Chapitre 9 Élodie, le patronage

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Rose continuait de me conseiller dans le but de me trouver des activités sociales.

J'avais continué, après l'épisode de la petite malade atteinte d'un cancer, à tenir compagnie à des personnes seules, souffrant de solitude, et obligées de rester cloîtrées à l’hôpital.

Mais je sentais que le courant ne passait pas très bien avec les malades, surtout avec les plus âgés qui étaient en fait les plus nombreux. Personne ne m'avait récusé, mais j'avais souvent l'impression d'être en trop, et de plus les fatiguer que de les aider.

Il me semblait que j'étais fait beaucoup plus pour l'action que pour la compassion, et j'ai donc cessé de me rendre à l’hôpital.



Rose m'a alors proposé de participer à l'activité du patronage qu'elle dirigeait.

Le jeudi après-midi, deux cars embarquaient des gamins de cinq à dix ans, et leurs accompagnateurs, pour les emmener, soit dans la campagne aixoise, s'il faisait beau temps, soit dans un gymnase.

Souvent, après le retour des enfants, et leur récupération par les parents, les accompagnateurs sortaient un tourne-disque, et organisaient une boum.

Cette troisième mi-temps était en fait le ciment qui maintenait les accompagnateurs liés au centre aéré. C'était pour ces jeunes la seule manière de se retrouver entre filles et garçons en semaine. Et pour les parents des enfants, la seule possibilité de faire garder leurs gosses.

J'étais de loin le plus âgé de la bande chargée de l'animation des activités, les autres ayant, en général, entre seize et dix-huit ans.

Je lui demandais quelle fonction je devrais remplir.

Elle me répondit :

T'assurer qu'il y aura autant d'enfants qui participent à la sortie, que d'enfants qui en reviennent.

C'était toujours à moi que revenaient les plus hautes responsabilités.

Bon, on est toujours content, dans la vie, de servir à quelque chose.

Mes employeurs étaient au courant de mes activités sociales qu'ils toléraient, et ils me laissaient presque libre de mon emploi du temps, pourvu que le travail soit fait, et bien fait.

Donc, ici, pas de problèmes, et j'acceptais la proposition de Rose.

Sur le terrain, je participais surtout au maintien de l'ordre au cours des activités des enfants. Je ne décris pas ici les méthodes que j'ai employées pour cela.

De temps en temps, je recomptais les troupes.

Au retour, après que les parents eurent récupéré leur progéniture, les accompagnateurs baissaient quelques rideaux pour assombrir la pièce, et un tourne-disque et une pile de quarante-cinq tours firent leur apparition. Il y avait maintenant une trentaine de personnes dans la salle.

Pour ne pas avoir l'air de n'être qu'un vieux croûton dépassé, je dansais deux slows, avant de m'éclipser.

La semaine suivante se déroula de la même manière. À la fin, alors que j'avais effectué mes deux slows réglementaires, je me suis senti accroché par le bras, et une voix féminine me demanda.

Pouvez-vous m'accorder celle-là ?

J'aurais dû dire non, mais je ne le savais pas encore.

Alors que le morceau se terminait, elle me chuchota à l'oreille :

Juste le suivant, c'est deux slows qui se suivent.

Alors que les dernières notes de la chanson s'effaçaient, je repris ma liberté après l'avoir remerciée par politesse.



Au moment de sortir, alors que je franchissais la porte, j'entendis : n'oubliez pas, je m'appelle Élodie.

Et, effectivement, je n'ai plus eu l'occasion d'oublier.

Tandis que je réintégrais mon appartement, je ne pouvais m’empêcher de penser que cette fille dansait ses slows d'une manière diantrement serrée.

Je n'avais aucunement l'intention d'initier une aventure avec les jeunettes du patronage, et pour éviter cela, je croyais qu'il me suffisait de partir avant la séquence des danses.

Éternel optimiste.


Cours Mirabeau


Le lendemain, à la sortie du boulot, je me dépêchais, car j'avais rendez-vous avec mes potes pour déguster une glace sur le Cours Mirabeau. Nous étions nombreux. Antoine et Cloé, Gérard et Lucie, étaient présents.

J'étais à peine installé que j'entendis l'énonciation de mon prénom suivi d'un grand "coucou".

