Chapitre 28 - Cédric
Les deux jeunes filles doivent se dépêcher afin d'être à l'heure pour la marche matinale. Elles arrivent juste au moment où l'équipe fait l'appel. Sur le trajet, Maéline décrit les photos qu'elle a reçues sur les réseaux, sa soeur lui a raconté au téléphone. Ce sont deux filles de sa classe qui ont couché avec son Raphi, et ont envoyé un message privé à Maéline. Elle a donné le droit à sa soeur de regarder son profil pour lui raconter tous les potins en son absence et lui transmettre les messages de son ex-amoureux désormais. Apparemment, mieux vaut qu'elle ne voie pas les images.
— Je lui arracherais bien la queue, tiens ! Et je crèverais les yeux de ces pétasses ! s'esclaffe Maéline.
— Ça leur remettrait peut-être les idées en place.
— Désolée, je n'arrête pas de parler de moi, je ne t'ai pas demandé pour Alex.
La mine de Lili s'assombrit d'un coup, un vent glacial souffle sur son coeur.
— Il est parti...
Puis Lili se reprend :
— Mais nous avons eu une nuit magique !
— Vous l'avez fait ?! s'enthousiasme Maéline.
— Tu ne penses vraiment qu'à ça ! Non, je l'ai encore jamais fait, je vais pas faire l'amour après vingt-quatre heures de relation. Bon, j'avoue qu'à un moment, j'en ai eu très envie. Mais il risquerait de me trouver nulle... Il doit avoir pas mal d'expérience déjà, alors que moi...
— Mais non ! Allez, dis-moi plutôt comment c'était ! s'enflamme Maéline.
— C'était tendre et explosif à la fois ! Ses lèvres étaient si douces que je ne pouvais pas m'arrêter de les dévorer, dit-elle en souriant d'extase. Il m'envoie un message dès qu'il sera rentré. Mais je ne pourrai pas le voir avant...
— Donc vous êtes officiellement ensemble ! s'écrie Maéline en gesticulant des bras.
— J'ai un copain ? Merde, j'ai un copain !
Lili a l'impression d'entendre quelqu'un d'autre prononcer ses mots. C'est si étrange, moi, la Girafe, avoir un petit ami. Et quel petit ami, un canon ! Comment cela a-t-il pu m'arriver ?
Lili repousse avec véhémence les interrogations obscures qui veulent la faire douter de la durabilité de cette histoire et profite de ce nuage de bonheur. Durant leur pause à la cascade, elle revoit les lèvres d'Alex, sentant encore leur douceur sur sa peau. Des frissons la parcourent. Elle a l'impression de flotter.
Puis, au moment de repartir, alors que Maéline, un peu requinquée, est partie bavarder avec un groupe de filles, un adolescent s'approche . Il l'apostrophe timidement :
— Lili.
— Oui, tu es ?
— Cédric. Je peux te parler seul à seul ?
Il semble tellement mal à l'aise. Cela lui fait mal au coeur. Elle acquiesce, ils se placent en queue de fil.
— Je ne sais pas comment te demander ça... commence-t-il en se grattant la nuque.
— Fais au plus simple alors, lui conseille-t-elle.
— C'est compliqué pour moi.
Lili se demande s'il ne pourrait pas être intéressé par elle. Rien que d'y penser, elle est gênée pour lui. Comment pourrais-je l'éconduire avec tact ? Je n'ai jamais fait ça avant ! Il a l'air gentil, je ne veux pas le blesser.
— Dis-le moi franchement si c'est indiscret, mais Maéline avait l'air vraiment pas bien en arrivant. Je... Est-ce que c'est grave ? Comme vous semblez proches, je me suis dit que tu saurais peut-être.
Celle-là, je ne l'ai pas vu venir. Au moins, je n'ai pas à le repousser. Et si... Non, ce n'est pas possible. Pourtant... Et si le détecteur s'était activé ?
— Je ne sais pas si elle aimerait que j'en parle.
— Ah, euh, désolé, c'était déplacé. Laisse tomber.
Il ralentit le pas, tout en rougissant violemment. Lili décide de revenir à sa hauteur.
— Tu craques pour elle ?
— Je... euh... comment dire... bafouille-t-il.
— On vient de lui briser le coeur.
Elle voit dans son regard une lueur de colère s'attiser, mais il ne dit rien.
— Pourquoi tu n'es pas allé lui demander ?
— Je... Je suis d'une timidité maladive. Je ne peux pas. Je...
Lili le regarde avec compassion :
— Je comprends.
— Merci de ne pas te moquer.
— Pourquoi je ferais ça ? demande-t-elle surprise.
— Parce que d'autres le font.
— Ils sont cons alors, commente Lili, balayant l'air d'un geste de la main comme si "ces cons" n'avaient pas d'importance.
