1.8 - Malédiction

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Après le repas du soir, Queen s'installa dans le canapé en vue d'éplucher l'un des manuscrits fraîchement reçus. Snow débarrassa la table et fit la vaisselle. Alors qu'elle finissait de s'essuyer les mains dans le torchon, sa belle-mère se leva pour remettre dune bûche dans le poêle et attiser le feu. La chaleur de la pièce se faisait étouffante, Snow suffoquait. Elle accourut dans l'entrée.

— Je vais faire un tour dans l'impasse, toussa-t-elle tout en s'empressant d'enfiler son manteau.

— Ne t'éloigne pas trop, recommanda Queen. On ne sait jamais ce qui peut roder dans le coin !

Snow fronça les sourcils. Quels dangers pouvaient donc se tapir dans une ville aussi petite et paisible qu'Hartland ? Outre les ours ou les loups de la forêt voisine, qu'elle ne redoutait guère de croiser en pleine rue, la seule menace locale se trouvait être Red Wood.

L'adolescente referma la porte sans une réponse aux recommandations de sa belle-mère, puis marcha d'un bon pas jusqu'à l'aire de jeux. En parvenant à hauteur des balançoires, elle aperçut Alice assise sur l'une d'elles. Elle prit place à côté d'elle et imita son oscillation régulière. Songeuse, l'adolescente hésitait quant à interroger celle qui prétendait tout savoir des habitants d'Hartland. Après plusieurs minutes, Snow rompit finalement le silence.

— Elle m'observe. Red Wood. Qu'est-ce qu'elle me veut ?

— Je ne sais pas, murmura Alice. Tout est fini pour elle, le destin ne lui a pas réservé de fin heureuse. Ce n'est pas d'elle qu'il faut se préoccuper. Après-demain, nous serons le vingt-quatre décembre. La catastrophe annuelle ne devrait pas tarder à se produire.

Du bout du pied, enfoncé dans la neige, Snow freina le mouvement de sa balançoire.

— La catastrophe annuelle ? Répéta-t-elle incrédule.

— C'est cela. Hartland est une ville maudite. C'est l'homme au chapeau qui me l'a raconté, une nuit, alors que j'étais encore petite fille. Il a dit que plus jamais cette ville ne connaîtrait des festivités joyeuses. Et il avait raison. Les gens tentent de l'ignorer, essayent de mettre ça sur le compte du hasard. Mais depuis que ces rêves me sont apparus, chaque fête a été gâchée par une sordide affaire.

— Quelle genre d'affaire ? questionna encore Snow.

Alice ferma les yeux dans un soupir. Son siège allait et venait de plus en plus vite, de plus en plus haut. Prise dans un tel élan, sa petite voix criait presque.

— Ça a commencé quand j'avais neuf ans. Cette année-là, Belle a épousé Erwan Blawst. Je suppose que tu comprends pourquoi c'est un vrai gâchis.

Snow haussa les épaules :

— Après tout, si elle l'aime comme ça...

— L'année suivante, la coupa Alice, les parents d'Ashley sont morts dans un accident de voiture. Personne n'a jamais compris pourquoi ils avaient emprunté cette route enneigée. Le lapin me l'avait prédit dans un rêve, mais je n'y ai pas cru. Par la suite, j'ai essayé d'avertir les gens, mais personne n'a jamais voulu m'écouter.

— Et les autres catastrophes ?

Selon Alice, chaque fête à Hartland conduisait à un drame. Elle en énuméra tant que Snow peina à les mémoriser. Une année, on avait retrouvé une jeune fille de seize ans inconsciente. Elle n'était pas sortie du coma depuis. Une autre fois, une jeune femme dépressive s'était pendue par les cheveux aux barreaux de sa fenêtre : suicide théâtral mais néanmoins réussi. Il y avait aussi eu ce jeune garçon, adopté juste avant Noël, dont la famille d'accueil avait subitement découvert l'étrange maladie : les uns après les autres ses membres se paralysaient et devenaient aussi durs que du bois.

— L'année passée, ajouta Alice, toute la ville préparait joyeusement les fêtes de Noël le jour où Red a planté sa dague dans la chair de Byron Wolf. Et, si tu veux mon avis, Queen est revenue pour achever son destin.

Snow bondit de sa balançoire.

— Qu'est-ce que Queen a à voir là-dedans ? s'emporta-t-elle.

Elle ne voulait pas croire en une malédiction. Cela lui semblait insensé. Quant à sa belle-mère, l'unique personne en qui elle voyait une famille, elle ne voulait pour rien au monde la savoir impliquée dans l'un de ces tragiques événements.

— Il y a de ça trois ans, expliqua calmement Alice en posant pieds à terre, la petite Hansy et son frère Garrett se sont rendus chez Queen pour recevoir leur part de la maison en pain d'épice. Je les ai vus rentrer chez elle. Je ne sais pas s'ils sont ressortis, mais personne ne les a plus jamais revus depuis ce soir-là. Des rumeurs ont couru sur Queen. Certains disent que ce ne sont que des rumeurs. Moi, je sais qu'elle les a tués.

S'en était trop pour l'adolescente. Sans plus pouvoir se contrôler elle leva le bras et assena une gifle rageuse sur la joue de la petite.

— Comment peux-tu dire une chose pareille ? explosa-t-elle.

Sans faire cas de son emportement, Alice appuya sa main sur son visage pour apaiser la douleur et, doucement, un étrange sourire s'installa sur ses lèvres. Toujours aussi sûre d'elle, elle insista d'un ton posé :

— Il y a un coffret dans le salon de Queen. La clé se trouve dans le tiroir de sa table de chevet. Je l'ai vu dans un rêve. Ouvre-le, et tu verras que je ne mens pas.

Sur ces mots, la petite souhaita bonne nuit à Snow et s'éloigna tranquillement jusqu'à chez elle. L'adolescente resta seule, debout dans la neige, en proie aux doutes qui lui rongeaient le cœur.

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