2.8 - Corbeau

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Les aiguilles perpétuaient leur course vaine sur le cadran de la pendule. La tête renversée, jambes tendues sur l'assise du canapé, Snow les fixait sans entrain. L'après-midi était déjà bien entamé. Après une rapide collation, Rosa avait regagné l'atelier, laissant l'orpheline seule dans le séjour. Que faisait Henry à cette heure ? Et que faisait Red ? Il essuyait le bar, toujours impeccablement lustré, sous la lueur bleutée des abat-jours égyptiens. Elle l'épiait, assise sur une banquette contre la baie vitrée, aussi indiscrète qu'à son habitude.

Snow hésita. Elle aurait pu se changer, braver la neige jusqu'au Blue Bird et s’asseoir à sa table. Au milieu de tous les couples endimanchées ? Ça aurait fait jaser. Elle se ravisa. Red pouvait bien la jouer cavalier seul ! Elle ne lui manquait pas, elles n'étaient même pas amies, tout juste liées par un pacte d'intérêts. Bien sûr, cette démone en cape rouge ne lui avait tendu la main que pour exiger son aide. Rien à voir avec de la pure compassion. Sans Red, pas d’œillades distantes ni d'aigreur rigide. Ça lui faisait des vacances !

— C'est ça, mieux vaut être seule qu'en mauvaise compagnie.

La pendule sonna trois heures. Le tintement rauque martelait les nerfs de Snow, déjà soumis à rude épreuve.

— Ok. Pas question de me tourner les pouces pendant que tu joues les justicières ! Voyons voir... Par où commencer ? Missy James... Irina Howard...

Bien décidée à essorer les maigres indices qu'elle avait pu glaner, Snow se mit en quête d'un bottin, qu'elle dénicha à l'issue d'une fouille méticuleuse, dans le placard d'un vieux bahut. L'édition datait de l'année précédente. Elle éplucha les noms jusqu'à débusquer une Missy James, domiciliée à Fargo. À en croire Rosa, celle-ci était encore en vie. Snow attrapa le téléphone et composa le numéro. Un grésillement succéda aux sonneries répétées, à l'autre bout du fil. Enfin, une voix suave roula les lettres d'une douceur sulfureuse :

— Allô ?

— Bonjour, entama Snow, je désirerais parler à Missy James.

— C'est moi. C'est à quel sujet ?

— C'est au sujet de votre ex-compagnon, Henry Proe...

Plus de tonalité. Sans lui laisser le temps d'achever sa demande, la dénommée Missy avait raccroché. Snow lâcha un soupir. Voilà qui confirmait au moins que la femme n'était pas morte. L'adolescente tenta bien de rappeler le numéro, mais plus personne ne répondit.

Digérant ce premier échec, elle se replongea dans l'énorme répertoire, à la recherche cette fois d'irina Howard. Elle en localisa d'abord une en Virginie. L'appel fut bref. La femme déclara ne connaître aucun Henry, pas plus que la petite bourgade d'Hartland. Snow n'écarta pas la possibilité qu'il pût s'agir d'un mensonge, mais elle poursuivit sa fouille sans renoncer. Après deux autres appels infructueux vers le Nebraska et l'Ohio, elle découvrit le numéro débusqua une dernière Irina Howard, à Clearwater, en Floride. À bout de patience, la jeune fille se saisit une nouvelle fois du combiné et, d'un doigt engourdi, fit tourner le cadran. La Floride, c'était à l'autre bout du pays. Était-ce là-bas que l'ex-femme d'Henry avait mis les voiles sans laisser de trace ? Snow s'apprêtait d'ores et déjà à essuyer une nouvelle déconvenue, quand un timbre enthousiaste

En écoutant sonner le téléphone, elle s'apprêtait déjà à s'adresser à la mauvaise personne. Soudain, une voix pleine d'énergie résonna dans le haut-parleur.

— Irina Howard à l'appareil. Que puis-je faire pour vous ?

Cet enthousiasme inattendu laissa un instant Snow sans voix. Elle se ressaisit.

— Je m'appelle Snow White. Je... J'ai emménagé il y a peu dans une petite ville, et je me pose beaucoup de questions...

— Je ne pense pas vous connaître, mademoiselle.

— En effet, mais vous pourriez peut-être m'éclairer. Vous avez quitté la ville et vous n'avez plus jamais donné de nouvelles à personne, n'est-ce pas ? Pourquoi ?

Le silence stagna à l'autre bout de la ligne. Cependant, Irina ne coupa par court à leur appel. Au bout de quelques secondes, le rire aigu de l'inconnue assaillit les oreilles de la jeune fille.

— Vous êtes à Hartland, hein ? s'assura Irina.

Snow approuva.

— Et vous voulez savoir pourquoi je suis partie ?

— Oui. Henry dit que vous êtes partie sans donner de raison...

— C'est vrai, il ne ment pas, affirma Irina. Je n'ai pas pu donner de raison. Je n'ai pu dire à personne que je craignais pour ma vie. On m'aurait collé à l'hosto dans une camisole.

— Je ne suis pas sûre de comprendre.

— J'ai reçu une lettre, un jour, expliqua Irina. Un courrier anonyme, entièrement rédigé avec des coupures de presse. Un corbeau m'informait que toutes les femmes d'Henry avaient disparu sans laisser de trace, et que je subirais le même sort si je ne partais pas. J'ai reçu encore d'autres de ses courriers. Au début, je n'ai pas osé en parler à Henry. J'aurais eu l'air de le soupçonner, et je l'aimais trop pour ça. Et puis, quand je me suis enfin décider à porter toutes ces lettres à la police, quand j'ai ouvert le tiroir où je les avais cachées, plus rien. Elles s'étaient volatilisées. J'ai flippé. J'ai passé tout un hiver piégée par la neige dans cette ville de malheur et j'ai commencé à prendre ça au sérieux. J'avais l'impression d'être devenue parano. Alors, dès que le printemps a pointé le bout de son nez, j'ai fait mes valises.

— Non, vous avez disparue sans laisser de trace, rectifia Snow.

— Je suppose, oui. J'ai flippé. Je n'avais pas le choix, et je n'ai pas de regret. Je vois plus clair, maintenant. Hartland, cette ville dévore les gens de l'intérieur. Elle les rend fous. Je les ai vus. Je n'y remettrai pas les pieds... Survivez à l'hiver, mademoiselle, et foutez le camp de ce trou de tordus.

— Comment ça, survivre à...

— Désolée. Dans ses lettres, le corbeau m'interdisait formellement d'en révéler le contenu. J'en ai déjà trop dit. Passez une bonne journée.

Snow laissa s'évanouir la voix d'Irina sans demander son reste. Elle en savait suffisamment à présent. Des lettres. Encore des lettres. Des menaces. Une montage d'indices qui désignaient Henry comme le coupable idéal. Trop idéal.

À cette réflexion, elle se leva d'un bond, enfila son manteau et dévala l'escalier. Elle sortir de la boutique et pressa le pas vers l'avenue principale, son cou nu tendu à la morsure du froid.

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