2.3 - La Bonne Fée

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Snow frappa à la porte de la maison d'Ashley, au bout de l'impasse où se dressaient les murs désolés que Queen et elle n'habitaient plus. Ce fût sa tante – la femme la plus acariâtre que l'adolescente avait jamais rencontrée – qui la reçut. Après un temps d'hésitation, elle appela sa nièce. Snow eut l'intuition furtive qu'elle n'entrerait jamais dans cette maison. Tout le monde avait des choses à cacher à Hartland. Seulement, certaines personnes se montraient plus soucieuses que d'autres de protéger leurs sombres secrets. La vie d'Ashley n'était pas rose ; sa tante avait tout intérêt à ce que personne ne découvrît jamais à quel point.

Descendue par l'escalier, son ancienne voisine enfila son manteau rapiécé et se précipita dehors à sa rencontre. En silence, les deux jeunes filles prirent la direction de l'aire de jeux. Elles s'assirent sur le toboggan et se scrutèrent un moment avec gêne.

— Ça fait longtemps, remarqua Snow, sans trop savoir comment briser la glace.

Ashley acquiesça.

— Je suis désolée de ne pas avoir été là pour te soutenir dans les moments les plus durs. Mais tu comprends, Red...

— Elle n'est pas méchante. Queen était proche de Rosa, alors...

Évidemment, elle ne pouvait pas lui révéler ce que Red avait accompli pour elle. Aussi prit-elle le parti d'exprimer sa reconnaissance envers sa grand-mère et elle, qui l'avaient accueillie et nourrie jusqu'alors. Faute d'entrevoir la culpabilité qui consumait son amie, Ashley brandit l'optimisme en guise de réconfort :

— Je suis sûre qu'on retrouvera la trace de Queen. Elle ne t'aurait jamais abandonnée. Elle a sûrement eu une urgence, en-dehors de la ville. Pour un raison ou une autre, elle ne peut pas nous joindre... J'espère qu'il ne lui est rien arrivé.

Snow serra les dents. Elle devait lutter pour garder le silence, pour taire le crime honteux qui la souillait jusqu'à la moelle. Elle finit par opter pour la seule réponse rationnelle :

— Moi aussi.

Ashley parut embarrassée. Soucieuse de détendre l'atmosphère glaciale, Snow se creusait la tête à la recherche d'une conversation plus joyeuse. Dans son esprit pourtant, tout n'était que ténèbres, chaque anecdote minée de nuances obscures. Alors que l'adolescente suffoquait sur place, égarée dans les recoins les plus tortueux de sa tête, Ashley, sans s'en douter, vint à son secours.

— J'ai quelque chose à te dire.

Snow leva sur elle un regard interrogateur.

— Je peux imaginer ce que tu traverses. Mais, aujourd'hui plus que jamais, je suis convaincue qu'il ne faut pas perdre espoir. Garde la foi, parce qu'un jour tout s'arrange. Tu dois te dire que je suis naïve...

— Au contraire, ton optimisme fait plaisir à voir. J'aimerais être capable de prendre exemple...

— Il m'est arrivé quelque chose d'incroyable, Snow !

La brune fronça les sourcils, dans l'attente de plus amples détails. Pour seule information, Ashley tira de sa poche une coupure de journal chiffonnée et la lui glissa en main. Snow déplia la page. La publicité d'une agence au nom enchanteur de La Bonne Fée. Sous les lettres capitales, figurait le dessin d'une petite magicienne, tout droit sortie d'un Tex Avery, les ailes déployées, un baiser au bord des lèvres, la paume ouverte sur un cœur lumineux apparu par enchantement. La poussière magique, au dessous, esquissait les contour du slogan aguicheur : « Trouvez l'amour en un coup de baguette ! ».

En bas de page, des pattes de mouches à peine lisibles détaillaient les formalités d'adhésion. Il suffisait d'envoyer à l'adresse indiquée un courrier comportant la présentation la plus complète possible ainsi que les coordonnées de l'envoyeur. La Bonne Fée se chargerait ensuite de mettre en lien ce cœur esseulé avec son âme sœur, en fonction des affinités pressenties dans leurs lettres. Mis à part un timbre et une enveloppe, la procédure n'occasionnait aucun frais. C'était presque trop simple. Ça puait l'entourloupe à plein nez.

— Tu crois vraiment à ces trucs-là ? persifla Snow.

— Pas toi ? s'étonna sincèrement Ashley.

— Je suis méfiante. Pourquoi quelqu'un perdrait son temps à décortiquer des lettres de désespérés et jouerait les apprentis Cupidon sans aucune rémunération ? Tu ne trouves pas ça louche ?

— Non. Ça doit juste être un truc du journal local pour la Saint-Valentin. Après tout, le monde est plein de doux rêveurs !

Tout en roulant des yeux, Snow rendit à la blonde son morceau de gazette.

