2.1 - Refuge

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Snow ouvrit péniblement les yeux. Au travers des rideaux, la lumière du soleil s’infiltrait dans la chambre. L'adolescente se redressa et regarda au bas du lit. Le matelas au sol était vide, les couvertures défaites : Red s'était déjà levée. Quelle heure pouvait-il être ? En vérité, Snow ne voulait pas le savoir. Le temps s'était arrêté depuis la mort de Queen, depuis qu'elle avait pressé la détente et foutu son innocence en miettes. À compter de ce jour, elle n'avait plus mis le nez dehors. Elle redouter les élans de compassion de tous ceux qui pensaient Queen disparue, car la dépouille de sa belle-mère demeurait introuvable et tous en ville continuaient d'espérer son retour. Snow se sentait terriblement coupable. Le remord la rongeait un peu plus chaque jour.

L'orpheline avait élu domicile dans l'appartement de Rosa, au-dessus de la boutique de vêtements. La vieille dame n'avait guère beaucoup de sympathie pour les gens d'Hartland, sans doute parce que tous regardaient sa petite-fille d'un mauvais œil. Elle concevait en revanche une sincère amitié pour Queen, en conséquence de quoi elle s'était montrée bienveillante envers Snow, avait obstinément refusé qu'elle fût confiée aux services sociaux avant que sa belle-mère n'eût été retrouvée et l'avait accueillie chez elle. À cause de l'épaisse couche de neige, qui coupait toujours la bourgade du reste du pays, les autorités locales n'avaient pas opposé trop de difficulté.

Rosa Wood ne brillait pas par sa chaleur et, bien qu'elle se montrât familière, elle n'assommait Snow d'aucune pitié. Jamais elle n'évoquait le nom de Queen, jamais même elle n'abordait le sujet en sa présence. Rosa respectait son silence.

Snow ne savait pas exactement depuis combien de temps elle logeait là. Elle avait pris ses quartiers dans la chambre de Red et, après avoir lourdement insisté pour laisser son lit à l'invitée, cette dernière passait ses nuits sur un matelas posé au sol. L'intrigante rousse se levait toujours la première. De ce que Snow savait, elle allait crapahuter dans les bois chaque matin avant d'aller en cours, et s'y attardait également le soir sur le chemin de l'appartement. Red avait beau révéler un certain sens de l'hospitalité, elle n'en était pas moins farouche, et Snow peinait à lui accorder entièrement sa confiance. Cela dit, l'adolescente voyait mal vers qui d'autre se tourner, à présent que Red partageait et protégeait son plus lourd secret.

Suite au drame qui avait précipité la perte de Queen, l'orpheline n'avait pas trouvé le courage de remettre un pied au lycée. Plusieurs fois, Ashley lui avait fait parvenir des pâtisseries, par l'intermédiaire de Rosa. Les quelques fois où elle avait sonné à la porte, jamais Snow n'avait daigné quitter la chambre pour saluer son amie. Elle ne voulait voir personne, et surtout pas Ashley. Se tenir en face de la bonté incarnée ne pouvait que lui rappeler sa propre ignominie.

Snow passait ses journées dans ce lit, à se retourner dans tous les sens, à se laisser ronger par les remords, à essayer de trouver le sommeil. Jamais elle ne pouvait dormir sans qu'un cauchemar ne vînt la hanter. Les mauvais rêves faisaient souvent écho au crime qu'elle ne pouvait occulter. Durant plusieurs semaines, elle n'avait quasiment pas mangé. Elle avait considérablement maigri et flottait dorénavant dans ses vêtements. De plus en plus insistantes, Rosa et Red la forçaient sans cesse à avaler quelque chose et, par reconnaissance, l'adolescente finissait quelque fois par céder. Cependant, ses repas n'étaient pas copieux. Elle continuait à perdre du poids, enfermée seule dans cette chambre.

Elle se laissa retomber sur le matelas, se roula en boule et referma les yeux. Elle voulait que le temps s'arrêtât. Elle voulait effacer ses pêchés. Mais il restait là, ce souvenir indélébile, et prenait de plus en plus de place. Il était devenu si lourd que l'adolescente ne pouvait plus se mouvoir. Elle n'en trouvait plus la force. Torturée, elle n'allait nulle part. Elle voulait juste que le monde, lui aussi, cessât soudain de tourner.

— Snow !

La porte s'ouvrit et la lumière pénétra subitement dans la pièce. Red se tenait, droite comme un piquet, dans l’entrebâillement. L'intéressée gémit avec agacement et s'enroula un peu plus dans ses couvertures, enfouissant son visage sous le draps. Lâchant un soupir, la rousse vint s'asseoir au bord du lit.

— Tu sais, affirma-elle, ça ne sert à rien de rester couchée là à broyer du noir. Je comprends que c'est difficile. Je sais que tu as mal. Mais ce qui est fait est fait. Il est temps maintenant d'accomplir notre vengeance. Tu as dit être de mon côté, Snow. Je t'ai laissé du temps. Maintenant, j'ai besoin que tu me prêtes main forte.

L'adolescente se redressa dans le lit et secoua sa chevelure brune afin d'écarter les mèches rebelles qui fouettaient son visage.

— Regarde-toi ! s'exclama Red. J'ai l'impression de conserver un cadavre dans ma chambre, un corps qui se décompose tout doucement devant moi. Je ne vais pas te laisser crever sur place ! Allez ! Debout maintenant !

L'impitoyable succube tira d'un coup franc les couvertures qui endiguaient les jambes chétives. Toujours assise sur le lit, Snow leva sur elle son regard vide.

— Bon sang ! grogna Red. Tu sais depuis combien de temps tu restes cloîtrée là ?

L'autre secoua la tête, lentement. Plus rien ne trouvait de sens dans son esprit : ni le temps, ni les mots, ni la colère de son interlocutrice. Tout la laissait indifférente.

— Le temps s'est arrêté, murmura-t-elle.

— Non, Snow ! Ici la Terre ! Les aiguilles courent toujours sur l'horloge. Ça va faire un mois et demi que tu passes tes journées enfermée dans le noir comme un vampire ! Est-ce que tu es vivante ?

— Je ne sais plus...

— Permets-moi de trancher : tu es toujours parmi nous ! Et tu t'es engagée à m'aider à arrêter la malédiction qui nous a fichues dans le pétrin. Tu te souviens ? Vas-tu manquer à ton engagement ? Ta promesse, ce n'était que du vent ? Ce n'est pas l'image que j'ai de toi. Ça me décevrait, si c'était le cas. Quand bien même, il te reste une bonne raison d'honorer ta parole. Comprendre ce qui t'es réellement arrivé, ça apaisera tes maux. Mettre un terme au sortilège dont tu as été victime, c'est la seule façon de faire ton deuil.

Snow fixait Red sans la moindre émotion. Il est dit que les yeux sont les fenêtres de l'âme : son esprit à elle baignait dans le néant, aussi vide et obscur que ses pupilles sombres. Red serra les dents.

— Je t'en prie, insista-t-elle avec une pointe de supplication.

— Je peux me lever, lâcha Snow. C'est sortir qui me pose problème. Voir tout le monde me considérer avec condoléance alors que je suis une putain de meurtrière !

Dans un nouveau soupir, plus proche du grognement, Red se leva du lit.

— Je ne voulais pas en arriver là, mais dans ces circonstances...

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