Chapitre 15 - L'infirmerie
Ils doivent être deux, ou peut-être trois à la porter pour l'emmener dehors. Lili est brinquebalée quelques temps avant de se trouver de nouveau allongée, sur le dos cette fois. Une femme lui remonte les manches et place un instrument qui enserre quelques instants son bras. C'est plutôt agréable, pourquoi cela ne peut-il durer plus longtemps ?
Cette douleur lui permet de détourner son attention de la peine et du vide qui sont omniprésents. Elle entend des voix mais n'arrive toujours pas à mettre de l'ordre dans les mots pour y poser du sens. On lui installe une couverture et quelques gouttes de liquide coulent dans sa bouche.
Puis soudain, le calme.
***
Lili entend une porte s'ouvrir brusquement. Elle nage toujours dans les tréfonds du mal-être. Une voix, soudain, la ramène à la réalité. Son corps ne peut se détacher du lit mais ses yeux se raniment au son de ce timbre qui la pénètre. Une chaleur se diffuse lentement, malgré elle, dans tout son être.
— Lili, qu'est-ce qui ne va pas ? Maéline m'a dit que tu étais à l'infirmerie !
La voix est pressée et remplie d'inquiétude. Les sentiments qui l'envahissent sont pleins de contradictions. Elle les repousse. La jeune fille a envie d'aller vers cette voix et à la fois envie de la fuir au plus vite. Alex, pas besoin de le voir pour savoir que c'est lui. Lili sent une main se poser sur son bras. Elle se recroqueville aussitôt pour se dissimuler totalement sous la couverture.
— Lili, réponds-moi ! Qu'est-ce qu'y a ?!
Elle se sent secouée. Lili se crispe sous sa fine carapace. Puis un silence lourd rompu rapidement par Alex :
— Bon, de toute façon je ne m'en irai pas tant que tu ne m'auras pas dit c'qui s'passe.
Lili entend un raclement, comme une chaise que l'on déplace, puis un bruit sourd, tel un corps qui s'assoit. Peu de temps après, une autre voix, celle d'une femme, se fait entendre :
— Que fais-tu ici ? L'infirmerie n'est accessible qu'avec accord des encadrants. Et puis, tu devrais être parti en randonnée.
— Qu'est-ce qui lui arrive ?
— Ça ne te regarde pas. je vais appeler Thierry pour que quelqu'un vienne te récupérer.
— Je ne bouge pas d'ici tant que je ne saurai pas ce qu'elle a.
— Ça commence à bien faire ! s'emporte la voix de la femme, sans doute l'infirmière.
— Rien à foutre ! Je bougerai pas, alors lâchez-moi la grappe !
Ce ton, elle le reconnaît. Lili voit déjà s'afficher dans son esprit ses yeux emplis d'une haine meurtrière.
— Un, tu me parles autrement. Deux, tu sais que si tu insistes c'est retour direct à la maison ! poursuit l'infirmière.
— Rien à foutre !
La main de Lili agit par instinct, se faufilant sous la couverture pour attraper la manche du jeune homme. Elle se voit agripper un rocher dans sa chute sans fin vers les fonds marins. Elle sait que c'est probablement sa seule échappatoire. Son moyen de sortir de ces eaux malfaisantes et sournoises qui l'attirent vers la mélancolie. Même s'il ne s'agit que d'une illusion éphémère, la présence d'Alex lui fait ressentir la vie, la joie. Une part d'elle-même ne veut pas être privée de ce sentiment. Une part d'elle-même veut vivre et le faire pleinement ! Ses pensées sont à l'arrêt. Son instinct lui dicte de s'agripper au maximum à ce bras robuste et fiable. Et aussi soudainement que l'adolescente s'est sentie happée vers des fonds obscurs, elle se sent émerger à nouveau et reprendre pied.
Lili sort lentement la tête de sous la couverture, peinant à recouvrer la vue, ses yeux mis à mal par la lumière du dehors qui l'assaille. Au bout de quelques minutes, elle voit Alex, tendu, le visage sombre tourné vers une femme rondelette, les cheveux d'un blanc immaculé coupés courts, faisant ressortir deux yeux d'un bleu intense. Elle y perçoit un regard plein de colère et de reproches. Malgré la différence de taille, elle ne semble pas avoir peur d'Alex. Lili, elle, a peur. Peur qu'il s'en prenne à l'infirmière ou pire qu'il soit sommé de quitter les lieux sur le champ.
L'infirmière a perçu le mouvement car elle tourne la tête vers Lili. Son regard se transforme dans la seconde en un visage plein de compassion et de douceur. Alex, suivant les yeux de son interlocutrice, murmure :
— Lili...
Le jeune homme est à la fois surpris et rassuré en la voyant. Il n'ose plus parler. L'infirmière rompt le silence :
— Lili, veux-tu un verre d'eau ?
La jeune fille fait non de la tête. Encouragée par cet élan communicatif, l'infirmière continue :
— Comment te sens-tu ?
Elle n'a aucune envie de parler à une inconnue. Elle souhaite seulement qu'Alex reste près d'elle. La bouche pâteuse et la voix enrouée, la jeune fille articule péniblement :
— Je peux rester seule avec lui, s'il vous plaît ?
Son regard passe de l'un à l'autre à plusieurs reprises. L'infirmière sonde Alex. Il est redevenu calme et avenant. Puis montrant le combiné sur la table voisine, elle dit :
— Si tu as besoin de moi, appuie sur le numéro vert. Alex, je vais prévenir la psychologue. Lorsqu'elle sera disponible, tu retourneras dans ton bungalow en attendant le retour des autres.
— Merci et désolé pour tout à l'heure.
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