C'était Élodie.

Je fis un petit geste gêné de la main en réponse.

Mes amis se méprirent sur mon geste. Ils ont certainement pensé que cette femme était une conquête que je voulais leur cacher.

J'ai eu droit à toutes les vannes que l'on peut imaginer.

C'est pas beau d'être timide comme ça.

Quand on a la chance d'avoir une jolie femme, on ne la cache pas.

Et chacun, d'y aller de sa petite phrase.

Pour finir, ils agrandirent le cercle autour de la table, pour pouvoir y placer une chaise qu'ils installèrent à côté de la mienne.

Et ils l’invitèrent à s’asseoir.



J'étais catastrophé, mais il ne fallait pas que ça se voie.

Elle était petite et nerveuse, objectivement, plutôt pas mal.

Au bout de quelques minutes, elle devint le centre d’intérêt du groupe.

Elle répondait à toutes les questions :

Oui, lui et moi, c'était du sérieux.

Oui, j'ai des idées de prénoms pour les enfants, mais non, je ne les dévoilerai pas.

Non, elle ne voulait pas dire depuis quand on se connaissait.


Et tous ces connards qui buvaient ses paroles.


Je rongeais mon frein, j'aurais voulu crier stop, mais c'était trop tard. Je n'avais pas eu ce courage au début, et il me manquait maintenant, tellement j'étais choqué.

Elle avait réussi à pénétrer le cercle de mes meilleurs amis, et elle avait immédiatement sympathisé avec Cloé, la petite amie d'Antoine.

Et puis, elle racontait qu'elle adorait les enfants, qu'elle voulait plus tard, en avoir plusieurs. Que son boulot consistait pendant la semaine, à s'occuper de marmaille dans une garderie, et le jeudi, des jeunes du patronage.


Moi, je détestais les enfants. Ça n'écoute pas, c'est bruyant, ça change d'idées toutes les trois minutes. Bref, c'est infernal, et je n'en voulais pas.

Et, je devais l'écouter en silence développer ses projets devant une assistance qui semblait me féliciter de la chance que j'avais.


Je me suis levé brusquement, et je suis parti. Personne ne semblait comprendre la raison de mon comportement.

Je me suis rendu au presbytère, et j'ai eu la chance de rencontrer Rose et le curé en grande discussion.

Je leur racontais toute l'histoire, et les ennuis que cela me créait.


Je vis le curé tiquer. Il n'était pas un spécialiste du : comment larguer une femme qui s'accroche à un homme qui n'a rien fait pour la conquérir. Ce n'était visiblement pas sa spécialité.

Il me dit :

Ça va être compliqué.

Bon, ça, je le savais.

Ne lui faites pas de mal, c'est une pure. Elle cherche juste un père pour l'accompagner dans sa vie de mère. Elle est mignonne, et il y a un grand nombre d'hommes qui souhaiteraient certainement être à votre place. C'est le type de femme qui ne vous fera pas dépenser une fortune en bijoux. Et puis, vous menez une vie de bâton de chaise, et il serait peut-être temps de vous fixer.

Il poursuivit :

Vous avez fait du mal à quelqu'un il y a peu de temps que cela vous serve de leçon.

Humanisez-vous, acceptez de vous faire bousculer, résistez à la tentation d'utiliser la violence verbale pour vous en débarrasser. Vous en sortirez grandi, je vous assure.

Là, il se foutait de moi.

Laissez le temps au temps, mais ne soyez pas brutal, on ne joue pas avec les sentiments.

Je ne le laissai pas continuer.

Mon père, j'ai besoin de vrais conseils, des conseils pratiques.

Il répondit :

Je vous les ai donnés.



Me conseillez-vous de continuer à participer aux activités du patronage ?

Oui, bien sûr, c'est l'occasion de lui dire que vous ne voulez pas vous marier ni d'avoir des enfants.

Je décidais donc de prolonger encore un peu ma présence, le jeudi après-midi.



Rose n'avait rien dit. Je ne savais pas si elle partageait les conseils du curé, et si elle était adepte du tendez l'autre joue.

Personnellement, je décidais de me la jouer détaché, de rester décontracté, serein, comme si j'étais extérieur à la situation. Je savais que j'allais bouillir, mais la marmite ne devait pas exploser.

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