1.5 - Froid

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Au début de la semaine suivante, Snow intégra le lycée d'Hartland : un modeste établissement dont l'effectif dépassait à peine les deux-cent élèves. Alors qu'elle finissait d'avaler le copieux petit-déjeuner préparé par Queen, Ashley sonna à la porte. La dernière fois qu'elles s'étaient vues, les deux adolescentes avaient convenu de faire la route ensemble. Au sortir de l'impasse, elles croisèrent Alice, elle aussi sur le chemin du lycée. L'étrange petite les rejoignit alors et toutes trois traversèrent d'un bon pas les rues enneigées d'Hartland. Les badinages rythmaient leur progression, à vrai dire peu aisée, sur les trottoirs glissants.

Snow repéra immédiatement la grosse grille en fer forgée au-dessus de laquelle s'alignaient les lettres : Lycée Public d'Hartland. La rugosité du pavé, qui couvrait presque intégralement la cour, paraît aux très probables dérapages. Seules demeuraient çà et là quelques parcelles de terre d'où émergeaient de solides troncs d'arbres. Personne ne les avait plantés, lui raconta Alice. Ils étaient les vestiges d'une forêt qui se trouvait là, des siècles auparavant. Le lycée s'était bâti autour et l'on avait conservé de la sylve séculaire qu'une vingtaine d'arbres sacrés, aux creux desquels il se disaient que vivaient des esprits. Il s'y étaient endormis à une époque lointaine et ne faisaient dorénavant plus qu'un avec le bois. Ils se confondaient dans l'écorce et la sève et, si l'on tendait l'oreille, il arrivait, paraissait-il, qu'on les entendît chanter. Snow ne savait pas si elle devait y croire ou non. Ce joli conte lui semblait insensé. D'un sourire aussi doux que sa personne, Ashley lui fit comprendre qu'il valait mieux entendre les propos d'Alice pour ce qu'ils étaient : des histoires, rien de plus.

Passée la grille du lycée, se dévoilait le corps principal. Il ressemblait aux autres bâtiments de la ville : la façade boisée enduite de peinture verte et le toit en ardoise. Une tourelle se dressait au centre, exposant le cadran ornementé qui donnait l'heure à tout le quartier.

Le début des cours ne sonnerait pas avant encore un bon quart d'heure, aussi les jeunes filles s'installèrent sur un banc, à l'ombre d'un chêne centenaire. Ravie que la nouvelle intégrât sa classe, Ashley lui énuméra les matières qui composaient leur emploi du temps ce jour. Snow ne l'écoutait qu'à moitié, son regard curieux baladé entre les troncs mystérieux et jambes empressées qui fendaient l'esplanade. Lesquels de ces jeunes gens se trouveraient dans sa promotion ? Sans qu'elle sût dire pourquoi exactement, la population d'Hartland lui parut bien différente de cette de Williston.

Alors qu'elle tâchait d'élucider cette énigme, Ashley se tut soudain. Sans doute s'était-elle aperçu de son manque d'intérêt, peut-être cela l'avait-il même offensé. Snow rassemblait les mots de piètres excuses – un tas de neige qui, sitôt modelé, s'effondrerait en une coulée informe – quand elle remarqua, à demi soulagée, que le regard de son amie ne se portait pas sur elle.

En vérité, le silence régnait sur la cour tout entière. Tous les yeux convergeaient avec méfiance, mépris, voire un zeste de malveillance, vers le portique tout juste franchi par une camarade à l'air singulier. Tête baissée, cette dernière parcourut le pavé en ligne droite, faisant fi du verglas qui craquait sous les épaisses semelles de ses bottes montantes. Un manteau rouge vif enveloppait ses épaules, la capuche rabattue masquait pour l'heure son visage.

— Qui est-ce ? s'intrigua Snow.

— Red Wood, répondit Ashley.

L'apparente neutralité de son ton ne dupa pas son amie, déjà habituée à sa délicatesse ordinaire. Elle y décela la froideur, et la crainte même, que sa voisine espérait taire. D'instinct, Snow interrogea Alice du regard, dans l'espoir que la conteuse locale saurait assouvir sa curiosité croissante.

— Red Wood, répéta Alice. La fille qui a tué le loup !

— Elle veut parler de son voisin, traduisit Ashley. Byron Wolf. Il louait sa boutique à la grand-mère de Red et, il y a environ un an, alors qu'il venait collecter le loyer, cette tarée l'a poignardé. Byron est mort, vidé de son sang. Red sort tout juste de détention. Personne ne va accueillir une meurtrière à bras ouverts.

Du coin de l’œil, Snow suivit l’indésirable qui gagnait le bâtiment sous les regards noirs de tous ses camarades. Nul ne se risquait pourtant à huer son passage, tant la menace brandie par son chaperon sanguin devait intimider. Le silence se révélait toutefois plus violent que ne l'aurait été les plus rudes invectives. Lui seul exprimait la puissante révulsion que chacun éprouvait envers cette criminelle.

— Pourquoi a-t-elle tué Byron ? insista Snow.

— Une pulsion, c'est ce qu'elle aurait dit aux enquêteurs. Elle prétend qu'elle n'a pas pu se contrôler. La Cour n'a pas voulu reconnaître l'irresponsabilité pénale, mais tout le monde sait que Red est folle.

— C'était son destin, rien de plus, trancha Alice.

Red n'était déjà plus qu'un point rouge, au loin, poussant la porte pour se réfugier dans le vieux bâtiment. Snow baissa les yeux. Le destin, voilà un concept qui la répugnait. Si tout se trouvait écrit par avance, alors chacun n'était qu'un pion et la vie dénuée de sens. Elle, chérissait l'idée et se persuadait que tout individu est maître de son devenir. Si l'ignoble Red avait versé le sang, cela relevait nécessairement d'un choix bien pesé.

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