1.13 - Mensonges

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Ses mains tremblaient lorsque l'adolescente souleva l'énorme bottin du meuble de l'entrée. Les larmes à peine calmées resurgirent en torrent, dès qu'elle entrevit le tiroir vide. Si elle n'en avait pas ôté le pistolet, que serait-il advenu ? Queen serait encore de ce monde, quant à elle...

Le doigt flageolant écuma les numéros de toute la ville, la lecture contrariée par le voile de ses pleurs, jusqu'à la page des W. Son index stoppa sur la ligne de la boutique de vêtements. L'ongle accroché à la page, la déchirant bientôt, Snow se laissa choir jusqu'au sol, sous les porte-manteaux. Abattue de chagrin, de colère et de honte, elle déversa sans trêve toutes les eaux de son corps. Trois heures durant, elle demeura prostrée, gémissante, sur le plancher du vestibule. En quête d'un peu de chaleur, son visage s'enfouissait tantôt dans son manteau sale. Alors la neige froide lui fondait à la joue, lui refusant ce réconfort qu'elle ne méritait pas.

À l'heure convenue, elle ravala bruyamment la tristesse agglutinée dans ses narines, tira sur le cordon pour faire basculer entre ses mains le combiné du téléphone et composa le numéro. À l'autre bout du fil, la voix ivre de Rosa Wood lui répondit, avec la formalité réservée aux clients.

— Je suis une camarade de Red. J'aimerais lui parler. Est-ce qu'elle est là ?

La ville commerçante lui passa sa petite-fille sans autre cérémonie. Sans véritablement laisser le temps à Snow d'en placer une, la criminelle rousse enchaîna les réplique avec l'aisance d'une actrice les répliques. Chacune corroborait un peu plus leur mensonge, laissant croire à Rosa que Snow, demeurée seule chez elle, se faisait un sang d'encre pour la belle-mère qui ne rentrait pas. Snow ne décrocha pas un mot. Elle laissa à Red le soin d'achever son monologue le plus naturellement possible.

— Ne bouge pas, Snow. J'arrive tout de suite. Ne t'inquiète pas, je me dépêche.

Quelques minutes plus tard, Rosa et elle grimpaient le perron de la maison et sonnaient à la porte. Snow leur ouvrit, les joues encore inondées de larmes.

Le soit venait de tombait et il faisait déjà nuit noire. Grand-mère et petite-fille guidèrent l'orpheline jusqu'au poste de police, où un seul officier assurait la permanence pour le réveillon. Il prit la déposition de Snow en vitesse, prétextant qu'il n'y avait là nulle raison de s'inquiéter. Cela faisait moins de vingt-quatre heures que l'on avait vu Queen, trop tôt pour la porter disparue. La vieille dame, qui avait très probablement forcé sur le whisky cet après-midi encore, s'emporta, accusa l'incompétence du policier sans cœur.

— Vous avez seulement idée de la peur que cette gamine doit ressentir ? Livrée à elle-même le soir de Noël ?

Snow, restée en retrait, s'efforçait de dissimuler sa gêne face à cette gigantesque comédie.

Au sortir du commissariat, Red proposa aimablement de la raccompagner tandis que sa grand-mère prenait la direction du Blue Bird, avec la ferme intention de noyer les émotions de la soirée dans quelques verres d'alcool. Les deux jeunes filles traversèrent les rues dans l'obscurité, levant les yeux sur les illuminations qui égayaient le ciel morne.

— C'est la seule chose que j'aime à Noël, murmura Red, cette idée de toujours trouver une lumière dans l'obscurité.

Elle s'arrêta quelques secondes et fronça les sourcils.

— Enfin, bien sûr, dans une ville aussi perdue que la nôtre, on finit toujours pas avoir des coupures de courant qui durent quelques jours. Mais bon, c'est une autre histoire...

Snow prêtait attention à ce qu'elle disait, mais elle n'avait pas le cœur de parler. Le coup de feu résonnait dans sa tête, encore et encore ; l'image de cette neige baignée de rouge lui frappait sans relâche la mémoire. Tout ce temps, se rendait-elle compte, elle avait tenu l'arme en main.

Le silence et l'amertume régnèrent jusqu'au bout de l'impasse, jusqu'à ce qu'elles parvinssent devant la maison de Snow. Alors que cette dernière tendait les clés vers la serrure, Red se planta sur le perron et se mordit les lèvres.

— Je suppose que je ne devrais pas te souhaiter un joyeux Noël. Alors, je ne sais pas trop quoi te dire. Tu sais où me trouver si tu as besoin de moi.

Déjà, elle tournait les talons. Sans réfléchir,n Snow agrippa la manche de son long chaperon rouge.

— Tu ne veux pas entrer ?

L'autre la dévisagea.