— Un garçon m'a répondu, confessa cette dernière.

— Il a un nom, ce garçon ?

— Henri. La Bonne Fée est une experte, tu sais ! On a tout un tas de points communs. J'ai tout le temps hâte de lire ses lettres !

— Depuis combien de temps ça dure ?

— Quelques semaines... Je crois qu'il me plaît vraiment.

Un soupir amer échappa à Snow. Elle s'en voulait de ne pas être en mesure de partager la joie de son amie, mais cette histoire semblait si farfelue qu'elle en devenait suspecte.

— Je dois rentrer, prétexta-t-elle. Promets-moi de faire attention, Ashley.

— Promis !

Red hocha la tête d'un air concerné et ramena ses genoux contre sa poitrine, les pieds serrés sur sa chaise de bureau.

— Quoi, c'est tout ? s'exaspéra-t-elle. Tu ne lui as pas demandé plus de détails ?

— Non, admit Snow, penaude, en se laissant choir sur le lit. Je me voyais mal lui faire passer un interrogatoire, alors que je n'ai pas donné signe de vie pendant tout ce temps.

— Mais vous êtes censées être de bonnes amies, insista Red. C'est normal de s'intéresser aux histoires de cœur de ses amis, non ? Ça ne change rien que vous ne vous soyez pas vues depuis un bail.

Snow soupira d'agacement.

— Il me faut plus d'infos, exigea son hôte sur un ton implacable.

— J'y connais rien, moi, en histoires de cœur ! geignit la brune en fourrant son visage au creux de l'oreiller. C'est pas contre toi, ni contre Ashley. C'est juste pas mon truc. Je n'ai jamais été amoureuse alors, quand les gens me déballent leur vie sentimentale, je n'arrive pas à m'intéresser... et puis j'oublie d'écouter.

— T'as un sérieux problème, Flocon !

— D'où tu me donnes des surnoms ? Et rappelle-moi laquelle de nous passe son temps à errer dans les bois comme un putain de feu follet parce qu'elle est incapable de se faire des amis ! T'es sûre que c'est moi qui ai un problème ?

Red se leva d'un bond, dans le fracas de la chaise renversée.

— Tu dépasses les bornes, Snow ! Écoute, j'ai pas envie de me prendre la tête avec toi. Alors, mets tes putains de carences affectives de côté et fais au moins semblant d'en avoir quelque chose à foutre.

Voilà que la brune aussi sortait de ses gonds, soudain redressée comme un clown sur ressort.

— Je n'ai aucune carences affectives, enfoirée de succube !

— Oh, je suis un démon maintenant ? J'aimais bien le feu follet, mais là, tu y vas fort. Aucune tristesse ne t'autorise à être une peste, Flocon. Note bien ça, si tu veux pas que je t'expédie fissa dans mon deuxième cercle de l'Enfer.

Avant qu'elle pût lui opposer une nouvelle riposte – certainement pas des excuses ! – l'interlocutrice de Snow avait quitté la chambre.

L'adolescente replongea sur le lit en bramant une plainte. L'autre maudite succube rousse jouait avec ses nerfs. Tout ceux qu'elle avait eus pour parents étaient morts. Évidemment, qu'une béance indicible lui perforait le cœur. Qu'est-ce qu'un feu follet fourbe et solitaire pouvait bien en savoir ? Qu'est-ce que Red pouvait bien connaître de l'amour, en-dehors des rares égards d'une mamie alcoolique ? Snow avait reçu de l'amour, plein d'amour. Elle avait eu des amis, un père attentionné et une belle-mère pleine d'affection. Pas besoin d'être amoureuse pour comprendre les pulsions qui font tourner un cœur. Snow n'enviait ni l'amour débile d'Ashley, ni la frustration palpable de sa colocataire, ni tous les idiots qui s’agglutineraient amoureusement dans les trois seuls restaurants de la ville pour célébrer la Fête des Cœurs la moins intime du monde. L'amour rendait aveugle et fou, dans les livres. Que dire des princesses mièvres qui tombaient dans les bras du premier inconnu, pour peu qu'il fût riche et beau ? Très peu pour elle. Snow cumulait déjà les erreurs, elle ne commettrait jamais celle de tomber amoureuse. Avec la chance qu'elle se payait, à la seconde où elle aimerait, le cruel destin lui arracherait une fois encore son être le plus cher.

— Pourquoi est-ce que je pense des trucs pareils ? maugréa-t-elle.

Elle roula sur le lit et enfouit sa figure dans la couverture pour étouffer un hurlement de rage. La porte s'ouvrit en grinçant. La bouche de Red embrassa l'entrebaillement.

— T'as fini ta crise, Flocon ? Le repas est servi.

Snow essuya d'un revers de la manche les larmes coagulées au rebord de ses yeux, puis elle quitta le lit.

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