— Ouais, c'est ce que je pense aussi même si ça me touche quand même...
Tout en marchant, le jeune homme a baissé la tête, les yeux voilés d'une émotion que Lili n'arrive pas à déchiffrer. Elle n'insiste pas, elle-même n'aurait pas aimé qu'un inconnu aille appuyer sur ses blessures. L'adolescente repense au radar. Puis à Maéline qui a acquiescé. Elle ne sait pas pourquoi mais elle est persuadée d'avoir à côté d'elle quelqu'un de fiable et d'honnête. Elle ne cherche pas à comprendre comment et pourquoi. Il faut qu'elle apprenne à se faire confiance. Lili saute le pas, elle croit en son ressenti. Elle tait le doute qui cherche à se faire une place dans sa tête. La priorité c'est d'aider son amie. La jeune fille demande alors à Cédric :
— Tu fais quoi de ton temps libre après déjeuner ?
— Euh... j'y ai pas réfléchi.
— Alors, rendez-vous derrière le foyer à treize heures trente.
— Pour ? Oh non, tu vas pas lui dire, s'exclame-t-il.
Une soudaine agitation semble souffler sur tout le corps du garçon. Ses mains deviennent moites et quelques gouttes de sueur perlent sur son front.
— Si tu voulais vraiment pas que ça se sache, tu serais pas venu me voir. Elle mord pas et elle a besoin de quelqu'un de gentil.
— Comment tu sais que je suis gentil ?
— Mon radar.
— Hein ?!
— Laisse tomber ! Écoute, j'ai réussi à dépasser certaines de mes angoisses et à trouver un garçon formidable en venant ici. Il n'y a pas de raison que tu n'y arrives pas. Je peux pas te garantir qu'elle sortira avec toi, mais au moins tu auras une chance.
— Mais, je suis pas prêt ! Ohh, non, non ! Je suis pas prêt ! di-il pris d'une panique aussi brutale que soudaine.
Cédric met alternativement ses doigts à la bouche pour ronger frénétiquement ses ongles. Ses yeux bougent de droite à gauche, aux aguets. Il se met à respirer bruyamment. Il prend un mouchoir pour essuyer, en tremblant, les gouttes qui coulent sur son visage.
— Écoute, tu prends peu de risques. Au pire, quand le camp est terminé, vous ne vous revoyez plus. Tu vois, pas de gros enjeux. Alors profites-en pour dire merde à la timidité !
— Putain ! Tu vas pas me lâcher, c'est ça ?
— T'as tout compris, répond-elle avec un sourire radieux.
— Fais chier ! Je vais angoisser comme un malade jusqu'à treize heures trente. Et comment tu sais qu'elle viendra ?
— Elle viendra, je te le garantis.
Arrivés au foyer, Lili rattrape Maéline.
— Je peux te parler en privé ?
Maéline salue ses copines et les deux amies s'assoient à l'écart pour le petit-déjeuner.
— Tu vas pas me croire, dit Lili, les yeux pétillants.
— Quoi, s'impatiente Maéline.
— T'as un rencart.
— Je viens juste d'avoir le coeur brisé, je peux pas. Et puis, avec qui d'abord ? demande Maéline à la fois curieuse et sur la réserve.
La jeune fille a beau être meurtrie d'avoir été ainsi trahie, l'absence de son père est si pesante qu'inconsciemment, elle cherche à combler ce manque auprès d'un homme. D'autant que la dépression de sa mère et la fuite de sa soeur toujours fourrée dehors, la laissent seule face à ce vide angoissant. Elle devient ainsi une proie facile pour un garçon en quête d'un peu de chaleur féminine.
— Avec Cédric, un grand timide tout gentil. Pile ce qu'il te faut !
— Je vois pas qui c'est, assène Maéline.
— Justement, rappelle-toi, ton radar détraqué.
— Montre-le moi.
Lili pointe du doigt dans le fond de la salle où Cédric est en pleine discussion avec un autre adolescent.
— Tu te fiches de moi ? Il est sans intérêt.
— Justement.
— Tu veux que je m'ennuie à mourir ! s'exclame Maéline.
— C'est quelqu'un de bien.
— Comment tu le sais ?
— Tu m'as dit que tu accepterais, fais-moi confiance, je le sais, conclut Lili.
Les mains moites, sa gêne la faisant remuer continuellement sur sa chaise, Maéline se lamente :
— Tu fais chier ! Comment je peux refuser maintenant ! Dans quoi tu m'as embarquée ?
— Je passe te chercher à treize heures vingt-cinq et je te conduis au rendez-vous. Laisse-lui une chance, s'il te plaît.
— J'ai vraiment le choix ?
Elles se dévisagent.
— T'es vraiment têtue sous tes faux airs de timide ! Tu m'as bien eue !
Annotations
Versions