— Tu seras seule en rentrant, insista Snow, et moi aussi je suis seule. Je crois qu'on a de plus en plus de points communs, d'ailleurs... Pourquoi tu ne resterais pas un peu ?

Red ne se fit pas prier davantage. Elle emboîta le pas à son hôte dans la maison morbide. Il faisait y froid, presque autant qu'à l'extérieur. Et pour cause, le poêle se trouvait éteint. Snow chercha en vain de quoi alimenter le feu ; la réserve de bois était vide. La jeune fille déglutit.

— Queen était vraiment sortie couper du bois...

Les bras croisés sur sa poitrine et les jambes grelottantes, Red prit place sur le canapé. La chaudière fonctionnait mal et, faute de pouvoir faire un feu, Snow gagna l'étage pour rapporter des couvertures. Elle tendit la plus chaude à son invitée. Toutes deux s'enroulèrent dans les épaisses étoffes et se recroquevillèrent sur le sofa. Les minutes s'écoulèrent sans qu'aucune ne dît mot. Enfin, un grondement rompit le calme morne. Red porta la main à son ventre. Un léger rire se mêla à la peine sur les lèvres de Snow.

— Tu as faim, semble-t-il.

— Un peu, marmonna Red. J'ai passé la journée à te courir après et je n'ai rien eu le temps d'avaler.

Le sourire de Snow laissa place à un air dubitatif.

— Pourquoi me courais-tu après ? s'intrigua-t-elle.

Se dégageant de sa couverture, Red s'extirpa du canapé.

— Je t'observe depuis ton arrivée. Tu es spéciale, Snow. Tu étais une cible de choix. J'étais certaine que la malédiction d'Hartland te désignerait cette année, toi l'inconnue, toi qui ne connais personne, pas vraiment. Je voulais pouvoir intervenir à temps. Désolée, je suis arrivée trop tard...

Tout en s'expliquant, la succube rousse avait pris le chemin de la cuisine. Elle alluma la lumière et, du bout des doigts, arracha l'une des tuiles de la maison de pain d'épice. Elle porta le biscuit à sa bouche. Snow bondit sur-le-champ du canapé et se jeta sur le plan de travail.

— Non ! Ne mange pas pas ça !

Red s'immobilisa, le morceau de gâteau au bord de des lèvres. Le rire et la crainte se disputaient sa mine décontenancée.

— Qu'est-ce qui ne va pas avec ça ? interrogea-t-elle Snow.

— Crois-moi, si tu le manges tu vas...

— Mourir ? ironisa l'invitée.

Sans laisser le temps à son hôte de lui répondre, elle engloutit le biscuit. Immédiatement, elle en décrocha un autre du toit de la maison, qu'elle croqua également. Figée sur-place dans le salon, Snow, la regarda dévorer ainsi la moitié des tuiles, sans oser faire un geste. Elle guettait des prémices qui, plus le temps filait, perdraient de risque d'advenir.

— Tu ne veux rien ? s'assura Red. Tu dois avoir faim, toi aussi. Et puis, franchement, c'est délicieux !

Snow hésita un instant. La peur au ventre, elle contourna résolument le plan de travail et décrocha de la sculpture une grosse pomme d'amour. La main tremblante, elle l'approcha lentement de son visage et mordit dedans à pleines dents. Elle mâcha, avala, reprit une bouchée et continua ainsi jusqu'à ingérer entièrement le fruit défendu. Elle attendit. Les minutes s'écoulèrent et elle commença même à espérer que son cœur s'arrêtât subitement, que la mort s'abattît sur elle aussi violemment que sur sa belle-mère. Mais la mort n'eut pas le moindre égard pour elle. Snow lâcha le bâton de la friandise ; ses joues ruisselantes se muèrent en marais salins. La voyant vaciller, Red se précipita auprès elle et lui saisit les mains.

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

Snow ravala un sanglot et articula avec difficulté :

— Ce n'était pas... empoisonné.

— Bien sûr que ça ne l'était pas. À quoi tu t'attendais ?

Les jambes de Snow se dérobèrent sous le poids de son corps, alourdi par le chagrin. Elle n'y comprenait plus rien. Red la soutint pour l'empêcher de tomber et la guida doucement vers le sofa.

— Je veux que tu me racontes tout. Tout ce qui s'est passé, avec autant de précision que possible. Tu peux faire ça, s'il te plaît, Snow ?

Ses paroles étaient hachées, sans cesse interrompues par les pleurs gorgés de rage. Comprenant qu'elle ne pourrait rien tirer d'elle dans l'immédiat, Red l'allongea, la tête sur ses genoux, et la serra contre elle jusqu'à ce que cet orage dans ses yeux se tarît. Enfin, sans même oser lever les yeux sur elle, Snow consentit à lui livrer l'exact récit des événements.

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