'accrocha en moi. J'allais être maman, il allait être papa. Une fois, deux fois, trois fois. Trois petits bouts d'amour qu'il a tant de fois posé contre son épaule, en un peau à peau bouleversant, allant jusqu'à se réveiller la nuit pour être à mes côtés quand, épuisée, j'allaitais un petit bout de chou qui braillait. Un papa qui les a portés, qui a accompagné leurs premiers pas, leurs pleurs, leurs joues rouges et leurs yeux fiévreux. Un papa qui faisait des efforts pour faire les gros yeux mais qui rigolait, désarmé par leur bouille charmeuse et charmante. Un papa qui poussait la poussette, qui changeait les courses, qui soufflait sur les purées et goûtait les entremets. Un papa qui passait ses mains sous le robinet d'eau chaude avant de venir les embrasser. Un papa qui lisait des histoires et qui partageait des matinées câlins dans le lit, qui apprenait les paroles des dessins animés et des comptines de petite section.
Un jour, un soir, ce papa, mon mari, mon prince, mon valseur, rentra, le dos vrillé par des douleurs.
Un jour, un soir, ce papa, mon mari, mon prince, mon valseur, rentra, pour aller consulter un médecin. Il avait crachoté du sang.
Un jour, un soir, ce papa, mon mari, mon prince, mon valseur a été diagnostiqué malade, très malade.
Un jour, un soir, ce papa, mon mari, mon prince, mon valseur a été hospitalisé, a été intubé, a été plongé en coma artificiel, s'est réveillé, a pu voir ses enfants.
Un jour, un soir, ce papa, mon mari, mon prince, mon valseur voulait encore danser, voulait se lever.
Un jour, un soir, ce papa, mon mari, mon prince, mon valseur nous a quittés.
Des jours, des soirs, il me manque, il nous manque.
Je l'aime, on l'aime; ça, ça a été l'amour et c'est toujours l'amour. C'est si fort, si imprimé en moi. Ses yeux, son sourire, ses mains sur moi. Merci à lui d'avoir fait de ma vie un rêve éveillé, merci d'avoir fait de ma vie un tourbillon.
Table des matières
En réponse au défi
Déclaration d'amour
Je ne sais pas si ce défit a jamais été proposé mais je me lance ; il est très simple: écrivez une déclaration d'amour, une scène d'amour ou un "duo d'amour". Quelque chose de littéraire et musical. Vous pouvez reprendre un extrait de ce que vous avez déjà écrit ou inventé un texte de toutes pièces. La forme, la longueur et le style sont parfaitement libre. A vos plumes!
Commentaires & Discussions
La porte s'est ouverte. | Chapitre | 4 messages | 1 an |
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